Saturday, October 27, 2018

“Mon fils, donne-moi ton Cœur” (Pr23 : 26).
Père Boris Bobrinskoy.


Père Boris 

Bobrinskoy.
Père Boris Bobriskoy, est l’un des grands Théologiens Orthodoxes des XXe et XXIe siècles, auteur de plusieurs ouvrages de théologie et de liturgie.

Il est clair que dans le cadre de l'anthropologie de la Bible et de l'Église, la prière et la vie intérieure engagent l'homme tout entier. Les psaumes offrent des exemples saisissants du rôle du corps dans la prière: Mon âme a soif de toi, mon Dieu; après toi languit ma chair, Comme une terre sèche, altérée, sans eau.” La chair a part à cette soif, à cette recherche de Dieu. Lorsque Dieu rencontre l'homme et le pénètre, il le pénètre dans sa totalité, le transfigure dans son âme et dans son corps.
Dans une telle perspective, l'origine de la vie spirituelle ne sera plus l'Intellect, l'intelligence de l'homme ne sera plus considérée comme le lieu de la connaissance et de l'union avec Dieu, comme dans les mystiques platoniciennes de contemplation de l'Intelligible par ce qui dans l'homme lui est le plus semblable, c'est-à-dire l'intelligence. Dans les Écritures et l'expérience traditionnelle de l'Église, ce n'est plus l'intelligence, mais le cœur de l'homme qui est l'organe moteur par excellence de toute la vie,
non seulement physiologique, affective, mais aussi de la connaissance naturelle, et en fin de compte, de la vie spirituelle. C'est dans le cœur que se font les choix les plus intimes et tes plus secrets, nous le savons d'après l'Évangile: “C'est du trop plein du cœur que la bouche parle”(Mt12 : 34) . L'aveuglement spirituel lui-même est un "épaississement du cœur”(Mt13 : 5) ; en particulier le peuple d'Israël, qui honore Dieu des lèvres, “son cœur est loin de moi”(Mt15 : 8). C'est enfin du cœur que procède tout ce qui sort de la bouche, les pensées et les desseins impurs (Mt15 : 17-19).
C'est au cœur que s'enracine le mystère de la personne humaine dans son secret intérieur, ce secret que seul Dieu connaît. Si l'absence de Dieu est un endurcissement du cœur, c'est par la rénovation du cœur que l'homme retrouve Dieu. “Je mettrai dans votre intérieur un cœur nouveau; j'ôterai le cœur de pierre pour y mettre un cœur de chair.”(Ez12 :1). C'est dans ce cœur nouveau que se réalise l'alliance nouvelle, et par cette alliance, la vie divine s'écoule dans l'homme.
“Mon fils, donne moi ton Cœur”
           Il va de soi que cette insistance sur le rôle central du cœur dans la vie spirituelle, dans la connaissance spirituelle, dans la prière, ne signifie pas un sentimentalisme, une prédominance des sentiments affectifs sur la raison. Le cœur est le centre de toute la vie, non moins de la vie naturelle que de la vie surnaturelle. C'est le but de la vie chrétienne que d'ouvrir son cœur, non dans un sens individualiste, mais dans le sens de vie totale dans l'Église, de l'ouvrir à la présence du Christ par l'Esprit Saint. La tradition spirituelle orthodoxe, surmontant une tentation très réelle dans sa propre histoire, celle du spiritualisme platonicien, retrouvera le cœur, et par lui, le sens de la plénitude de l'homme, de la totalité de l'homme devant Dieu. Je pourrais mentionner les noms de saint Macaire le Grand au IVe siècle, de saint Maxime le Confesseur au VIe siècle, de saint Grégoire Palamas au XIVe. Comme le dit saint Maxime, l'homme reste tout entier dans son âme et dans son corps par Sa grâce, c'est-à-dire que l'homme s'offre tout entier en offrande agréable, selon la parole de saint Paul:
"Offrez vos corps en offrande agréable, à Dieu (Rm12 : 1). " Que signifie offrir son corps si le corps n'est pas une réalité positive?.
Le corps donc participe à la prière; il n'est pas le siège du mal dans l'homme : il existe des péchés intellectuels, je dirais presque des péchés spirituels, non moins que des péchés purement charnels, Si donc d'une part, le corps participe à la prière par la génuflexion, le jeûne, le signe de croix, la prosternation, la station debout, la fatigue, d'autre part la joie spirituelle résultant de la présence du Saint-Esprit dans l'homme, rejaillit sur le corps lui-même.
Les Pères insistent très volontiers sur cette transfiguration du corps, du visage, qui est pénétré de réalités spirituelles, La Joie spirituelle, dit saint Grégoire Palamas, qui vient de l'Esprit dans le corps, n'est pas du tout corrompue par la communion au corps, mais transforme ce corps et le rend spirituel, parce que celui-ci rejette alors les mauvais appétits de la chair, ne tire plus l'âme vers le bas, mais s'élève avec elle, de sorte que l'homme tout entier devient esprit, suivant ce qui est écrit: “Celui qui est né de l'Esprit est esprit”(Jn3 : 6).
Il nous apparaît donc que la vie surnaturelle restaure la vraie hiérarchie dans l'homme, La vraie relation des plans corporel, psychique et spirituel. De par la soumission du corps à l'âme, et de l'âme à l'esprit, l'homme rayonne tout entier de la présence du Saint-Esprit en lui. Ceci transparaît dans un entretien qui nous est rapporté de saint Séraphim avec un disciple. Ce dernier demande en quoi consiste la perfection. Saint Séraphim répond: “À acquérir le Saint-Esprit”. “De quelle manière puis-je savoir que je me trouve sous la grâce du Saint-­Esprit?”  Alors, au-delà des explications qui n'arrivent pas jus­qu'au fond du cœur du disciple, saint Séraphim lui donne l'expérience du Saint-Esprit et lui dit: « Mon ami, nous sommes tous les deux dans l'Esprit, toi et moi; que ne me regardes-tu?. - Père, je ne peux pas vous regarder car votre visage est devenu plus clair que le soleil, mes yeux en sont éblouis, - Remercie Dieu pour son ineffable miséricorde. Tu as pu remarquer que je ne me suis même pas signé, mais dans mon cœur j'ai prié le Seigneur en ces mots: “Seigneur, rends-le digne de voir clairement et avec les yeux de la chair, fais descendre ton Esprit dont tu rends dignes tes serviteurs lorsque tu daignes apparaître dans ta gloire”.
La suite de cet entretien assez extraordinaire nous montre comment l'homme participe tout entier à cette connaissance du Saint-Esprit. Ceci nous explique avec quel sérieux nous devons comprendre la parole du Credo sur l'Incarnation: le Christ n'est pas seulement devenu intelligence, “il est devenu chair”, afin de sauver l'homme tout entier.
La prière n'est possible que par la restauration de cette vraie hiérarchie des plans de la nature humaine, par la soumission du corps à l'âme, de l'âme à l'esprit, par le détachement de soi, la “pauvreté en esprit”(Mt5 : 3), c'est-à-dire la pauvreté, le dénuement spirituels, L'état de prière et de communion avec Dieu demande le dépouillement des valeurs temporelles, inférieures, la soumission de celles-ci à la seule réalité importante, l'avènement du Royaume de Dieu.

Référence :
La Douloureuse Joie. Abbaye de Bellefontaine.(2007)