Saturday, February 23, 2019

“Le moment favorable”.
Hiéromoine Macaire de Simonos Pétra.



 
Hiéromoine Macaire
 de Simonos Pétra.
Pénétrons, frères, la puissance du mystère, car le fils prodigue revient de son péché vers le foyer paternel. Le Père très bon vient à sa rencontre pour l'embrasser, il lui fait don à nouveau des signes de sa propre gloire et en immolant le veau gras, il lui prépare au ciel un mystique banquet, afin que nous menions une vie digne du Sacrificateur, le Père, Ami des hommes, et du glorieux Sacrifice, le Sauveur de nos âmes.
Chaque confession ressemble à la conversion du fils prodigue, célébrée chaque année avant le Carême, qui est la période par excellence du repentir, le «moment favorable» pour revenir vers le Père et avoir accès au Paradis. Le fidèle devrait approcher le prêtre avec joie et exultation du cœur, comme s'il voyait le Père qui vient au-devant de lui en lui ouvrant les bras.
« Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche» (Mt 3, 2). Ainsi le Christ commença-t-il sa prédication, comme saint Jean le Précurseur; à la différence cependant que saint Jean-Baptiste préparait le terrain en prêchant le repentir comme condition préalable pour recevoir le Sauveur, tan­dis que le Christ inaugurait, par sa présence sur la terre, la venue du Royaume et le Salut, non plus comme attente, mais comme une réalité tangible. C'est la raison pour laquelle le Précurseur n'a pas fait de miracles, alors que Jésus, depuis le début de son ministère et durant toute sa vie terrestre, a accompli des «signes» qui témoignaient de la venue en Lui du Royaume. Il est lui-même à la fois le Royaume et le Souverain, et Il nous a ouvert la possibilité de participer à ce Royaume, qui est présence de Dieu en nous. Mais la condition pour avoir accès à ce Royaume reste la même: le repentir. 
Dans la Bible et chez les saints Pères, le terme repentir, qui étymologiquement signifie «changement d'esprit (noûs), de mode de pensée» (méta­noia), n'évoque pas seulement la tristesse et le regret de ses péchés, mais il inclut aussi les moyens d'obtenir le pardon, au point qu'on a pu l'identifier à la vie spirituelle tout entière. 
Le repentir est une «restauration du baptême » et une « seconde nouvelle naissance », il a le pouvoir de « changer la nature des êtres» et possède de ce fait un caractère ontologique. C'est un transfert des ténèbres du péché à la lumière de la communion avec Dieu, un «passage» (Pâque) de la mort à la vie, sous l'effet de la force attractive de la Résurrection du Christ. Il ne se limite donc pas à la confession des péchés et au pardon que, dans sa condescendance, l'Église nous accorde par la prière du prêtre. Par la confession, nous exprimons notre disposition à nous repentir, mais le vrai repentir inclut l'observance de tous les commandements et doit s'étendre à notre vie entière, renouvelée dans le Saint-Esprit.
La confession sacramentelle. 
Le repentir, par conséquent, convient à mon avis à tous et en tout temps, aux pécheurs comme aux justes, s'ils veulent obtenir le salut ... Notre Seigneur Jésus-Christ, puissance et sagesse de Dieu, avisa au salut de tous de la façon qu'il savait digne d'un Dieu; il édicta la loi de la liberté au moyen d'enseignements divers, et fixa à tous les hommes un but unique, leur disant: «Repentez-vous!» Par là, il nous rendait possible de reconnaître que toute la variété des commandements aboutit à un terme unique: le repentir.
Le repentir nous est donc nécessaire jusqu'à la mort, au point que saint Marc l'Ascète va jusqu'à affirmer que c'est par le repentir que «tout l'univers tient ensemble». (Saint Marc l’ascète).  
Si le repentir a une telle importance dans la vie spirituelle du chrétien, on peut aisément comprendre que le sacrement de la confession devrait occuper une place centrale dans son cheminement vers Dieu. Comme pratique liturgique, la confession s'inscrit dans l'ensemble de la vie spirituelle, elle est le sceau du combat personnel que le fidèle doit mener pour réveiller sa conscience et constitue la condition de sa participation effective à l'assemblée ecclésiale et à la sainte Communion.
Il faut cependant bien reconnaître que le sacrement de la confession, même au sens étroit du terme, souffre aujourd'hui de nombreuses déviations et de malentendus qui l'empêchent de jouer ce rôle dans la vie des fidèles.
Dans certaines Églises, où la confession sacramentelle est obligatoire avant la
sainte Communion, les fidèles se confessent de manière systématique, souvent au cours de la Divine Liturgie ou juste avant la Communion, mais cette pratique, si rapide et accomplie devant toute l'assemblée, est souvent devenue une formalité qui n'est plus accompagnée d'un vrai repentir, avec pour conséquence qu'elle les empêche souvent de faire une vraie confession. Dans d'autres Églises, par contre, où la confession est laissée à la libre décision des fidèles, beaucoup ne se confessent que très rarement, ou pas du tout. Chez certains - peut-être sous l'influence de la conception occidentale de l'expiation, la confession est perçue avec une certaine terreur comme une pratique juridique, où l'on se rend comme des accusés pour y recevoir une sentence qui «satisfera» la colère de Dieu.
D'autres vont certes se confesser régulièrement, mais simplement pour y apaiser leur conscience et trouver auprès du confesseur des justifications à leur conduite. Ils ne confessent que ce qui ne les dérange pas trop, sans avoir aucunement l'intention de renoncer aux passions qui sont les causes de ces transgressions, de changer de vie, de modifier leur «manière de penser» (méta-noein). Ils considèrent que telle est la nature humaine, et qu'il est inévitable non seulement de commettre des actes blâmables, mais de nourrir en leur âme des attitudes de refus, de haine, de rancune envers leurs frères. Une telle confession met en sommeil leur conscience, au lieu de la réveiller.
Le Père Aimilianos 
de Simonos Pétra.

Le Père Aimilianos, qui avait un sens aigu de la relation avec Dieu, souffrait de ces confessions conventionnelles, qu'il avait souvent constatées chez de «bons chrétiens». Il nous disait qu'une telle confession nous enferme dans notre misère, dans nos passions. Puisque nous avons fermé notre cœur, aucun «changement de la droite du Très Haut» ne peut intervenir dans notre vie, qui restera banale et terrestre. Le plus lourd péché était pour lui l'insensibilité spirituelle, le manque de zèle pour la purification de nos âmes, l'abandon de la lutte.
D'autres encore, et cette tendance semble augmenter de nos jours, se rendent chez le confesseur comme on va chez un psychothérapeute, pour y parler d'eux-mêmes, de leurs problèmes familiaux et sociaux, le plus souvent pour y accuser les autres, sans aucunement chercher à se remettre en cause et à reconnaître leurs propres fautes. Ils n'approchent pas ce sacrement comme un mystère, une mystagogie de la rencontre avec le Dieu vivant et miséricordieux, mais de manière humaine et psychologique, en cherchant un simple apaisement, un équilibre de vie, sans aucune disposition au repentir. Pire encore est la tendance à transformer le sacrement en discussion sur des idées générales concernant la vie spirituelle ou la vie de l'Église, toujours avec l'intention de repousser la reconnaissance de notre responsabilité. Et malheureusement, nombreux sont les prêtres qui rentrent dans ce jeu, qui devient un simulacre de la confession.
D'autres prêtres font, par contre, un usage abusif du pouvoir qui leur est concédé par l'Église. Interprétant de manière erronée la paternité spirituelle exercée dans le cadre monastique, ils exigent de leurs enfants spirituels une obéissance absolue et s'immiscent dans tous les détails de leur vie personnelle. D'autres exploitent la tendance naturelle des fidèles à s'attacher à leur confesseur, pour cultiver autour d'eux un culte de la personnalité et se présenter comme « starets ».
On pourrait faire une longue liste de ces déviations, qui viennent surtout d'une méconnaissance du véritable enseignement de l'Église sur le sacrement du repentir, qui doit être distingué de la direction spirituelle. Il est bien sûr difficile de séparer ces deux aspects, car en général et avec raison, les fidèles se rendent auprès du prêtre non seulement pour confesser leurs péchés, mais aussi pour recevoir de lui conseils et encouragements. Mais il convient de savoir qu'on devrait se rendre à la confession avant tout pour se présenter devant Dieu, qui scrute les reins et les cœurs, et y avouer des actes concrets, en reconnaissant notre pleine responsabilité et sans chercher à nous justifier. C'est dans la mesure de notre sincérité et de notre décision de ne plus commettre ces actes qui blessent notre conscience que nous pourrons obtenir de Dieu le pardon et la grâce nécessaire à une vie menée dans la nouveauté de l'Esprit.
Le problème n'est donc pas combien de choses je vais confesser, en consultant éventuellement des catalogues imprimés de péchés. Il n'est pas nécessaire de s'analyser avec scrupule, mais de dire simplement au prêtre ce qu'on a sur la conscience et que l'on connaît très bien. Je dois avoir pris la décision de tout dire - principalement ce que j'ai honte d'avouer par crainte de voir altérée mon image - et de changer de vie. « Si je n'ai pas pris une telle décision, je reste entre le chaud et le froid, dans la tiédeur. Comment Dieu pourrait-il alors me pardonner? »
La décision de changer nous appartient, et elle s'exprimera par l'ascèse et la vie vertueuse, par une vie qui respecte le prochain comme image de Dieu, une vie de silence et de prière; mais le vrai repentir reste un don de Dieu. C'est en évitant les occasions de péché que nous montrerons notre bonne disposition, mais c'est par la prière que nous obtiendrons, en son temps, cette grâce du repentir, qui nous donnera la force de cesser de pécher. « Si quelqu'un est toujours prêt à donner son avis sur tout, il est impossible qu'il acquière le repentir, il va mourir impénitent », disait le Père Aimilianos. Et il affirmait aussi:
Le fils prodigue.
       La vraie confession est un fait si rare que c’est une vraie fête dans le ciel, parmi les anges et les saints. Et le confesseur ressent alors une immense joie.
Qu'est-ce donc qu'une vraie confession selon le Père Aimilianos ? C'est un «grand art de savoir se confesser », disait-il. Et c'est à cet art qu'il initiait ses disciples depuis leur enfance.
Avant la confession, quand il prend un peu de temps pour revoir sa conduite depuis sa dernière confession, pour « revenir à soi » en “pénétrant dans la chambre de son âme”, le fidèle place sa raison comme juge de ses actions et peut prendre alors conscience de son vide intérieur, de son état de mort spirituelle, dès lors qu'il ne s'abreuve pas à la source de là vie, et de sa responsabilité dans les actions qui l'ont amené à cette situation.
« Le commencement du salut, c'est de se condamner soi-même », enseignait Évagre. En effet, tant que l'on refuse de s'accuser soi-même et que l'on cherche à se justifier, le repentir est impossible à acquérir.
C'est ici que je suis jugé, ici que je suis condamné, malheureux, par ma propre conscience plus violente que rien au monde. Mon juge, mon Rédempteur qui me connais, épargne-moi, délivre ­moi, sauve-moi, Ton serviteur.(Grand canon de Saint André de Crète).
Le reproche authentique de la conscience - qu'il faut bien distinguer du scrupule - fait naître en l'âme la «contrition », c'est-à-dire la tristesse selon Dieu qui produit «un repentir salutaire qu'on ne regrette pas» (2 Cor. 7, 10). Et c'est cette tristesse d'être séparé de Dieu, d'être exilé comme Adam du Paradis de délices, qui cultivera en nous le désir de la conversion, du retour à la maison paternelle, exprimé par la libre décision de reconnaître nos fautes devant le représentant de Dieu. La brûlure de notre conscience devrait être telle que, comme les premiers chrétiens, nous ayons même le désir de les confesser devant toute l'assemblée.
Certes, il faut tenir compte de l'évolution du sacrement de pénitence et des raisons spirituelles et pastorales pour lesquelles la confession est désormais secrète, mais notre disposition intérieure devrait être ainsi pour attirer la miséricorde divine. Seule la confession rend le repentir effectif, et la profondeur de celui-ci sera proportionnelle à la sincérité de celle-là.
L'aveu proprement dit de nos péchés ne devrait normalement pas être très long, mais il convient qu'il soit clair et franc. Il faut rapporter des actes concrets, sans qu'il soit cependant nécessaire d'entrer dans des détails qui risqueraient de ranimer en nous une complaisance blâmable, sans donner beaucoup d'explications, qui sont en fait le plus souvent des tentatives de justification. Et la prière d'absolution que nous lira le prêtre sera le sceau divin sur notre repentir, qui devra donc avoir précédé le sacrement proprement dit.
Mais pour que cette grâce soit vraiment agissante en nous, pour qu'elle nous procure une énergie divine qui va nous transfigurer, il faut que la confession ait été la plus sincère possible. Ce sera peut -être après des années de vie dans l'Église et de confessions conventionnelles que viendra, selon le Père Aimilianos, le moment le plus critique de notre existence; car, de deux choses l'une: soit nous sentirons que nous nous tenons nus devant Dieu et nous assumerons la responsabilité de nos actes en disant: «J'ai péché! », soit nous ferons comme Adam et Ève, et nous nous cacherons et reporterons nos fautes sur autrui" (Gen. 3, 10-13).
Pour le laïc, le confesseur est certes un père spirituel, mais pas au sens d'un Ancien, auquel le moine doit une obéissance aveugle et la révélation de toutes ses pensées. Ses conseils ne sont pas des ordres, et le fidèle reste libre de les appliquer dans les circonstances concrètes de sa vie, sans avoir besoin de communiquer à chaque instant avec son père spirituel. Une telle attitude, loin d'être de l'obéissance, risque de nourrir un infantilisme chez des fidèles qui trouvent ainsi le moyen de se décharger de leur responsabilité et de leur liberté. Le Père Aimilianos considérait qu'une telle forme de direction spirituelle est un étouffement de l'âme. « Je ne peux pas supporter une éducation qui ne soit pas libre. Et liberté ne signifie: Fais ce que tu veux! Mais rends-toi volontairement esclave des autres ». Le père spirituel n'est pas un « directeur de conscience », son œuvre ne consiste pas à imposer ses idées, même les plus élevées, mais à cultiver la personnalité de ses enfants spirituels. Il doit «se tenir derrière son disciple », afin de soutenir son élan vers Dieu, sans s'y substituer. Et lorsqu'il aura cultivé chez ses enfants spirituels une telle liberté responsable, il aura la joie de constater leur progrès et le rayonnement d'une authentique expérience chrétienne dans la joie de l'Esprit Saint.
Ce qu'il nous faut rechercher dans le sacrement du repentir, ce n'est donc pas une consolation humaine et affective dans nos épreuves, mais la restauration de notre relation avec Dieu, « un contrat avec Dieu pour une nouvelle vie », qui s'exprimera par notre vie en Christ, par les sacrements de l'Église et les saintes vertus.


Référence :
La Confession dans l’Église Orthodoxe. Que crois-je ?. Apostolia(2017)