Père Marcel Sarkis. |
Intervention présentée par Père Marcel Sarkis,
à la conférence, portant le thème "Jusqu’Au Terme Accompagner La Vie", organisée par l’association
JATALV au Centre de Rencontres
Internationales à Monaco.
Père Marcel est recteur de l'Église de tous les saints de la terre Russe en Alpes Maritime, et le fondateur du bulletin “Le Bon Pasteur”, qui vise “apporter un témoignage sur nos Pères et Ancêtres dans la Foi qui ont vécu et qui vivent encore dans une région communément appelée le Moyen-Orient”.
La Spiritualité peut être abordée sous plusieurs angles mais je vais m'en tenir à celui qui me permet de l'associer à la foi en Dieu et essayer avec vous l'art de vivre dans ce sens. Car l'art de vivre dans le christianisme ne consiste pas à s'opposer à la mort ou à la rejeter mais se fonde sur une foi inébranlable en la victoire, par la mort, sur la mort qui devient ainsi une porte à la vie éternelle.
Je ne vous dirais rien de neuf si
je vous rappelle que la société est organisée de telle façon que les soucis
humains sont prioritaires, à la fois pour l'individu et pour la collectivité.
L'homme veut par lui-même produire son bonheur et éloigner le malheur.
L'on entend souvent dire « plus jamais ça» pour exprimer une volonté commune d'éviter qu'une telle ou telle adversité ne survienne à nouveau dans notre vie et l'on cherche avec beaucoup d'exigence un coupable à juger. Notre société, par cette démarche, veut affirmer un rejet de Dieu ou au moins une relégation du spirituel à des niveaux plus rétrogrades et moins efficaces. Dans certaines mesures, notre société associe Dieu, entre autres, à la souffrance qui n'est plus admise comme partie prenante de la vie. Et, parallèlement, quand elle se réjouit d'un bonheur quelconque, elle reçoit la joie du moment présent mais ne veut pas l'associer à l'espérance des biens à venir, car cela demande un investissement à plus long terme que l'on ne sait plus produire par manque de constance et de persévérance.
L'on entend souvent dire « plus jamais ça» pour exprimer une volonté commune d'éviter qu'une telle ou telle adversité ne survienne à nouveau dans notre vie et l'on cherche avec beaucoup d'exigence un coupable à juger. Notre société, par cette démarche, veut affirmer un rejet de Dieu ou au moins une relégation du spirituel à des niveaux plus rétrogrades et moins efficaces. Dans certaines mesures, notre société associe Dieu, entre autres, à la souffrance qui n'est plus admise comme partie prenante de la vie. Et, parallèlement, quand elle se réjouit d'un bonheur quelconque, elle reçoit la joie du moment présent mais ne veut pas l'associer à l'espérance des biens à venir, car cela demande un investissement à plus long terme que l'on ne sait plus produire par manque de constance et de persévérance.
Nous avons en nous le souvenir de
la vie au Paradis, celui de la vie avec Dieu. Cet art de vie paradisiaque,
pendant lequel l'homme, avant la chute, ne connaissait ni la maladie ni la mort
mais vivait dans la sérénité et la paix, est ancré dans chacun de nous. C'est
pourquoi nous croyons que l'homme désire avec ardeur retrouver cet état de
quiétude, et ce retour est possible selon le témoignage de nos Pères à travers
l'expérience, par la grâce, de la vie en Dieu. Cet état de grâce que nous
pouvons atteindre dès ce monde et que nous appelons « l 'hésychasme », un mot
grec qui veut dire: le calme - le silence, exprime avant tout dans la pratique
spirituelle enracinée dans la Tradition de l'Eglise Orthodoxe «la libération
des passions ». Cette libération nous permet d'entrevoir dans le monde présent
les effets du monde à venir mais dont les prémices sont révélés dans le livre
de l'Apocalypse où le Seigneur « essuiera toute larme, et la mort ne sera plus,
etil n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. » (Ac. 21,4)
Ceux qui pratiquent l'hésychasme
ne ressentent plus sur eux l'emprise
permanente des passions et par conséquent,
ils se sentent parallèlement libérés de l'emprise physique et psychologique que
la douleur peut faire endurer à l'homme, même si le corps continue à manifester
les effets de cette souffrance et pâtir de sa déchéance.
Père Joseph l'hésychaste,
héros contemporain de l'hésychasme.
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La désobéissance à Dieu a
corrompu l'homme et par la désobéissance - qui est pour nous la racine du péché
- la mort est entrée dans le monde et s'est répandue parmi les hommes (Cf. Rm.
5,12), car tous en subissent les conséquences par héritage et par participation
personnelle.
Rien n'est comparable à la
crainte de la mort, disions-nous à une époque, mais aujourd'hui, nombreux sont
ceux qui appellent la mort de leur vœu pour en finir avec une maladie chronique
ou une souffrance devenue intolérable. La mort était l'ennemi mais pour
beaucoup, de nos jours, le handicap et la maladie le sont devenus. Nous disons
aux premiers comme aux seconds, que la vie dans la souffrance n'est pas une
fatalité et que la mort ainsi que les douleurs ont été vaincues par Celui qui a
supporté les flagellations, les coups, les crachats et la mort sur la Croix.
Non seulement, Il les a vaincus mais a donné la Vie à ceux qui gisaient aux
tombeaux.
Aucune interprétation, ni
spirituelle, ni biologique, ni scientifique, ne peut consoler celui qui a perdu
un être cher et qui pleure son départ et le vide laissé par ce fait. L'absence
nous est dure à supporter car nous ne pouvons prolonger la relation avec l'être
disparu. La douleur est à la hauteur de l'amour et du chagrin, pleurer n'est qu'un
constat de dépassement et d'incompréhension.
Vous me direz: et pourquoi y
a-t-il toute cette souffrance et pourquoi la mort? Pourquoi Dieu donne et
reprend? (Cf. Jb 1,21) Combien d'entre nous ont dans la bouche et dans le cœur
les paroles que la femme de Job lui a adressé quand il a appris qu'il venait de
tout perdre : « Tu demeures ferme dans ton intégrité! Maudis Dieu, et meurs! »
(Jb. 2,9-10)
En effet, il est très difficile
d'y répondre et nous n'allons pas prétendre avoir cerné la question mais nous
essayerons d'apporter quelques éléments de réponse car, dans le cas contraire,
si nous demeurons dans l'ignorance absolue, nous serons amenés à cultiver la
pensée qui dit que Dieu est coupable de nos malheurs et à nous dégager en tant
qu'hommes libres de toute responsabilité.
Nous croyons en un Dieu d'amour
et de miséricorde, un Dieu qui offre Sa Parole incarnée, celle qu'Il enfante de
toute éternité, en l'envoyant prendre notre nature humaine et participer à
notre vie dans tous ses aspects: le Christ a été ému, pris de pitié,
d'angoisse, a eu faim et a été maltraité et crucifié pour annoncer une
espérance qui fait que les situations quelles qu'elles soient ne sont que
passagères et que l'Amour vaincra la douleur et la tristesse et même, et
surtout, la séparation de la mort.
La maladie et la mort surprennent
notre orgueil et la confiance démesurée que nous plaçons en notre force, notre
pouvoir et nos moyens. Heureux « le doux et l'humble de cœur à l'image du
Seigneur qui donne le repos à nos âmes» (Cf. Mt.l l ,29), car celui ci perçoit
de son vivant la nécessité primordiale de chercher le renfort et le réconfort
dont il a besoin sans attendre d'être ébranlé par la maladie ou la disparition
d'un proche.
Si nous acceptons la tentation de
l'isolement et du renfermement sur soi, alors la maladie ou la séparation
deviennent insupportables. Cette situation nous fait croire que nous sommes
esseulés et abandonnés de tous. Cela nous fait penser que ni Dieu ni homme ne
peuvent ressentir ce que nous avons sur le cœur. Le danger devient réel si une
telle situation perdure, ce qui mène inexorablement à des choix extrêmes entre
la vie et la mort.
Mais si nous arrivons à la
conviction que l'absence n'est pas une rupture totale, nous pouvons découvrir,
par la prière, les liens de communion que nous avons avec les êtres disparus.
Ceci exige que nous acceptions leur départ de ce monde et leur naissance au
ciel, que nous croyions à la communion des saints et à la force de
l'intercession de ceux qui prient pour ceux qui ne peuvent plus prier
eux-mêmes. Nous ne pouvons nous appuyer sur les réactions émotionnelles pour
prolonger la mémoire de ceux qui nous ont quittés et ne sont plus présents
physiquement dans notre vie.
Saint Job, modèle de la patience et l'amour de Dieu.
Fresque à la Cathédrale Gracacina à Kosovo. (1321).
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Celui qui souffre cherche souvent
des éléments de réponse, les autres prennent acte de sa souffrance et essayent
de la partager avec lui mais ils ne peuvent cohabiter avec celui qui porte la
souffrance en son cœur ou en son corps. La souffrance sur ce plan reste
personnelle, mais nous sommes appelés à briser le cercle vicieux de la plainte
sans fin pour ne pas succomber à la tentation de jouir intimement de cette
complainte. En fait, à un moment donné, nous réalisons qu'il faut s'ouvrir et
demander de l'aide pour pacifier notre cœur.
Les maladies dites chroniques
sont de cet ordre, le corps médical tente de soigner et d'apaiser la souffrance
tout en préparant les malades à une vie faite de patience et de rébellion. Il
en est de même dans certaines épreuves spirituelles que les Pères de l'Eglise
qualifient comme accompagnant celui qui mène un combat spirituel toute sa vie
durant. Nous pouvons confier nos corps à ceux qui les soignent tout en confiant
notre âme et notre esprit à Celui qui apporte la consolation dans les épreuves.
Nous pouvons aussi nous confier entièrement à Celui qui est à la fois médecin
de nos âmes et de nos corps.
La mort n'est pas un traitement
personnel, elle est un passage obligatoire et nul n'est exempt qu'il soit
Pécheur ou Juste, sous le regard de Dieu, car « il n y a pas un homme qui vit
et qui ne pêche pas. » Elle est aussi d'après la Tradition de l'Eglise une
grâce accordée par Dieu aux hommes après la chute, afin qu'ils ne vivent sans
fin dans la souffrance, la maladie et la crainte. La mort est une porte que
nous poussons pour quitter ce monde et ses épreuves. Elle reste un mystère
malgré nos approches, un mystère dont Dieu seul dévoilera les secrets quand la
plénitude des temps sera au rendez-vous.
Ce que nous pouvons offrir à
celui qui souffre, c'est tout simplement ce que nous souhaitons avoir à notre
portée quand nous sommes dans la souffrance: une disposition d'écoute et une
présence, même dans le silence, ou peut-être surtout dans le silence. Le plus
souvent, la première des attentes de ceux qui souffrent se résume au désir ou
au besoin d'être écouter.
Quant au chrétien, il est utile
de lui rappeler qu'il ne vit pas que pour lui mais plutôt qu'il a reçu la Vie
comme don qu'il exerce en tension vers Dieu et le prochain. Qu'il est appelé à
devenir à tout moment huile et vin du bon samaritain avec lesquels il panse et
soigne les blessures de tous ceux qui souffrent et qui sont abandonnés sur les
bords des routes de ce monde.
Il convient aussi de lui parler
du martyr chrétien livré aux bourreaux en raison de son refus d'abjurer sa foi,
et dont la mort est célébrée comme une victoire dans l'Eglise. Il est honoré en
tant que disciple et imitateur du Christ et, grâce à qui, la cérémonie
d'accompagnement du défunt est passée du stade limité à la famille et aux
proches, à une cérémonie réunissant la communauté des fidèles.
La mort, la véritable naissance!.
Le repos dans le Seigneur
de Mère “Eupraksia”.
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De même, on peut aussi parler au
chrétien de la prise de conscience qui est née au sujet de l'importance des
reliques: on les place, jusqu'à aujourd'hui dans la Tradition de l'Eglise
Orthodoxe, scellées dans l'autel. Le rapprochement entre l'autel et le tombeau
à travers la signification de l'offrande était déjà à l'esprit.
Nous pouvons aussi l'encourager à
ne pas vivre la mort comme un châtiment ou une simple fatalité mais plutôt
comme une aventure en Christ que l'on prépare avec soin et attention. La souffrance
pourrait, dans ce cas, se révéler comme moteur fournissant l'énergie nécessaire
pour poursuivre une telle démarche. Notre attitude face à la souffrance et à la
mort se définit principalement par celle adoptée lors d'un combat spirituel.
Nous sommes liés à la terre de
par notre incarnation, de par notre nature terrestre; mais cette nature,
appelée à recevoir le Christ, reçoit de Lui une dimension qui dépasse toutes
les considérations qui nous semblent ici-bas existentielles. C'est ce qui rend
celui qui tend vers la sainteté moins incandescent dans ses pensées, moins
passionné dans ses raisonnements, moins prompt à la réaction intempestive.
Faut-il rappeler finalement «
qu'il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel»
comme entre autres, « un temps pour engendrer, et un temps pour mourir:» (Cf.
Ecc.3,1-2)
Le plus difficile reste pour
autant de pouvoir joindre les actes à la parole chaque fois que c'est
nécessaire, mais, ce qui est impossible à l’homme est toujours possible à Dieu
qui est la source de notre inspiration, car la volonté humaine seule se révèle
souvent insuffisante.
Que Dieu vous bénisse, amin.
Référence :
Bulletin “le Bon Pateur”,
Octobre2012, Numéro13.
https://orthodoxesantiochenice.files.wordpress.com/2012/11/bulletin-numc3a9ro-13-format-a5-octobre-20122.pdf