Saturday, June 25, 2022

La liberté spirituelle.
Saint Sophrony l’Athonite.

Saint Sophrony l'Athonite.

        La vie en Dieu est apparemment très monotone: celui qui s'efforce de vivre en chrétien devient l'homme d'une seule idée. Dans la grisaille de nos activités quotidiennes, il nous faut garder cette idée spirituelle qui est liée à notre foi en Dieu et à notre salut éternel.

Il y aurait tant à dire, et il y a si peu dont on peut parler! Dans mes livres, non seulement dans le premier mais aussi dans le second - Voir Dieu tel qu'Il est - on trouve de nombreux développements sur le thème dont je voudrais parler aujourd'hui: la liberté de l'esprit humain, créé par Dieu d'une manière incompréhensible. Nous avons l'impression que la vie spirituelle et intellectuelle prend son origine dans le corps que nous recevons de nos parents. Mais selon sa nature, notre esprit est tout autre. Dans la mesure où nous le laissons croître en nous, nous comprenons que son origine est en Dieu. Je veux dire que nous saisissons qu'il ne provient pas de la nature, mais qu'il nous vient de Dieu.

Notre être réel commence par notre existence, c'est-à-dire par notre naissance dans le corps. Puis, plus tard, vient un moment où nous prononçons le mot «liberté» et, après cela, nous prions: « Notre Père qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre [de nos cœurs] comme au ciel». Crier vers notre Père éternel, voilà, à vrai dire, la seule chose pour laquelle il vaut la peine de vivre!

Nous sommes les bâtisseurs de notre vie éternelle

Nous sommes chaque jour écrasés par le travail et entourés par la matière qui pèse sans cesse sur nous. Nous avons l'impression que nous n'avons pas encore reçu la vie véritable. Le Seigneur dit que le Royaume des Cieux s'acquiert par de grands labeurs, et que ceux qui font des efforts s'en emparent (cf Matthieu Il, 12). Nous faisons une expérience remarquable lorsque nous entendons ces paroles dans notre cœur profond: «et ceux qui font des efforts s'en emparent». Il s'ensuit que nous sommes nous-mêmes les bâtisseurs de notre vie éternelle. Dieu nous crée potentiellement, et ensuite tout le reste se réalise: les dons de Dieu et nos recherches créées de son amour éternel.

Se libérer de la pesanteur de la matière

C'est de cela que j'aimerais vous parler, surtout maintenant que la vie elle-même nous oblige de travailler avec des pierres, des briques, du gravier, de la terre, etc. Comment lier la vie de notre esprit à la nécessité de travailler avec des briques, de «faire des briques» (cf Exode 5, 14)? Cela ne va pas sans lutte. Parce que pour nous, les choses ne vont pas toujours facilement avec Dieu. C'est plutôt rarement le cas. La plupart du temps, nous rencontrons labeurs et incompréhensions: notre étroitesse n'est pas capable de contenir l'Esprit de Dieu. Comment surmonter cette influence de la matière sur nous? Lorsque j'avais votre âge, c'était pour moi une joie de travailler, de faire des efforts pour prendre possession du Royaume de l'amour du Père éternel.

Nous sommes appelés à avoir la même vie que Dieu

Nous vivons en ce monde comme dans une étroite prison. Par contraste, nous devons encore parler de la liberté. Il y a des instants où Dieu nous visite avec sa force, - avec son énergie incréée, pour m'exprimer en termes théologiques, - et alors il devient clair pour nous que nous sommes nés de Dieu et que nous sommes appelés à avoir la même vie que notre Créateur.

Notre esprit ne se satisfait que de l'Absolu

Notre esprit est formé d'une manière étrange: pour lui, une pensée n'est pleinement satisfaisante que lorsqu'elle concerne l'Absolu, l'Eternel. Mais nous sommes obligés de travailler. J'ai passé par tout ce que vous vivez maintenant, mais je mène à présent une vie tout autre que la vôtre. J'aimerais vous transmettre l'enthousiasme de notre esprit lorsque Dieu nous appelle à lutter pour la construction de notre maison spirituelle.

 un lieu pour devenir les enfants du Père céleste

Il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes tous réunis ici pour vivre éternellement avec Dieu. C'est en cela que réside le sens de toutes mes rencontres avec vous. Comment pouvons-nous faire de ce lieu, de ce monastère avant tout une maison de prière, un lieu pour l'édification de notre vie en Jésus-Christ et pour devenir par Lui les enfants du Père céleste, - « Notre Père qui es aux cieux ... »

Liberté de prier pour le monde entier

Il m'est bien des fois arrivé de me demander s'il était possible de faire l'éducation d'une personne seulement selon une ligne positive, en évitant les voies négatives ... Lorsque je suis arrivé à l'Athos, je me suis trouvé dans les conditions d'un monastère athonite, c'est-à-dire qu'il était gouverné par un higoumène entouré de quelques anciens qui prenaient soin de la vie du monastère en général et de chaque membre en particulier. Je me suis alors senti libre de m'abandonner totalement à la pensée de Dieu. Cette liberté fut pour moi un si grand don! Un petit coin dans ma cellule me suffisait pour embrasser le monde entier dans ma prière.

Quand chaque activité devient un acte liturgique

Lorsque nous nous limitons en tout et que nous renonçons à tout, lorsque nous désirons seulement entendre le Nom de Dieu, écouter ses paroles, ses commandements, L'invoquer et être liés à Lui par tout notre être, toute activité devient un acte liturgique d'une grande signification.

Ainsi donc, je reviens sur ce point: qu'aucune Sœur et qu'aucun Père ne pense qu'il remplit une tâche insignifiante, disons celle dont s'occupe maintenant notre nouvelle sœur Anastasie, et, avant elle, notre nouvelle sœur Anne: planter des pommes de terre, semer des haricots, les arroser, etc. - Etre pressé, être fatigué ... quoi que vous fassiez, tout est accompli pour l'édification d'un temple pour la Liturgie. Et alors notre

Saint Sophrony entre Père Kyrill
et Père Syméon.
La prière pour l'unité renforce la communion

Appréciez le fait que, dans notre famille, vous pouvez vraiment demeurer dans une prière constante pour tous ceux qui sont réunis dans ce lieu. Afin que l'énergie de la communion soit constamment en nous. Vous verrez alors comment surgit en nous une force purement spirituelle que nous ressentons comme liberté, et comment, peu à peu, à partir des plus petites choses naît la grande éternité.

Dans mon livre, j'ai écrit qu'après l'achèvement du processus de notre vie sur terre, nous recevrons, si nous sommes sauvés par Dieu, la vie sans commencement, et c'est pourquoi nous oublierons même notre origine terrestre ...

Je suis vraiment horrifié lorsque j'entends ce que j'ai dit et comment je l'ai dit. Cela me fait toujours honte. Oui, mais c'est parce que je m'efforce de trouver une parole pour exprimer l'inexprimable. Je pense cependant que si nous accomplissons de petites choses (par exemple: penser du bien au sujet de tous et de chacun, de tous les frères et de toutes les sœurs, ne pas accepter de mauvaises pensées, ne pas permettre qu'un mauvais esprit domine nos cœurs et que nous jugions les autres) nous parviendrons peu à peu à un état où nous ressentirons de l'enthousiasme à entrer en communion avec toute autre personne.

Tout transporter dans le domaine de l'esprit

Je m'efforcerai de vous donner cette prière qui ne doit pas constituer pour vous une règle obligatoire; elle est plutôt un modèle vous montrant pour quoi prier, comment vaincre la pression de la matière sur nous et comment transporter tout dans le domaine de l'esprit.

Dieu est Esprit. .. Nous utilisons une étrange expression lorsque nous disons: «Père, Fils et Saint-Esprit ». Pourquoi la troisième Personne est-elle appelée « Esprit »? Est-ce que la première Personne, le Père, n'est pas le principe de tout? Et le Père est esprit et le Fils est esprit et le Saint-Esprit est esprit. Le Seigneur a dit: « Dieu est esprit» (cf. Jean 4,24).

Ainsi, nous montons progressivement dans une autre forme de l'être qu'il est impossible de décrire en paroles et de faire connaître à ceux qui ne l'ont pas connue par expérience.

Ceux qui écrivent sans connaître Dieu

Il me vient maintenant une pensée terrible: beaucoup de livres sur le christianisme sont écrits par des personnes qui n'ont pas l'expérience de Dieu, par des personnes dont l'intellect n'est que terrestre. Comment échapper à leur influence?

Il n'y a pas longtemps, il m'est arrivé de m'entretenir, en présence du Père Syméon, avec quelques visiteurs. Nos interlocuteurs étaient des personnes qui nous sont chères. Nous parlions de ce que dans le monde contemporain paraissent des livres écrits par des auteurs qui ont une formation purement terrestre, qui n'ont en réalité jamais vécu Dieu, car s'ils L'avaient vécu, ils auraient une autre manière de penser. Nous parlons de l'esprit, mais pour ces gens l'esprit est un mythe. Lorsque vous priez Dieu pour vous-mêmes, puis pour tous les frères et sœurs, et de plus en plus loin jusqu'à englober toute l'humanité, votre esprit s'habitue à vivre précisément dans cette sphère et alors beaucoup de faits incontestables par leur vérité se produisent dans votre vie.

Du néant à la vie éternelle

Comme je désire maintenant vous transmettre tout ce que j'ai, mes chers frères et sœurs! Construisez cette maison et parallèlement à cela se construira votre temple spirituel, éternel et non fait de mains d'homme. Alors notre endroit pauvre et petit deviendra précieux pour nous.

Quelle créature mystérieuse que l'homme! Il a été appelé à l'être par un ordre du Dieu-Créateur; nous sommes conscients de notre création à partir du néant, de notre pauvreté. Mais voici que le Christ nous a apporté la pensée, l'espérance et même l'énergie d'une autre vie.

 

De quelle manière étrange Il se comporte avec nous! Ceux à qui a été confié le ministère de la paternité spirituelle - d'être pères spirituels - comprennent ce dont je parle. Comment soudain cet homme surgi de rien commence à parler des lois de la vie éternelle... C'est une chose remarquablement intéressante que Dieu nous laisse nous créer nous-mêmes, alors que, Lui, Il se tient ou bien en face de nous, ou bien à côté de nous, et nous dit comment Il est en Lui-même. Nous ne saisissons pas tout ce qu'Il dit, mais avec son aide, avec la coopération du Saint-Esprit, nous pénétrons progressivement dans cette connaissance, et celle-ci nous remplit d'enthousiasme devant notre Père, le Dieu qui crée notre vie.

Voilà que je vous ai de nouveau embrouillés aujourd'hui en exprimant pêle-mêle quelques pensées, mais prenez ce texte sur «La liberté spirituelle» et alors vous trouverez peut-être un certain sens dans ce que je vous ai dit. Mais maintenant je prie que le Seigneur vous garde tous sur la vraie voie. Il est Lui-même notre voie (cf. Jean 14, 6).

Pas de solitude quand 0n est avec Dieu

Maintenant beaucoup de personnes qui viennent vers les pères spirituels se plaignent de leur solitude. Mais, à vrai dire, lorsque nous vivons réellement par la divinité du Christ, nous ne connaissons pas de solitude. Je vous parle d'après ma propre expérience; j'ai passé sept ans au désert, et jamais je n'ai été effleuré par le sentiment que quelque chose, c'est-à-dire que la présence de quelqu'un me manquait, mais dans mon esprit se trouvait la plénitude de la communion avec Dieu et avec l'Homme.

 

 

Référence:

Parole à la communauté. Archimandrite Sophrony. N*30, 1995.

Saturday, June 18, 2022

The creative act of God.
Saint Sophrony the Athonite.

 

        

Icon "Hexaemereon"*.

   God created the world and especially man, by a risk. When I contemplate the coming of Christ on earth, I also contemplate this Divine risk, insofar as my limited capacity allows me. If man is really free, free as God's 'image and likeness', then we are inevitably led to think that God 'in the beginning' cre­ated a pure potential, and that everything that afterwards fol­lows in man's destiny no longer depends only on God the Creator, but also on the freedom of each human person (hy­postasis). Each of us is free to be conformed to God, to be united with Him in love or to reject Him and turn naively to the quest for another life. “Naively”, because outside the Di­vine First Origin there is no life. So it is: in the freedom of man is the tragic character of all the history of the world. And without a doubt, God foresaw this tragedy, contemplated it in His Eternity. So the creation of man is that tragic gesture by which God the Father casts us into the abyss of being, calling us out of the abyss of non-being. God, who is 'everywhere present and filleth all things' , surrounds us, wherever we may be; He lovingly seeks us out, calls us to Him, endures, waits. He never violates our freedom; He respects us as if we were His equals. In every case He treats us as His equals, and He does not expect anything else from us than to see us in full likeness to Him. That is how I understand the Revelation given in Christ, who as Man too ascended to the right hand of the Father.!

From that vision stems my consciousness of our need to undergo the tragic and painful feat of our own creation in eter­nity in the image and likeness of the Father, Who was revealed to us through the coming of Christ and the sending down of the Holy Spirit.

The principle of the hypostasis is the climax of the cre­ation of the world. The life of the person springs up mysteri­ously; the person escapes every rational definition. The person is the bearer of life; the hypostasis is that which truly lives. If it were possible to remove this element, this principle, from Being, then everything would lose its meaning, would in fact be submerged in death. Science knows nothing of this true bearer of life. Not knowing anything of this supreme, ul­timate dimension of being, science will forever remain on a lower plane, finding a material explanation for every phenom­enon, including spiritual phenomena.

But I see things like this: when the person has come into being (I am talking about the created human person), then it is not only incorrect, but also criminal, to turn back and seek to learn the mystery of the generation of the person through scientific investigation into natural life, the life of the material world. If such a retrospective movement i.e. to what pre­cedes our present form of being - goes hand in hand with the rejection of every other level of Being transcending space and time, then the true meaning of our coming into the world is lost. 'Behind' us is that nothing out of which we were pushed by the creative act of God. Yes, we were flung into Being by the tragic gesture of God, and now before us lies this flight across a chasm; a flight which is fearful and yet, together with that, indescribably majestic, attracting us by its purpose, en­gendering in us a determined refusal to 'accept' death. Yes, we must not stop in our striving towards the eternal; and even more than that, we must not 'turn back' .

God, our Father, is a Person, and we likewise are persons, so knowledge of God is not possible except by mutual self disclosure. And it is precisely by way of Revelation that we come to know that 'in the beginning was the Word, and the Word was with God, and the Word was God. All things were made by Him; and without Him was not anything made that was made.'

Let us look at what the latest word of science tells us about cosmology. 'In the beginning was the hydrogen atom, and everything that exists arose out of this simplest atom by a process of evolution. This evolution took 15 thousand mil­lion years.' Apparently, an as yet unknown time will pass and then everything will once again revert to its previous state, that is, to a hydrogen atom.

In ourselves and in the cosmic life surrounding us we contemplate the process of the world's creation. We are clearly aware that the creation of Man has not yet finished. In the act of free self-determination we must “assimilate” the Life of God, our Father, who gives us everything 'without meas­ure’, without limitation, 'without envy'. But this assimilation is bound up with painful struggle throughout our earthly life. This 'pain', however, is utterly indispensable for me if I am to understand my freedom. 'Suffering' forms in me the deepest need to say freely to God: 'I love Thee'. If there were no suffering, I would not attain to the deep meaning, the strong consciousness, of my freedom; because I could not be sure that I love Him, the Father, and not just a certain sweet­ness of love.

Saint Sophrony the Athonite.

I am certain that when I shall attain to perfect love, which will truly unite me to God, when I contain within myself the fullness of this gift, then I shall also become like Him in knowledge of all that exists, for 'the Father loveth the Son, and sheweth Him all things' , and 'what things so ever He doeth, these also doeth the Son likewise' - and I do not mean the Only-Begotten, but every son of man.

I have sung you some verses of my favourite song, which never ends, for it is eternally alive, and eternally new. At one point you were recalling my youth. Then too, half a century ago, I often stood in deep won­der before the mystery of this world, before the mystery of life in general. This very minute an instance has come to my memory. When at one time I was in a state of enthusiastic wonder at life, I saw a spider running across the floor of my studio, and I froze from admiration and wonder at this phe­nomenon. It would be a long task to describe the multitude of similar occasions as the years, the decades, went by, but my sense of wonder has not diminished. I did not straight away realize that this was a gift of God to me. I came to this conclusion from the fact that I have met many people, of the most varied levels of education, for whom such a feeling of wonder was unknown.

 

Orthodox icons of the Hexahemeron traditionally include the Etimasion, the Feasts of the six weekdays, the Deesis, and the Sabbath of All Saints.The centerpiece consists of six Creation scenes. The main axis depicts God Sabaoth with the Angelic host and the enthroned Christ the Judge with Saint John the Baptist and the Mother of God. It is followed by the six Feasts symbolizing the six days of the week. The border scenes of such Orthodox icons depict the Evangelists, Saints, Church Fathers, the Fools-for-Christ, and the Blessed.



Reference:Letters to his family. Archimandrite Sophrony(Sakharov).2015.

 

Saturday, June 11, 2022

“Abba.!.. Père”.!..
Saint Sophrony l’Athonite.

 

Jésus Christ, “Ancien des jours”.
 Art Georgian. Ubisi. (14ème  siècle)

Dieu nous a créés « à son image » pour une vie « à sa res­semblance », c'est-à-dire pour notre totale déification, afin que la vie divine nous soit communiquée dans toute sa plénitude. Les relations entre Dieu et l'homme sont fondées sur les principes de la liberté: dans nos ultimes déterminations de nous-mêmes par rap­port à Dieu, nous sommes des personnes autonomes. Lorsque, dans notre liberté, nous penchons vers le péché, nous rompons le lien d'amour qui nous unit à Dieu et nous nous éloignons de Lui. Cette possibilité d'une autodétermination négative par rapport à notre Père céleste, constitue l'aspect tragique de la liberté. Mais cette fatidique autonomie constitue en même temps une condition sine qua non pour la progression de la personne créée vers l'assimilation de la vie divine.

Oui, nous sommes libres, mais non dans la mesure absolue dans laquelle Dieu est libre, car Il détermine lui-même son Être en tout. Nous, en revanche, ayant été créés «du néant », nous n'avons pas l'être en nous-mêmes. Même si nous le voulions - dans notre sagesse ou notre folie -, nous ne pourrions créer le moindre être. Devant nous se trouve le fait de l'Être-en-soi premier de Dieu, hors duquel rien d'existant-par-soi n'existe. Nous sommes placés devant un choix: soit notre adoption filiale par notre Dieu et notre Père, soit notre éloignement de Lui dans les ténèbres du non-être. Il ny a pas de voie intermédiaire.

Le chrétien est appelé à avoir l'audace de croire que nous pouvons être mis en possession inaliénable de la vie divine. Elle ne nous appartient pas de plein droit, parce que nous sommes des créatures. Nous ne disposons pas de la capacité de susciter cette vie en nous, mais elle peut nous être donnée comme pur don de l'amour du Père.

De quoi est-ce que je parle en ce moment? J'essaie d'établir un certain parallèle entre notre vie de tous les jours et ce qui se passe quand le Seigneur vient demeurer en nous. L'homme naît comme un enfant aveugle, faible. Ses armes - dans sa lutte pour l'existence - sont les pleurs, par lesquels il exprime son méconten­tement ou une douleur, quelle qu'en soit la cause. Ses parents - sa mère avant tout par amour pour le fruit de son sein - se hâtent de venir à son aide. Au début de sa vie, le nourrisson s'agrippe à sa mère: il lui serre le cou de ses bras; il se presse contre son visage, son épaule, sa poitrine, contre ses jambes aussi quand il commence à se tenir debout, et ainsi de suite. Il apprend graduellement à dis­tinguer les objets, à prononcer quelques mots. Il commence à assi­miler certaines idées, devient plus fort, capable de se tenir debout, de marcher et de courir. Finalement, il atteint sa maturité physique, morale et intellectuelle. Il peut lui-même devenir parent, père ou mère. Il entre dans une vie indépendante. Tout ce qu'il a expéri­menté dans sa prime enfance disparaît de sa mémoire. Il sait qui est son père et sa mère, mais il n'a plus un sentiment de dépendance à leur égard. Il vit comme s'il n'était issu de personne. Il est libre dans ses mouvements et ses décisions. Il se voit comme une certaine totalité, une individualité intégrale. Bref, «j'existe », Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais c'est un fait, pleinement convaincant pour moi-même. Seule ma raison sait que la vie de mes parents m'a été communiquée, qu'elle a coulé dans mes veines, qu'elle est devenue mienne et a trouvé sa voie.

Il en va de même pour nous avec Dieu: «Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même Il a donné au Fils d'avoir aussi la vie en lui-même» (Jn 5, 26). « De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi» (Jn 6,57). « Je vis et vous aussi, vous vivrez» (Jn 14, 19). Lorsque cette vie originelle nous est com­muniquée ontologiquement, nous la ressentons comme notre vie propre. Nous savons, d'après notre expérience antérieure, que cette vie nous a été donnée par Dieu. Elle n'est pas nôtre dans son essence; mais, donnée en possession inaliénable à ceux qui sont sauvés, elle devient vraiment notre vie. On peut, à son sujet, évoquer les paroles de l'apôtre Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Je le répète à nouveau: je sais que c'est Lui qui vit en moi. Et, comme sa vie est devenue le noyau le plus intérieur de tout mon être, je peux parler d'elle comme de ma vie: le Seigneur vit et, moi aussi, je vis.

« Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime, sera aimé de mon Père; et je l'aimerai et je me manifesterai à lui [ ... ] et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui» (In 14,21-23). Ils la feront - assurément - non pour un temps, mais pour l'éternité.

Notre entrée en possession de cette vie immortelle est conditionnée par l'observation des commandements du Seigneur : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes dis­ciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera» (In 8, 31-32).

Saint Sophrony l'Athonite.
      La ressemblance de notre nature à Dieu engendre sponta­nément en nous une soif de connaître la Vérité, de tendre à la perfection divine. Cette perfection n'est pas en nous-mêmes, mais dans le Père, la Source de tout ce qui existe. Le suivre en tout ne signifie nullement se soumettre aux injonctions d'un pouvoir qui nous serait extérieur: c'est notre amour qui nous attire à Lui, et nous languissons sans cesse après sa perfection. Le Christ nous a donné ce commandement: «Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).

La sainte volonté du Père, éternellement présente en Lui, ne nous est pas étrangère, à nous son «image». Elle est apparentée à notre esprit, bien qu'elle surpasse notre nature créée. La trans­cendance du Père explique pourquoi nous devons lutter pour l'assi­miler complètement. C'est librement que nous allons au-devant de cet effort ascétique, tout à la fois éprouvant et inspirant. Par la prière, la force du Très-Haut descend sur nous. Ce ne sont pas nos vains efforts, mais le Saint-Esprit qui réalise en nous ce que nous recherchons et espérons. Nous sommes dans la douleur et l'affiic­tion, parce que nous ne contenons pas la plénitude divine en nous-mêmes. Nous avons mal et nous souffrons, mais en même temps nous sommes comblés de joie dans cette souffrance même; dans notre amour, nous vénérons Dieu et l'adorons. Notre prière n'est - dans sa forme la plus pure - rien d'autre que l'exultation de notre esprit devant Lui.

« Seigneur, apprends-nous à prier [ ... ]. Il leur dit : "Lorsque vous priez, dites: Notre Père"» (Lc 11, 1-2). «Vous donc, priez ainsi» (voir Mt 6, 9-13) :

Notre Père qui es aux cieux,

que ton Nom soit sanctifié: Tu as donné à mon esprit de respirer le parfum de ta sainteté, et maintenant mon âme a soif d'être sainte en Toi.

Que ton règne vienne: écoute ma prière: que ta vie royale me remplisse, moi qui suis pauvre et misérable, et qu'elle devienne ma vie dans les siècles des siècles.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, sur la terre de mon être créé ... : Que je sois inclus, moi aussi, mortel que je suis, dans le grand courant de cette Lumière, comme il est en Toi-même depuis le commencement.

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour: avant tout et après tout, « le vrai pain qui descend des cieux et donne la vie au monde» (In 6, 32-33).

Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés: Je t'implore, envoie sur moi qui suis plongé dans la corruption, la grâce de ton Saint-Esprit: qu'Il me donne la force de pardonner tout à tous, afin qu'aucun obstacle ne reste en moi et ne m'empêche de recevoir de Toi le pardon de mes innombrables péchés.

Et ne nous soumets pas à la tentation: Ô Toi qui sondes les cœurs, Tu connais ma perversité et mon penchant au péché, je t'en supplie: envoie ton Ange avec une épée enflammée pour qu'il me barre le passage conduisant à la chute (voir Nb 22, 22s).

Mais délivre-nous du Malin: Père saint, tout-puissant et bon, délivre-moi de l'emprise de notre Ennemi, ton Adversaire. Lutter seul contre lui est au-delà de mes forces.

Notre prière est - dans un premier temps - une prière de demande pour nous-mêmes. Mais lorsque l'Esprit Saint accroît notre connaissance et élargit le champ de notre conscience, elle prend des dimensions cosmiques. En invoquant « notre Père », par le mot «notre », nous pensons à toute l'humanité, et nous implorons la grâce sur tous les hommes avec la même ferveur que pour nous-mêmes.

« Que ton Nom soit sanctifié » parmi tous les peuples.

« Que ton règne vienne » dans l'âme de tous les hommes, de telle sorte que la Lumière de la vie qui jaillit de Toi devienne la vie de notre monde tout entier.

 « Que ta volonté soit faite », la seule qui soit sainte et capable d'unir tous les hommes dans leur amour pour Toi sur la terre que nous habitons, tout comme elle règne au ciel parmi les saints.

«Délivre-nous du Malin » - du «meurtrier» (ln 8, 44) qui sème partout l'ivraie de la haine et de la mort (voir Mt 13,27-28).

Dieu, assurément, sauve des individus isolés qui souffrent et des peuples entiers, s’ils dirigent leurs pas selon ses voies et crient vers Lui pour implorer Son secours.

 

 

Référence :

Voir Dieu tel qu’Il Est. Archimandrite Sophrony. Cerf.2004.

Saturday, June 4, 2022

Man and the Church.
Saint Sophrony the Athonite.

    

    
     “The man that was manifested at the first creation of the world, and he that shall be after the consummation of all, are alike: they equally bear in themselves the divine image. For this reason the whole race was spoken of as one man, namely, that to God’s power nothing is either past or future, but even that which we expect is encompassed, equally with what is at present existing, by the all-sustaining energy. Our whole nature, then, extending from the beginning to the end, is, so to say, one image of Him Who Is”.(the writings of the Fathers).

    You will say, then, what is this reason, in accordance with which the change of our painful life to that which we desire does not take place at once, but this heavy and corpo­real existence of ours waits, extended to some determinate time, for the term of the consummation of all things, that then man's life may be set free as it were from the reins, and revert once more, released and free, to the life of blessedness and impassibility? Well, whether our answer is near the truth of the matter, the Truth itself may clearly know; but at all events what occurs to our intelligence is as follows. I take up then once more in my argument our first text: God says, "Let us make man in our image, after our likeness"; and "God created man, in the image of God created He him". Accordingly, the image of God, which we behold in univer­sal humanity, had its consummation then; but Adam as yet was not made. For the earthly creature is called Adam by et­ymological nomenclature, as those tell us who are ac­quainted with the Hebrew tongue - wherefore also the Apostle, who was specially learned in his native tongue, the tongue of the Israelites, calls the man "of the earth" [choikos, 1 Cor. 15:47] translating the name Adam into the Greek word. Man, then, was made in the image of God; that is, the universal nature, the thing like God; not part of the whole, but all the fulness of the nature together was so made by om­nipotent wisdom.'

    Thus we see that 'men have a common nature, one sin­gle nature in many human persons. This distinction of nature and person in man is no less difficult to grasp than the anal­ogous distinction of the one nature and three persons in God.

    Above all, we must remember that we do not know the person, the human hypostasis in its true condition, free from alloy. We commonly use the words “persons” or “personal” to mean individuals, or individual. We are in the habit of thinking of these two terms, person and individual, almost as if they were synonyms. But, in a certain sense, individual and person mean opposite things. As long as human hypostases do not go beyond the limitations inherent to them on the individual level, they will remain incapable of realizing the universal consummation of which St Gregory speaks, incapable of truly bearing within themselves all the fullness of being. Imperfect, non-universal hypostases- “human individuals”- will not achieve full and universal unity in their relations with those who are like them; they will remain only partially united, within the limits of their capacities.

    St Maximus writes: “In Christ, who is God and the Word of the Father, "dwelleth the fulness of the godhead bodily" [Col. 2:9] according to His nature, And in us the fulness of the godhead dwells by grace, [ ... ]  for it is not inappropriate that in us, too, Who are "words" by adoption. the fulness of the godhead should dwell. St Maximus is here in full agreement with St Paul, Who says: 'that ye might be filled with all the fulness of God' [Eph. 3: 19].

    Elsewhere, too, St Maximus has written: 'When all this has been accomplished, [man], having united created nature with uncreated Nature through love (O, the greatness of God's mercy towards us!), will present them united and identical, for he will be totally and entirely permeated by the fulness of God, having become all that God is excepting the identity of essence. In giving himself, he receives God in His fulness; in his ascension to the very God, he receives as a reward God Himself, who is the end of movement for everything that moves, and the secure stillness of all who strive towards Him, the infinite goal of every act.

    Thus we may say that by Christ's incarnation, by His death on Golgotha, by His resurrection from the dead, by the ascension of human nature to its equality with the Father, and by the descent of the Holy Spirit, God has accomplished absolutely everything necessary for our salvation. If, in the history of the world, the unity of which we have written re­mains unrealized, this is entirely due to men's resistance to the love of Christ. This unity cannot be realized without the efforts of men themselves, for love cannot be imposed from outside. St Maximus tells us that when God brought reason­ endowed creatures into being He imparted to them four di­vine attributes: existence, eternal being, goodness and wisdom. Of these qualities, the first two were directly be­stowed by God upon reasonable nature, whereas the two oth­ers - goodness and wisdom - depend on the human will, so that what God is in Himself by Nature, His creature may be­come by participation. Existence or non-existence depend on their Author, but participation in divine goodness and wisdom depends not only on God but also on the will of man.

     In conclusion, let us recall these lines of the eminent Russian theologian, Father Georges Florovsky:

    'The Church is one. This unity is the very existence of the Church. The Church is unity, unity in Christ which is "the unity of the Spirit in the bond of peace". The Church is established and grows in the world precisely for this unity _ "that they all may be one". The Church is a single body, which is the Body of Christ. "We have all been baptised in one Spirit, and form one body." And it is only in the Church that this unity is possible and realizable. Only in the Church is it genuine and real, in the mystery of the love of Christ, in the transfiguring power of the Spirit, after the image and likeness of the consubstantial Trinity.

 

 

Reference:

Truth and Life. Archimandrite Sophrony Sakharov. Essex 2014.