Saturday, April 7, 2018

La fête…l'allégresse du cœur.
Archimandrite Aimilianos Simonopetra.


Portrait de L'Archimandrite Aimilianos
offert par Père Elisée, higoumène de Simonopetra, 
au monastère Saint Jean-Baptiste, Liban.
L’Archimandrite Aimilianos (Vafeidis) fut l’higoumène du monastère Simonopetra  dès 1974 jusqu’à 2000. Comme jeune enthousiasmé, il avait l’intention de devenir un missionnaire à l’étranger, mais en tant que moine il a vécu une expérience spirituelle spéciale qui l’a transformé en un moine enflammé de zèle pour la rénovation de la vie monastique. C’est ainsi que fut renouvelée la vie monastique au monastère Simonopetra au Mont-Athos, et fondé le monastère de L’Annonciation à Ormilia en Grèce.


         Je suis très heureux de pouvoir, enfin, vous réunir après les jours si denses que nous venons de vivre. Nous pouvons dire que ce temps liturgique, celui de la Grande Semaine, fut le plus beau de l'année.
Les fêtes sont passées. En nous résonnent encore les hymnes de la Passion, auxquelles ont succédé les cris jaillissant de nos cœurs devant le Seigneur ressuscité. Personne ne peut nier que nos fêtes étaient splendides. C'était les fêtes de Dieu, et non de ces fêtes dont on dit: «Je méprise vos fêtes», car elles ont rendu nos cœurs joyeux dans le Christ Jésus.
Nous nous sommes tenus tous ensemble devant Dieu, nous avons chanté d'une seule voix, mais ce que nous avons recueilli peut être tout à fait différent pour chacun car, à l'image de notre Église, nous sommes une assemblée constituée de personnes et non une foule anonyme devant le Seigneur. Ce que chacun a reçu, personne ne le connaît; seul Dieu le sait et «l'esprit de l'homme qui est en lui», l'Esprit qui scrute les profondeurs de notre esprit.
Chacun de nous a vécu ces fêtes à sa manière, et Dieu a donné à chacun ce qu'il s'était préparé à recevoir. Pendant de telles périodes liturgiques, qui sont autant d'occasions d'approfondir notre amour de Dieu, l'homme reçoit ce qu'il a préparé dans son cœur. L'un accueillera Dieu, à un autre la psalmodie sera donnée, un autre encore saisira seulement quelques bribes des hymnes que nous avons chantés, tandis qu'un autre accueillera le Royaume des Cieux. Chacun selon son désir. Il est impossible que Dieu nous donne autre chose que ce que nous attendons, et ce que nous attendons, c'est ce que nous avons semé, tout comme le cultivateur recueille ce qu'il a semé dans son champ.
Pâques au Mont-Athos.
La préparation du cœur est en tout état de cause fondamentale. Elle n'a pas lieu seulement avant les fêtes, c'est une élaboration incessante, que l'âme accomplit en elle-même et qui la rend sainte, élue et capable de recevoir Dieu ou d'accueillir ce que Dieu accorde. Toutefois, selon la condescendance de Dieu, quelqu'un peut préparer du vent et récolter Dieu, ou préparer la colère et recevoir l'Esprit Saint. Dieu est sans besoins, mais nous, nous sommes pauvres et son aide nous est d'autant plus nécessaire.
Nous avons également reçu ce que nous pouvions contenir.
Non seulement ce que nous avons préparé, mais ce que nous pouvons comprendre: «qui peut comprendre, qu'il comprenne! » Nous recevons selon l'idée que nous nous faisons de Dieu. Par exemple : je communie aux Saints Mystères, vous aussi vous communiez. Chacun de nous reçoit les saints Dons et chacun de nous perçoit différemment la divine Communion.
Dieu est au-delà de notre champ de connaissance, mais il est assimilé par nous, selon notre connaissance et notre faculté de perception. C'est la raison pour laquelle le Seigneur dit: «Je suis la Vérité », c'est pourquoi il nous enseigne ce qu'est la Lumière. Plus nous apprenons à nous laisser conduire par l'Esprit divin et plus nous cultivons en nous la connaissance de Dieu, plus nous l'accueillons en vérité, en plénitude, en perfection.
Nous recevons donc selon la capacité de nos cœurs, de notre cerveau, de notre être, de notre vouloir. Nous sommes deux, trois ou vingt-trois devant une source, mais chacun boit de l'eau en fonction de sa soif. Il se passe exactement la même chose dans notre cas.
Cette capacité de compréhension dépend beaucoup de la simplicité de notre cœur, de la pureté de notre prière nocturne, de notre méditation, de notre dépouillement. Elle résulte de la kénose de notre être même. C'est le grand mystère de la liberté de l'homme qui apparaît dans cette assimilation, et Dieu ne force jamais cette liberté. C'est pourquoi je dis : «autant que nous pouvons contenir ».
“Offices du Fiancé”, au monastère 
Saint Jean-Baptiste,Liban, 2018.

Nous avons aussi reçu à la mesure de la souffrance qui fut la nôtre au cours de ces fêtes, car seuls les hommes qui souffrent peuvent participer aux souffrances de Dieu, et compléter les souffrances du Seigneur, qui nous a laissé «un modèle» par sa Passion. Donc, si nous avons nous aussi souffert, si nous avons fléchi les genoux, si notre vie a été vraiment un flot de larmes, si elle fut un martyre jusqu'à déserter cette vie, un abandon et un oubli de notre moi, nous avons d'autant plus accueilli Dieu.
Nous recevons aussi à la mesure de notre amour, lié désormais au plus profond de notre être, et qui est en relation avec notre souffrance, car celle-ci révèle notre amour. Cet amour est attaché à une élévation stable de l'âme laquelle, souffrant, veut monter vers Dieu, et ne trouve de repos en rien d'autre sinon dans la jouissance de l'amour divin, dans la présence de Dieu et dans sa gloire. Plus l'âme est recouverte par la gloire, plus elle s'unit à Dieu. L'amour de Dieu est le résultat de la rencontre avec Dieu.
Par conséquent, plus quelqu'un se tient près de Dieu, plus il l'aime. L'amour est quelque chose dont on ne se rassasie pas. L'amour ne connaît pas de limite, il n'atteint jamais la mesure comble. L'amour prendra fin seulement dans l'autre vie. Donc, quand je dis «à la mesure de notre amour », je veux exprimer à la mesure où toutes choses sont pour nous un désir de perfection inassouvi; elles montrent notre tension vers Dieu et notre limite en Dieu. Autant nous avons aimé, veut dire autant nous avons pleuré. Cela exprime aussi, selon que, dans notre intelligence et de façon inexplicable - consciente seulement pour l'homme souffrant, pour celui qui aime- nous nous anéantissons dans l'infini de Dieu et dans l'effort pour le conquérir.
L'amour de l'homme est une union réelle, car c'est le résultat de la connaissance de Dieu, et cette connaissance s'obtient par la participation à Dieu, par l'action de le manger et de le boire (sainte Communion). Plus notre être est pétri de Dieu, plus nous l'aimons, plus il vient demeurer en nous.
Je résume: nous avons accueilli Dieu à la mesure de notre préparation, autant que nous pouvons comprendre, proportionnellement à notre souffrance, selon que nous avons aimé et pleuré. Bien sûr, tout cela est caché derrière notre sourire, derrière notre joie authentique, derrière la démarche d'un homme qui témoigne de Dieu par sa paix, sa sérénité, sa vérité, car il sait que pour lui tout est Dieu.
Et nous sommes arrivés à la limite temporelle du «maintenant », de ce «maintenant» qui, en réalité, n'existe pas puisqu'il disparaît dès que nous le prononçons. Nous avons atteint l'instant du «maintenant» qui ne signifie rien d'autre que: “tant que vaut cet aujourd'hui”. Car, qui connaît la limite de sa vie.?.
La vie de l'homme n'est qu'une approche ou un éloignement de Dieu. C'est un cheminement connu de Dieu seul, et qui n'est, pour nous, qu'une empreinte que laisse l'Esprit Saint, à la mesure où Il circule entre nous et souffle en nous.
Un signe montre que l'Esprit habite en nous: c'est ce que nous appelons l'allégresse du cœur. Quel en est le sens? Certes, nous pourrions dire une joie extérieure, un bonheur, ou encore l'appeler: fête, comme celle des premiers-nés". Toutefois nous disons allégresse du cœur avec l'idée d'un homme dont l'esprit désire Dieu. Dans ce désir, il ressent son approche, et à ce contact il se réjouit. Nous pourrions dire encore qu'il communie à Dieu.
L'allégresse du cœur est cette perception qu'a l'homme d'être avec Dieu, cette certitude de lui avoir remis en pleine confiance son moi. C'est une aisance majestueuse, aisance parce que nous ne ressentons pas la fatigue, c'est aussi tout ce repos dont jouit l'homme parce qu'il est certain que là où il se trouve, Dieu est présent.
Le fameux  sourir du Père Joseph
 de Vatopaidi,après sa mort!.(2009).
L'allégresse du cœur, personne ne peut la nommer. C'est l'expérience la plus profonde que puisse faire l'homme, quand il a compris qu'il n'existe pas de moment où il se trouve seul; Dieu est avec lui à tout instant. Comme le dit le Psalmiste : «Notre secours vient du Seigneur, du Saint d'Israël notre Roi ».

     Le secours dont parle David ne veut pas dire une aide, mais que le Seigneur est ici, avec moi, il est à côté de moi. David s'exprime de façon très caractéristique: «notre secours vient du Seigneur». Comment le Prophète peut- il se situer dans la collectivité et simultanément se placer devant Dieu? Nous dirions, nous: Comment le Prophète peut- il se situer dans l'Église et être dans le sanctuaire de Dieu?
Quand quelqu'un sait que Dieu est «son Roi », il en a la certitude intime. Cependant Dieu n'est pas seulement son Roi, il est aussi le Roi d'Israël, notre Roi à tous. Par conséquent, cette certitude est dans l'assurance du Corps du Christ. Un tel homme ne vit pas simplement sa certitude personnelle, mais celle de l'Église. Ce n'est pas sa propre joie mais la joie de l'Église, ni son éternité mais l'éternité de l'Église. C'est parce que le Roi Dieu est dans son Royaume, Israël, que le fidèle se trouve uni à lui dans l'Église, le nouvel Israël. On ne peut comprendre différemment le « saint d'Israël notre Roi ».
Songez un peu à la beauté du verset suivant: «Le Seigneur est avec moi, le Seigneur est ici!. » Pourquoi?. Parce que ici se trouve Israël, et où se trouve Israël, là est le Roi, notre Roi. Quelle fierté!. quel hommage quelle certitude!. David voudrait mourir, ou plutôt disparaître devant la grandeur de cette conviction car la mort ne signifie rien étant donné qu'elle n'existe pas, il n'y a pas de séparation puisqu'il est dans Israël, et qu'il se trouve lui aussi dans le Royaume, en Dieu.
L'allégresse du cœur est donc celle d'un cœur broyé, celle d'un cœur dont le moi se brise devant la grandeur de ce qu'il éprouve. Quand quelqu'un vit son ecclésialité, parce qu'il participe à cette Église que les portes de l'Hadès ne peuvent ébranler, lorsqu'il vit sa propre grandeur, il est alors un homme accompli, il connaît l'expression et la révélation de son moi. L'homme se révèle uniquement dans la conscience de son ecclé­sialité. Son incorporation et sa certitude de Dieu le font vivre sans fluctuation, sans contrariété ni peine. Tout comme le rivage reste totalement indifférent aux vagues de la mer, qu'il les reçoit tout en demeurant rivage, sans connaître la peur, ainsi en est-il pour un tel homme. La seule chose qui pour lui a de l'importance, c'est que la vague frappe, et les vagues viennent lui rappeler les vagues successives de l'entrée du Saint-Esprit en lui.
Les afflictions lui montrent Celui qui est au-dessus des afflictions, et les joies - ce sont aussi des vagues - lui montrent Celui qui est aussi le principe de la joie; tout lui manifeste Dieu. Son cœur se réjouit car, quoi qu'il arrive, quel que soit l'objet qu'il prenne en main, à quelque endroit qu'il se trouve, partout il découvre le Roi d'Israël, le Seigneur lui-même. Toute chose lui devient une occasion de retrouver Dieu, de le redécouvrir.
Un tel homme vit l'allégresse, et cette allégresse est stable, sans distraction. Si elle disparaît, cela signifie que nous nous sommes éloignés de Dieu, que notre moi se suis réveillé. Nous avons perdu Dieu et nous vivons un martyre. Ce martyre, cet enfer, Dieu le permet pour que nous nous souvenions du paradis perdu, de ce paradis d'allégresse dans lequel nous étions précédemment. Et un seul péché peut nous conduire à vivre cet enfer, ce martyre, cette absence d'allégresse, C'est pourquoi un tel cœur se réjouit quand il supplie: «Rends- moi la joie de ton salut!.».
Celui qui perd la joie, perd la vision de Dieu. Il perd la sensation de son secours. Il perd donc la conscience de son ecclésialité. Il est immédiatement anéanti, divisé. Il est isolé, il n'existe plus devant Dieu, car Dieu ne peut entrer dans ces profondes ténèbres. Quand l'homme passe par de semblables moments de martyre sans oublier le Seigneur, ni cesser de l'adorer, ces instants le reconduisent toujours à Dieu.
C'est pourquoi, au tréfonds de cet enfer, tout comme au plus profond de notre péché et de la souffrance qui transperce l'âme quand elle est privée de Dieu, nous pouvons crier vers lui. Il peut alors nous ramener à la place que nous occupions précédemment, nous redonner les arrhes de l'Esprit, nous remettre à nouveau en gage l'allégresse du cœur. L'allégresse du cœur est donc le premier signe de l'homme qui vit dans le Saint- Esprit.
  
Référence :

Catéchèses et Discours (2). Sous les ailes de la Colombe. Archimandrite Aimilianos.