Saturday, July 21, 2018

La spiritualité et l’art de vivre
Père Marcel Sarkis.

Père Marcel Sarkis.
Intervention présentée par Père Marcel Sarkis, à la conférence, portant le thème "Jusqu’Au Terme Accompagner La Vie", organisée par l’association JATALV  au Centre de Rencontres Internationales à Monaco.
Père Marcel est recteur de l'Église de tous les saints de la terre Russe en Alpes Maritime, et le fondateur du bulletin “Le Bon Pasteur”, qui vise “apporter un témoignage sur nos Pères et Ancêtres dans la Foi qui ont vécu et qui vivent encore dans une région communément appelée le Moyen-Orient”.

La Spiritualité peut être abordée sous plusieurs angles mais je vais m'en tenir à celui qui me permet de l'associer à la foi en Dieu et essayer avec vous l'art de vivre dans ce sens. Car l'art de vivre dans le christianisme ne consiste pas à s'opposer à la mort ou à la rejeter mais se fonde sur une foi inébranlable en la victoire, par la mort, sur la mort qui devient ainsi une porte à la vie éternelle.
Je ne vous dirais rien de neuf si je vous rappelle que la société est organisée de telle façon que les soucis humains sont prioritaires, à la fois pour l'individu et pour la collectivité. L'homme veut par lui-même produire son bonheur et éloigner le malheur.
L'on entend souvent dire « plus jamais ça» pour exprimer une volonté commune d'éviter qu'une telle ou telle adversité ne survienne à nouveau dans notre vie et l'on cherche avec beaucoup d'exigence un coupable à juger. Notre société, par cette démarche, veut affirmer un rejet de Dieu ou au moins une relégation du spirituel à des niveaux plus rétrogrades et moins efficaces. Dans certaines mesures, notre société associe Dieu, entre autres, à la souffrance qui n'est plus admise comme partie prenante de la vie. Et, parallèlement, quand elle se réjouit d'un bonheur quelconque, elle reçoit la joie du moment présent mais ne veut pas l'associer à l'espérance des biens à venir, car cela demande un investissement à plus long terme que l'on ne sait plus produire par manque de constance et de persévérance.
Nous avons en nous le souvenir de la vie au Paradis, celui de la vie avec Dieu. Cet art de vie paradisiaque, pendant lequel l'homme, avant la chute, ne connaissait ni la maladie ni la mort mais vivait dans la sérénité et la paix, est ancré dans chacun de nous. C'est pourquoi nous croyons que l'homme désire avec ardeur retrouver cet état de quiétude, et ce retour est possible selon le témoignage de nos Pères à travers l'expérience, par la grâce, de la vie en Dieu. Cet état de grâce que nous pouvons atteindre dès ce monde et que nous appelons « l 'hésychasme », un mot grec qui veut dire: le calme - le silence, exprime avant tout dans la pratique spirituelle enracinée dans la Tradition de l'Eglise Orthodoxe «la libération des passions ». Cette libération nous permet d'entrevoir dans le monde présent les effets du monde à venir mais dont les prémices sont révélés dans le livre de l'Apocalypse où le Seigneur « essuiera toute larme, et la mort ne sera plus, etil n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur. » (Ac. 21,4)
Ceux qui pratiquent l'hésychasme ne ressentent plus sur eux l'emprise
Père Joseph l'hésychaste,
 héros contemporain de l'hésychasme.
permanente des passions et par conséquent, ils se sentent parallèlement libérés de l'emprise physique et psychologique que la douleur peut faire endurer à l'homme, même si le corps continue à manifester les effets de cette souffrance et pâtir de sa déchéance.
La désobéissance à Dieu a corrompu l'homme et par la désobéissance - qui est pour nous la racine du péché - la mort est entrée dans le monde et s'est répandue parmi les hommes (Cf. Rm. 5,12), car tous en subissent les conséquences par héritage et par participation personnelle.
Rien n'est comparable à la crainte de la mort, disions-nous à une époque, mais aujourd'hui, nombreux sont ceux qui appellent la mort de leur vœu pour en finir avec une maladie chronique ou une souffrance devenue intolérable. La mort était l'ennemi mais pour beaucoup, de nos jours, le handicap et la maladie le sont devenus. Nous disons aux premiers comme aux seconds, que la vie dans la souffrance n'est pas une fatalité et que la mort ainsi que les douleurs ont été vaincues par Celui qui a supporté les flagellations, les coups, les crachats et la mort sur la Croix. Non seulement, Il les a vaincus mais a donné la Vie à ceux qui gisaient aux tombeaux.
Aucune interprétation, ni spirituelle, ni biologique, ni scientifique, ne peut consoler celui qui a perdu un être cher et qui pleure son départ et le vide laissé par ce fait. L'absence nous est dure à supporter car nous ne pouvons prolonger la relation avec l'être disparu. La douleur est à la hauteur de l'amour et du chagrin, pleurer n'est qu'un constat de dépassement et d'incompréhension.
Vous me direz: et pourquoi y a-t-il toute cette souffrance et pourquoi la mort? Pourquoi Dieu donne et reprend? (Cf. Jb 1,21) Combien d'entre nous ont dans la bouche et dans le cœur les paroles que la femme de Job lui a adressé quand il a appris qu'il venait de tout perdre : « Tu demeures ferme dans ton intégrité! Maudis Dieu, et meurs! » (Jb. 2,9-10)
En effet, il est très difficile d'y répondre et nous n'allons pas prétendre avoir cerné la question mais nous essayerons d'apporter quelques éléments de réponse car, dans le cas contraire, si nous demeurons dans l'ignorance absolue, nous serons amenés à cultiver la pensée qui dit que Dieu est coupable de nos malheurs et à nous dégager en tant qu'hommes libres de toute responsabilité.
Nous croyons en un Dieu d'amour et de miséricorde, un Dieu qui offre Sa Parole incarnée, celle qu'Il enfante de toute éternité, en l'envoyant prendre notre nature humaine et participer à notre vie dans tous ses aspects: le Christ a été ému, pris de pitié, d'angoisse, a eu faim et a été maltraité et crucifié pour annoncer une espérance qui fait que les situations quelles qu'elles soient ne sont que passagères et que l'Amour vaincra la douleur et la tristesse et même, et surtout, la séparation de la mort.
La maladie et la mort surprennent notre orgueil et la confiance démesurée que nous plaçons en notre force, notre pouvoir et nos moyens. Heureux « le doux et l'humble de cœur à l'image du Seigneur qui donne le repos à nos âmes» (Cf. Mt.l l ,29), car celui ­ci perçoit de son vivant la nécessité primordiale de chercher le renfort et le réconfort dont il a besoin sans attendre d'être ébranlé par la maladie ou la disparition d'un proche.
Si nous acceptons la tentation de l'isolement et du renfermement sur soi, alors la maladie ou la séparation deviennent insupportables. Cette situation nous fait croire que nous sommes esseulés et abandonnés de tous. Cela nous fait penser que ni Dieu ni homme ne peuvent ressentir ce que nous avons sur le cœur. Le danger devient réel si une telle situation perdure, ce qui mène inexorablement à des choix extrêmes entre la vie et la mort.
Mais si nous arrivons à la conviction que l'absence n'est pas une rupture totale, nous pouvons découvrir, par la prière, les liens de communion que nous avons avec les êtres disparus. Ceci exige que nous acceptions leur départ de ce monde et leur naissance au ciel, que nous croyions à la communion des saints et à la force de l'intercession de ceux qui prient pour ceux qui ne peuvent plus prier eux-mêmes. Nous ne pouvons nous appuyer sur les réactions émotionnelles pour prolonger la mémoire de ceux qui nous ont quittés et ne sont plus présents physiquement dans notre vie.
Saint Job, modèle de la patience et l'amour de Dieu.
Fresque à la Cathédrale Gracacina à Kosovo. (1321). 
Quels sont les mécanismes du déclenchement de la tristesse: est-ce vraiment la souffrance physique ou la séparation d'avec un être aimé ou bien le sentiment d'échec ou de rejet... Il nous semble que c'est tout cela à la fois mais il n'y a qu'une seule lumière au bout du tunnel, celle de l'espérance! La révolte ne peut s'estomper que lorsque l'on découvre à nouveau l'espace commun avec Dieu, le lieu de confiance, de sobriété et de sérénité, dans lequel nous pouvons pleinement dire: « Que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se réalise. » (Lc.22,42)
Celui qui souffre cherche souvent des éléments de réponse, les autres prennent acte de sa souffrance et essayent de la partager avec lui mais ils ne peuvent cohabiter avec celui qui porte la souffrance en son cœur ou en son corps. La souffrance sur ce plan reste personnelle, mais nous sommes appelés à briser le cercle vicieux de la plainte sans fin pour ne pas succomber à la tentation de jouir intimement de cette complainte. En fait, à un moment donné, nous réalisons qu'il faut s'ouvrir et demander de l'aide pour pacifier notre cœur.
Les maladies dites chroniques sont de cet ordre, le corps médical tente de soigner et d'apaiser la souffrance tout en préparant les malades à une vie faite de patience et de rébellion. Il en est de même dans certaines épreuves spirituelles que les Pères de l'Eglise qualifient comme accompagnant celui qui mène un combat spirituel toute sa vie durant. Nous pouvons confier nos corps à ceux qui les soignent tout en confiant notre âme et notre esprit à Celui qui apporte la consolation dans les épreuves. Nous pouvons aussi nous confier entièrement à Celui qui est à la fois médecin de nos âmes et de nos corps.
La mort n'est pas un traitement personnel, elle est un passage obligatoire et nul n'est exempt qu'il soit Pécheur ou Juste, sous le regard de Dieu, car « il n y a pas un homme qui vit et qui ne pêche pas. » Elle est aussi d'après la Tradition de l'Eglise une grâce accordée par Dieu aux hommes après la chute, afin qu'ils ne vivent sans fin dans la souffrance, la maladie et la crainte. La mort est une porte que nous poussons pour quitter ce monde et ses épreuves. Elle reste un mystère malgré nos approches, un mystère dont Dieu seul dévoilera les secrets quand la plénitude des temps sera au rendez-vous.
Ce que nous pouvons offrir à celui qui souffre, c'est tout simplement ce que nous souhaitons avoir à notre portée quand nous sommes dans la souffrance: une disposition d'écoute et une présence, même dans le silence, ou peut-être surtout dans le silence. Le plus souvent, la première des attentes de ceux qui souffrent se résume au désir ou au besoin d'être écouter.
Quant au chrétien, il est utile de lui rappeler qu'il ne vit pas que pour lui mais plutôt qu'il a reçu la Vie comme don qu'il exerce en tension vers Dieu et le prochain. Qu'il est appelé à devenir à tout moment huile et vin du bon samaritain avec lesquels il panse et soigne les blessures de tous ceux qui souffrent et qui sont abandonnés sur les bords des routes de ce monde.
Il convient aussi de lui parler du martyr chrétien livré aux bourreaux en raison de son refus d'abjurer sa foi, et dont la mort est célébrée comme une victoire dans l'Eglise. Il est honoré en tant que disciple et imitateur du Christ et, grâce à qui, la cérémonie d'accompagnement du défunt est passée du stade limité à la famille et aux proches, à une cérémonie réunissant la communauté des fidèles.
La mort, la véritable naissance!.
Le repos dans le Seigneur
 de Mère “Eupraksia”.
Ce passage de la société familiale à la communauté ecclésiale explique peut-être une modification caractéristique du rituel païen. L'usage était de commémorer le défunt particulièrement au jour de l'anniversaire de sa naissance ; la communauté religieuse chrétienne choisit, pour célébrer le martyr, le jour de sa mort ou de son enterrement avec une interprétation de la mort comme une véritable naissance qui fait qu'elle n'est plus considérée comme un motif de tristesse mais de joie.
De même, on peut aussi parler au chrétien de la prise de conscience qui est née au sujet de l'importance des reliques: on les place, jusqu'à aujourd'hui dans la Tradition de l'Eglise Orthodoxe, scellées dans l'autel. Le rapprochement entre l'autel et le tombeau à travers la signification de l'offrande était déjà à l'esprit.
Nous pouvons aussi l'encourager à ne pas vivre la mort comme un châtiment ou une simple fatalité mais plutôt comme une aventure en Christ que l'on prépare avec soin et attention. La souffrance pourrait, dans ce cas, se révéler comme moteur fournissant l'énergie nécessaire pour poursuivre une telle démarche. Notre attitude face à la souffrance et à la mort se définit principalement par celle adoptée lors d'un combat spirituel.
Nous sommes liés à la terre de par notre incarnation, de par notre nature terrestre; mais cette nature, appelée à recevoir le Christ, reçoit de Lui une dimension qui dépasse toutes les considérations qui nous semblent ici-bas existentielles. C'est ce qui rend celui qui tend vers la sainteté moins incandescent dans ses pensées, moins passionné dans ses raisonnements, moins prompt à la réaction intempestive.
Faut-il rappeler finalement « qu'il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel» comme entre autres, « un temps pour engendrer, et un temps pour mourir:» (Cf. Ecc.3,1-2)
Le plus difficile reste pour autant de pouvoir joindre les actes à la parole chaque fois que c'est nécessaire, mais, ce qui est impossible à l’homme est toujours possible à Dieu qui est la source de notre inspiration, car la volonté humaine seule se révèle souvent insuffisante.
Que Dieu vous bénisse, amin.


Référence :
Bulletin “le Bon Pateur”, Octobre2012, Numéro13.
https://orthodoxesantiochenice.files.wordpress.com/2012/11/bulletin-numc3a9ro-13-format-a5-octobre-20122.pdf