Saturday, November 14, 2020

L’Esprit de communion.
Métropolite George Khodr.

            

Le Métropolite George Khodr.
         Témoigner ensemble est un corollaire de l'être ensemble. Si, dès les temps apostoliques, une Église comme celle de Corinthe -unie par la tradition apostolique et la fraction du pain - a pu, à cause d'une division interne, produire un contre-témoignage, a for­tiori des Églises qui ont connu des séparations successives, depuis le schisme du ve siècle jusqu'à la Réforme, ne sauraient manifester au monde leur puissance d'amour ni éviter de voiler la face du Seigneur. Que peut donc signifier, au-delà d'une praxis commune, une communion dans le témoignage?

L'amour est une réalité qui va au-delà de toute connais­sance et qui la détermine. Dans la première épître catholique de saint Jean, nous trouvons une parfaite corrélation entre la commu­nion avec Dieu et la communion les uns avec les autres entre accé­der à la connaissance et à la vérité, demeurer en Dieu et observer le nouveau commandement entre être dans le monde et vaincre le monde. En effet, l'auteur et le lieu du témoignage sont le Saint-­Esprit lui-même. Si nous en sommes ensemble les porteurs, nous manifestons en communauté la vie trinitaire. L'Esprit scelle notre Union et fait de nous une même épiphanie divine. Or, cela ne de­vient possible que si les croyants, étroitement rapprochés dans l’amour, parviennent au plein épanouissement de l'intelligence qui leur fera pénétrer le mystère de Dieu (Co 2, 2). C'est grâce à la participation à ce mystère que nous pouvons œuvrer à « la construc­tion du corps du Christ, au terme de laquelle nous devons parvenir tous ensemble à ne faire qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise ta plénitude du Christ» (Ep 4,12-13). Cette marche vers l'être ecclésial au sens collectif et communionnel s'accomplit dans la vision du mystère de l'Église comme lieu de l'attente de la lumière non crépusculaire, lieu du banquet où les deux parousies se rejoignent, chose impossible dans l'état actuel de division.

Ce n'est pas par un effort commun ou une collaboration planifiée que nous allons ensemble vers le monde. C'est l'identité de l'être eucharistique, signe de l'être de la foi commune, qui nous façonne le même visage et le présente au monde avec les mêmes traits. La nature divine à laquelle nous participons par des ascen­sions sans fin, fait notre unité parce qu'elle fait notre identité. Ce n'est pas seulement l'intelligence qui est éclairée par les enseigne­ments de l'Évangile, mais le cœur qui est purifié en se libérant des passions. Comme le dit saint Maxime le Confesseur, “la lumière divine elle-même accueillie au fond même de mon être et du vôtre, manifeste désormais l'énergie commune à Dieu et à ses élus; ou plutôt, il n'y a plus que Dieu seul dans la mesure où, comme il convient à l'amolur il envahit tout entier ses élus tout entiers ».

C'est ainsi que Dieu accomplit lui-même la Koinonia entre ceux des croyants qu'Il glorifie déjà, à quelque Église qu'ils appar­tiennent. La Koinonia du témoignage est la qualité d'un être ecclé­sial communautaire constitué en Dieu lui-même. L'unité dans l'ac­tion est une conséquence de l'unité de la vision. Le monde n'est sensible qu'à la perfection de vie, d'où qu'elle vienne. Cela ne relativise en rien l'importance du dogme comme signe de l'ortho­doxie de la foi et comme terrain normal de la sainteté. Mais l'Esprit souffle où Il veut, et la sainteté comprise comme illumination et giorification peut être accueillie par tous les hommes. C'est l'en­semble de ces hommes et de ces femmes parvenus dans le mystère à la communion du Saint-Esprit, qui fait le corps du Christ. Si l'on voulait une définition patristique de l'Église, on dirait qu'elle est l'ensemble des hommes déifiés qui sont - parce qu'impassibles, li­bérés des passions - devenus demeure de la Trinité toute sainte. Ceux-là sont entrés dans l'intimité trinitaire selon la parole du Sei­gneur: « Nul ne connait le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connait le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler» (Mt 11,27). Le processus est donc celui-ci: Jésus, parce qu'établi éternellement dans la vision du Père, nous institue témoins «avec puissance selon l'Esprit de sainteté» (Rm 1,4), dans la mesure où nous participons déjà de la résurrection des morts. Le témoignage qui est rendu uniquement par la parole - une même parole proférée -n'a aucune portée. Si la chair du témoin ne devient pas verbe transformant la personne tout entière en eucharistie, aucun message n'est transmis. Même dans l'Ancien Testament, la Parole n'est ja­mais extérieure au prophète; la personne du prophète est transfi­gurée par la Parole qui devient souffle en lui. Voilà pourquoi chaque prophète a sa fête propre et son icône.

C'est à la mesure de none dépouillement que notre témoi­gnage devient celui de Dieu. Ainsi, si l'Église devient communauté des doux, elle dévoilera le visage de Jésus qui, par sa mort, fut institué en même temps Agneau de Dieu et pasteur. Voilà pourquoi l'Église, ultimement, ne devient signe prophétique que par le mar­tyre.

Le grand philosophe russe Vladimir Solovicv va plus loin et projette l'unité de l'Église dans une vision eschatologique. Dans Trois entretiens et le Récit sur l'Antéchrist, les trois principaux per­sonnages symbolisent, comme leurs noms le suggèrent, les trois grandes familles chrétiennes: la catholique, l'orthodoxe et la pro­testante. Après avoir été tués par l'Antéchrist, ils ressuscitent en­semble et restaurent l'unité perdue. La différence fondamentale en­tre la prophétie de l'Ancienne Alliance et celle de la Nouvelle réalisée en Christ, c'est que le Seigneur n'est devenu un prophète accompli que par la mort. De même, en renonçant à la violence, l'Église retrouve sa féminité, dans laquelle elle se livre à Jésus et reçoit le souftle de son Esprit.

L'Église envoyée dans le monde appelle les hommes à ce qu'elle a goûté elle-même: la joie d'avoir vécu avec Jésus dans la demeure nuptiale. C'est à cause de ces épousailles mystiques qu'elle éprouve une opposition au monde, pris dans le sens johannique. Le Royaume qu'elle inaugure opère une déchirure dans le tissu de l'histoire. Il y a une véritable négation de l'éon actuel quand, dans le refus de l'idolâtrie, « la nuée des témoins» qui y vivent annoncent la promesse de l'éon futur. L'action de Dieu n'est pas simple dé­roulement du temps, mais une suite d'épiphanies divines dans la loyauté de l'Esprit à Lui-même et dans l'imprévisibilité de l’histoire, Là, le charisme de prophétie joue contre la démonisation du monde; il est dramatique que le péché soit décrit et analysé comme une simple vulnérabilité de l'être, et non plus comme l’effet de la séduction du Serpent, comme la source de la désintégration de l'être, qui mène à la morr,

     
«Le Christ est le Cosmos de l'Église,
 et l'Eglise est le Cosmos du cos­mos. »
    Cela dit, il y a aussi le monde considéré comme harmonie et beauté paradisiaque selon la parole: « Dieu a tant aimé le mondé qu'Il a donné Son Fils unique » (Un 3, 16). Le monde est poésie, révélation, livre divin, manifestation de l’éternelle sagesse du Dieu de diakonia ; il est source inépuisable de cette Culture qui nous mène à la vertu - selon la parole d'Origène, de cet affinement qui nous mène au seuil du Royaume, malgré l'ambiguïté de la culture et la soif inextinguible du beau. Ici, l'Église et le monde ne constituent pas deux espaces, ils ne sont pas liés à deux temps dif­férents. Consciente de l'amour de Jésus pour elle, l'Église pérégrine à travers le temps et l'espace. Elle n'est nulle part ailleurs que dans le monde. Voilà pourquoi Origène a pu écrire à juste titre: «Le Christ est le Cosmos de l'Église, et l'Eglise est le Cosmos du cos­mos. » Ainsi comprise, l'Église n'est pas placée face au monde, elle n'est pas non plus en lui. C'est lui qui est en elle. Elle est Son logos, sa signification. Elle le mène à sa destinée, parce qu'elle peut le lire et le conduire à sa transfiguration.

Le monde vit du mystère de l'Église à cause du «reste» sauveur. Un nombre considérable de chrétiens gît dans l'infidélité, et c'est le «reste» qui attend le Royaume et recrée le monde. Le Royaume est un trésor souvent caché . Mais il y a un témoignage du Silence, du chant, du zèle indicible de ces êtres de feu, blessés par l'amour de Jésus d’une blessure qui, selon le mot de l'Andalou Ibn Arabî, ne guérit jamais. L'histoire a passé sans intensité apparente sur certains pays où les chrétiens sont minoritaires; pourtant, l'Évangile y était vécu dans une confession communautaire quoti­dienne. Et les non chrétiens témoignaient, notamment dans leur littérature, de ce qu'ils recevaient de ce dénuement évangélique qui était loin d'être une absence.

Il est des époques de visitation où la fidélité grandit, où la perception des mystères divins s'aiguise, où la soif de la Parole s'in­tensifie. L'Église alors devient plus belle, le monde perçoit sa beauté et se transforme lentement, invisiblement. Il n'en va pas ainsi aujourd’hui on dirait que le monde actuel est enfermé dans une autonomie destructrice, définissant lui-même ses valeurs éthiques qui ne sont pas d'ailleurs sans un certain lien avec l'Évangile. Cela dit, il est clair que l'action de l'Esprit a ses propres voies dans une société qui développe sa civilisation en dehors du langage et de la symbolique chrétiens, qui semble complètement étrangère au mys­tère de la mort et à l'espérance de la résurrection.

Une ré évangélisation du monde déchristianisé passe certes par le développement légitime de la science et de la technologie, de la liberté et des droits de l'homme, mais dans la vigilance qu'im­pose une lecture critique de la mythologie des sociétés développées. Car celles-ci entretiennent un irrationnel évident, elles connaissent la déchéance de la discrimination raciale et l'exploitation du Tiers­monde, elles sont injustes envers l'hémisphère Sud. Si les Églises ne se démarquent pas du machiavélisme de certaines puissances, le témoignage chrétien est voué à la stérilité. La présence en pays non chrétiens de chrétiens étrangers qui ont vécu dans l'arrogance et la puissance a été, pour les chrétiens autochtones qui leur furent as­similés, une erreur et une faute.

Par ailleurs, les peuples qui ont accédé à l'indépendance ne sont guère attirés par le christianisme. Ainsi, me semble-t-il, la mis­sion, voire le dialogue qui lui est assimilé, ne sont plus d'actualité. La transformation sociale est perçue comme l'œuvre laïque au sein de la solidarité internationale, et non plus comme l'expression de l'Evangile. On ne sait pas, à l'heure actuelle, comment peut être appliqué l'ordre du Seigneur: « Allez donc, et faites de toutes les nations des disciples» (Mt 28, 19). Il reste que l'injonction de Jésus est un ordre formel et que, quelle que soit notre vision des religions et de leur place éventuelle dans le dessein de Dieu, le Christ demeure pour nous la voie unique au Père. C'est en Lui que s'opère La rencontre eschatologique des adhérents des religions di­verses.

La mission organisée n'est certainement pas pensable dans des régions immenses du globe où la liberté religieuse n'est pas reconnue, et où le poids de la religion dominante et l'attitude re­ligieuse grégaire excluent toute conversion. Pourtant, même là, le témoignage chrétien n'est pas inconnu. Il est perçu grâce à la convi­vialité, à l'œuvre nationale commune, à l’art, à la littérature et à la piété authentique des gens simples. Des valeurs évangéliques réelles sont partagées. Le dialogue simple ou savant ouvre les esprits et les cœurs à la vérité de l'Évangile.

Dans cette ouverture, les chrétiens de toute obédience sont embarqués ensemble s'ils présentent le même témoignage fonda­mental. Dans les sociétés pluralistes, les chrétiens ne sont pas inté­ressés par Les divergences dogmatiques. Ils sont appelés à être des passeurs. Or, la condition du passeur est d'être Libre de toute allé­geance politique qui lui aliène les non-chrétiens, surtout si le christianisme est perçu comme un repli ou s'il se présente comme sen­timent identitaire exacerbé. La participation des chrétiens à la culture nationale, la sensibilité aux épreuves de la nation peuvent rendre leur message audible. La crédibilité des chrétiens est liée à leur engagement confiant pour la justice et la paix dans une volonté de libération nationale et sociale, ct non dans la simple lutte pour les droits exclusifs de leurs coreligionnaires. L'amour se prouve dans le dialogue d'une vie partagée. Le dialogue de la vérité peut s'instaurer. L'attachement des chrétiens à la vérité du Christ ne doit pas voiler les vérités éparses dans les traditions religieuses qui les en­tourent. Car elles découlent toutes de la même source divine. Toute nourriture spirituelle-vivifiante doit être reçue par les chrétiens non comme un verbe humain, mais comme un pain descendu du ciel.

Tout discours repousse un autre discours, et toute écriture une autre écriture. Voilà pourquoi la finalité du dialogue, en allant au-delà des traditions religieuses, est surtout de rechercher la vérité divine cachée sous des mots et des symboles différents. Il n'y a là aucune relativisation du message chrétien, aucun syncrétisme. C'est le même Christ que nous adorons dans son errance à travers les espaces infinis des religions. Cela exige de notre part une attitude kénotique. La kénose est le non-dit du témoignage. Elle peut en être la fécondité.

Dans le dialogue, l'Église s'ouvre, s'approfondit, se connaît.

Ce n'est pas pour elle un moyen pédagogique ou politique d'inté­grer les autres. Le dialogue est en tous cas le seul contact possible dans une société pluraliste. Même dans les pays de souche chré­tienne, l'athéisme, la gnose, les sectes sont devenus des traditions de nature religieuse, à tel point que la mission directe qui consiste à briser leurs idoles n'a plus cours. Le chrétien crée intérieurement ce monde par la force de l'Esprit. Renouvelé par ce même Esprit, il participe à l'œuvre com­mune de l'humanité. Il pérégrinera à travers tout le créé et tout l'historique dans la liberté intérieure, fasciné par la face du Christ. Le chrétien ne pourra dilater le monde jusqu'aux dimensions infi­nies du Royaume qu'en appartenant passionnément au monde et au Royaume. On n'acquiert pas le Royaume en se détournant du monde. On ne sauve jamais le monde qu'avec toute la force du Christ qui vient. Cette tension créatrice est le secret du témoin.


Référence:

L'appel de l'Esprit. Goerges Khodr. Cerf (2001)

Saturday, November 7, 2020

On Salvation. Saint Sophrony the Athonite.
Archimandrite Zacharia Zacharou.

 

Excerpts from an audio recording of Archimandrite Zacharias of Elder Sophrony's monastery in Tolleshunt Knights.

 

Saint Sophrony the Athonite.

    As a young boy, I had the blessing of serving each Sunday in the altar of the Monastery of Saint John the Baptist, Essex, England. One day when I was still a lad of only fifteen or sixteen years of age, following the Divine Liturgy, and whilst standing in the Prothesis of All Saints Church, Father Sophrony asked me why I was looking so thoughtful. Embarrassed that I was preoccupied with such mundane matters, I had to confess that school examinations were on the horizon, and that I wanted to do well in them. To my surprise, however, Father Sophrony did not belittle my worldly anxiety, but gently nodded his head, and agreed that it was indeed important to do well in examinations, and that to do so required much toil and sacrifice. But then he also added, as though to a friend, that "in this world there is nothing more difficult than to be saved."

The force of the truth of these words struck deep in my heart. We often encounter, in ourselves and in others, the attitude which suggests that Salvation is something that we can leave until later; once, that is, we have taken care of more pressing matters. Father Sophrony's perspective was quite different, however. By pointing to the incomparable difficulty of attaining to Salvation, he was clearly placing it at the very top of our list of urgent priorities. And when one pauses to consider all the great achievements of mankind, past and present, whether they be of a scientific or literary character, in the world of politics or finance or physical endeavour. Father Sophrony's words seem bold and even provocative—a hard saying (John 6:60)—but nevertheless fundamentally quite true.

Upon later reflection, I realized that the reason why Father Sophrony's words rang so true that day is because of the wealth of meaning which Salvation has for us in the Orthodox Church. By others, Salvation is often understood simply in terms of "deliverance from sin and its consequences and admission to heaven," in terms of escaping damnation, that is, and reaching a safe place where we can no longer be tormented by the enemy. According to the Fathers of the Church, however, Salvation is not so prosaic a matter, for it involves the "theosis" (the deification or divinization) of the entire human person in Christ; it involves, that is, becoming like unto Christ to the point of identity with Him; it involves acquiring the mind of Christ (as Saint Paul affirms in the second chapter of the First Epistle to the Corinthians, verse sixteen), and indeed it signifies the sharing in His very Life.

Christ is the measure of all things, both divine and human. Since the divine Ascension, our human nature has been raised up to the right hand of God the Father. As Father Sophrony points out, in His divine Person, the Son and Word of God was of course always seated on the right hand of the Father, being con-substantial with Him. The divine purpose for the human race, however, is seen in the union of our human nature to the divine Person of Christ, the Second Person of the Holy Trinity, in its being raised to the right hand of the Father.

St Paul, the great Apostle of the Word of God made flesh, identifies the divine purpose of the Incarnation with our adoption as sons of God: But when the fulness of the time was come. God sent forth his Son, made of a woman, made under the law, To redeem them that were under the law, that we might receive the adoption of sons. And because ye are sons. God hath sent forth the Spirit of his Son into your hearts, crying, Abba, Father. Wherefore thou art no more a servant, but a son; and if a son, then an heir of God through Christ" (Gal. 4:4-7).

Father Zacharia serving the 
Holy Liturgy in Mount Athos.

In Christ Jesus, therefore, we encounter both true and perfect God and true and perfect man. In other words, we see in Him not only the great God and Saviour (Tit. 2:13), but also what or who we have been called to become—sons and heirs of God the Father. St Irenaeus, Bishop of Lyons, in refuting the heresy of the Gnostics of the second century, described the divine purpose succinctly thus: "If the Word is made man, it is that men might become gods."

And the champion of Nicene Orthodoxy, Athanasius the Great, writing in the fourth century, reaffirms the Biblical and Irenaean position: "God became human," he says, "that we might be made gods" (autos gar enanthropesen, ina emeis theopoiethomen). "God became human that we might be made gods." What a daring statement! But what exactly does it mean for us to become gods? Can we created mortals become uncreated and immortal? Is this not an impossibility? An impiety? Or even a blasphemy? In what, then, does our becoming gods, our deification or divinization—our theosis—consist?

As Archimandrite Sophrony explains in his spiritual autobiography, We Shall See Him As He Is: "Christ manifested the perfection of the Divine image in man and the possibility for our nature of assimilating the fulness of divinization to the very extent that, after His ascension. He placed our nature 'on the right hand of the Father.'" Note here that the expression "on the right hand of the Father" (ek dexion tou Patros) denotes nothing less than equality with the Father. Thus, since the time of the divine Ascension of Christ, our human nature has been deified in Him, and raised up to the right hand of God the Father.

Significantly, however, Archimandrite Sophrony also adds the following: "But even in Him our nature did not become one with the Essence of the Uncreated God. In Christ, incarnate Son of the Father, we contemplate God's pre-eternal idea of man." So, in Christ Jesus we find man's rightful place, "on the right hand of the Father," sharing in the divine Life; but, as with the two natures in Christ, man has been called to be united with God without mixture or confusion of any kind, that is to say, we never cease to be His creatures, since He alone is Uncreated. This fundamental distinction is of inestimable significance in Patristic theology.

Nevertheless, in the union of our human nature to the Second Person of the Holy Trinity, we also see what in theological terminology is called the communicatio idiomatum, that is, the exchange of natural properties belonging to each of Christ's two natures. This may also be described in terms of the interpenetration of the natural energy of each of the two natures in Christ in the other. As a simple illustration of this we have the Gospel narrative of the Transfiguration in Luke 9:28, where we first see Christ praying, performing, that is, an act which is proper to His human but not to His divine nature; while moments later, we find His humanity sharing in, indeed resplendent with His divine glory, which is proper only to the divine nature. Saint Cyril of Alexandria describes the scene in this way: "The blessed disciples slept for a short while, as Christ gave Himself to prayer. For He voluntarily fulfilled His human obligations (ta anthropina). Later, on waking they became beholders (theoroi) of His most holy and wondrous change."

Staretz Sophrony points out that the union of the human nature in Christ is of course hypostatic or prosopic, that is to say, that Christ is a divine Person, the Person of the Son and Word of God; but, it is equally important to note that the union of the two natures in Christ is also energetic. The significance of this energetic interpenetration of the divine and human natures in each other is of paramount importance for us human beings in that it forms the basis of our own union with God, which is also energetic and not essential or hypostatic. In other words, it proves to us that the example of Christ is also realizable, also attainable, by us human persons, and that theosis to the point of divine perfection, far from being optional, is in fact an obligation. It is in this sense that Staretz Sophrony understands the exhortation: Be ye therefore perfect, even as your Father which is in heaven is perfect (Matt. 5:48).

Father Sophrony also highlights another mystery concerning the Life of Christ on earth as a model and pattern for our own Life in Christ. This is revealed in the fact that even with the human nature of Christ we may observe a certain growth or dynamism, or, as Holy Scripture puts it, a certain “increase:” And Jesus increased in wisdom and stature, and in favour with God and man (Luke 2:52). Thus, before all things had been fulfilled, even after the hypostatic union of human nature to the divine Person of the Word; even after His assumption of our humanity into His divine Person; even Christ, in His human aspect, appears as increasing in perfection. Hence, He also undergoes temptations (Luke 4:1-13, Hebr. 2:18); and even reached the point of agony (Luke 22:44). This, as Father Sophrony remarks, is due principally to a certain division which may be observed in Christ before His glorious Ascension, owing to the asymmetry of His natures. Following His Ascension, and the sitting of Christ the Son of Man on the right hand of God the Father, we have the new vision of the Christ-Man as equal to God, not of course according to His nature, but according to His energy.

Father Sophrony cautiously notes, however, that this does not refer to Christ's hypostatic "aspect," for the pre-eternal and uncreated Word remained such even after His Incarnation. Nevertheless, in the human "aspect" of His union and existence, we find once again the model and pattern for our own Life in Christ, for, as Staretz Sophrony puts it: "Christ is the unshakable foundation and the ultimate criterion for the anthropological teaching of the Church, Whatever we confess concerning the humanity of Christ is also an indication of the eternal divine plan for man in general. The fact that in the Christ-Man His hypostasis is God, in no way diminishes the possibility for us humans to follow His example (cf. John 13:15),after which in all things it behoved him to be made like unto his brethren (Hebr. 2:17).

"If it is true that Christ is the 'Son of Man,' consubstantial with us, then it follows that everything that He accomplished in His earthly life must likewise be possible for the rest of the 'sons of men.'" And for this reason, Father Sophrony adds that "if we confess His full and perfect theosis, it behoves us also to hope for the same degree of theosis for the saints in the age to come." The fundamental theological concern behind all that we have said so far is soteriological, that is to say, it concerns our Salvation in a most fundamental way. Why? Because of the simple fact that we cannot live with Christ if we are not like Him in all respects. As the great hierophant John the Theologian and Evangelist proclaims: We know that, when he shall appear, we shall be like him; for we shall see him as he is. And every man that hath this hope in him purifieth himself, even as he is pure (1 John 3:2-3).

"Take eat, this is my body," 
"Drink of this all of you, this is my blood"

We shall be like him; for we shall see him as he is
. So, if we wish to be eternally with Christ, we must become like Him; and this process of becoming Christlike, this purification, invariably involves repentance—a fundamental change in our whole way of life, in our very "mode of being."

Saint Symeon the New Theologian, in his Hymn no. 44 reiterates this point in the following way:

The Master is in no way envious of mortal men that they should appear equal to Him by divine grace, neither does He deem His servants unworthy to be like unto Him, but rather does He delight and rejoice to see us who were made men such as to become by grace what He is by nature. And He is so beneficent that He wills us to become even as He is. For if we be not as He is, exactly like unto Him in every way, how could we be united to Him? How could we dwell in Him, as He said, without being like unto Him, and how could He dwell in us, if we be not as He is?

And again concerning the awesomeness of our inheritance, the great Paul, in Romans, writes the following:

The Spirit itself beareth witness with our spirit, that we are the children of God: And if children, then heirs; heirs of God, and joint-heirs with Christ, if so be that we suffer with him, that we may be also glorified together. For I reckon that the sufferings of this present time are not worthy to be compared with the glory which shall be revealed in us (Rom. 8:16-18).

Father Sophrony also makes another very interesting and important observation concerning the example given by Christ and our own theosis or deification. He points to the fact that even though the deification of Christ's human nature was, as Saint John Damascene says, effected from the very moment in which He assumed our nature, nevertheless Christ as Man shied away from anything which might give the impression of auto-theosis, that is to say, self-deification or self-divinization. That is why we see the action of the Holy Spirit underlined at His Holy Birth: The Holy Ghost shall come upon thee... therefore also that holy thing which shall be born of thee shall be called the Son of God (Luke 1:35); also, the Holy Spirit descends upon Christ at His Baptism in the Jordan (Matt. 3:15); and concerning the Resurrection, the Scriptures speak thus: God, that raised him up from the dead, and gave him glory (1 Pet. 1:21); and finally, Christ Himself, teaching us the way of humility and how always to ascribe glory to Our Heavenly Father, says: If I bear witness of myself, my witness is not true. There is another that beareth witness of me; and I know that the witness which he witnesseth of me is true (John 5:31-32).

The same movement may be observed in the Divine Liturgy. The Words of Institution—"Take eat, this is my body," "Drink of this all of you, this is my blood"—by themselves are not regarded as sufficient to effect the consecration of the Holy Gifts; they must be accompanied by the Epiklesis, the invocation of the Holy Spirit, precisely in order to avoid any notion of self-deification, to avoid, that is, giving the impression that simply by speaking the words which Christ spoke, we are able to transform the Holy Gifts into the precious Body and Blood of Christ. (Of course, at the heart of this movement lies the truth that the action of Father, Son and Holy Spirit is always one and the same: the Three Divine Hypostases always act together, always act in unison, which is an expression of Their consubstantiality.) Thus, it behoves us to beseech God the Father to send down the Holy Spirit, by Whose power the change of the bread and wine into the Body and Blood of Christ is effected.

 

 

 

 

Reference:

 https://orthochristian.com/80597.html

 

Saturday, October 31, 2020

On despondency, melancholy and despair.
Saint Sophrony l’Athonite.

 

The Old Rectory

26th January 1967

 

Dear Maria,







when we ourselves have become
 images of Him, 
we “overcome the world”







The peace and blessing of the Lord be upon you.

        Night has fallen long since. It is now late in the evening, and my working day is over. I have sat down to write you a letter, but I don't know how it will turn out, for I have little time, and yet I want to write about many things. First and fore­most I thank you for your letters, for your festal greetings, for all your long-suffering love. You know that I unfailingly think of you, particularly at midnight, or even later, depending on when I am free from my vain activities - and then I earnestly beg God to bless you then and to continue to bless you.

So, now I am trying not to leave anything out after such a long silence on my part.

Your despondency, melancholy, languor, must certainly visit you, as they visit each one of us.The main thing is how we take this. I think I have already told you in another letter that if we live our state only as our own, our soul is impoverished, and in the end becomes barren, and life becomes meaningless and unbearably wearisome. Our task, set before us by the Gospel, is to become universal persons, to bear in ourselves all the cosmos, to live in our life all the depth of the world's history, and above all of MAN. For all humanity is “I” and all history is my life. Each and every suffering, each and every joy, every experience, be it of love, enmity, joy, melan­choly, hope, despair; everything we go through, whether riches, poverty, hunger, satiety, fear, power, violence, humility, fighting, non-resistance, and all the rest, appear to us as rev­elations of what is happening in the world of men. Through our personal experience, which seems to us so small and so brief, we come to know Being in its potential fullness.

If we go along this path, reacting to everything in this manner, we are preparing ourselves to receive the Spirit of Christ, Who has shown us the image of the perfection of the sons of God, and when we ourselves have become images of Him, we “overcome the world”, we rise above the world's level, we become cosmic and even supra-cosmic - in the measure of our likeness to Christ. It is not within our power to seek out pain, suffering: it is natural for every living being to strive for joy, love, light. But taught of God, we are not terrified in the face of sufferings, because through them we too become en­riched with eternal knowledge, we assimilate all-embracing life. If we live in this way we also prepare ourselves for the experience of death, and we become capable of receiving our “better resurrection”. Of course, for us, at the centre of everything stands CHRIST, God and Man. Without Him we are in darkness; without Him we are incapable of coming to know where lies sin - that is, in distancing ourselves from the eternal Divine love of the Father. We should long ago have left behind us a naive understanding of sin. Sin is a break be­tween us and God, Who is absolute Light, absolute Knowl­edge, absolute Love. We cannot apply to Him anything that is not His attribute. If we want to be with Him and in Him, to be His true children, then we must be holy as He is holy. And if we are not such, then we lament over ourselves, we stand “on the threshold of despair”, in fear lest we lose for­ever our divine sonship and our abiding in infinite Light. But we do not go beyond this threshold. We reject utter despair. Thus, the life of God, even if not in its fulness, is preserved in us, and in one way or another we gain full victory. Love for Christ is the surest guarantee of our Resurrection. And you do love Him, so “the path of despondency is not for you”. I think it was St Seraphim who spoke these words a century and a half ago.

 

 

 

Reference:

Letters to his family. Archimandrite Sophrony(Sakharov).(2015)

 





Saturday, October 24, 2020

Ce Chrétien exceptionnel: Saint Sophrony l’Athonite.(3)
Archimandrite Nicholas Sacharov.

         

«le monachisme est
la pléni­tude de la vie»
         La relation, - tout tourne autour de ce concept. Si nous avons de bonnes relations, nous vivons comme si nous étions au paradis. Lorsque nos relations avec les autres sont offensantes, nous goûtons à l'obscurité de l'Enfer. La re­lation est quelque chose que nous avons hérité de Dieu: nous sommes capables d'aimer comme Dieu, de vivre comme Dieu, et de traiter les autres personnes comme Dieu le fait. C'est dans notre relation que l'image de Dieu se réa­lise. Toutes les relations, - que ce soit en famille, au travail, ou spécialement à l'église -, comportent l'amour, et où que soit l'amour, là se trouve l'image de Dieu en l'homme.

En nous tournant maintenant vers le monachisme, - j'entends le vrai monachisme-, c'est précisément cet amour pour les autres que les communautés religieuses sont destinées à réaliser par cette révélation de l'amour mutuel. En effet, dans le monachisme, cette image de Dieu, - l'amour en relation -, est d'une certaine manière mené à sa perfection, jusqu'à la plus extrême étendue possible. Nous sacrifions tout à la réalisation de ce but: apprendre à aimer. C'est pourquoi tous les vœux monas­tiques sont des vœux de renoncement à soi: renoncement à soi pour l'amour de Dieu et des autres. C'est l'autre, ce­lui que j'aime, mon frère et ma sœur, qui m'importe, pas moi, pas mon ego. Nous apprenons à nous oublier nous­-mêmes, jusqu'à déplacer toute notre at­tention vers les autres. C'est pourquoi l'amour implique toujours un sacrifice: plus le sacrifice est grand, plus l'amour est fort.

Ainsi, pour le Père Sophrony, le re­noncement et les vœux monastiques étaient non quelque chose de néga­tif et de pénible, mais le grand don et la joyeuse expression de l'amour. Dans une lettre à Balfour, le Père Sophrony affirme: «le monachisme est la pléni­tude de la vie.» Personne ne niera que le bonheur et le vrai sens de la vie se trouvent dans le service des autres. Ce mouvement, - se quitter soi-même pour aller vers les autres-, est le véritable fon­dement de l'existence. Cela signifie que la conversion existentielle vers l'Autre/ les autres (Jean 13, 34) constitue le vé­ritable fondement de l'être authentique.

Saturday, October 17, 2020

Ce Chrétien exceptionnel: Saint Sophrony l’Athonite.(2)
Archimandrite Nicholas Sacharov.

Saint Sophrony l'Athonite.
            En cela, Père Sophrony était très fort dans la ligne et dans l'atmosphère générale de la pensée russe. Fait remar­quable, Boris Pasternak, dans ces mêmes années 1920 en était arrivé à une conclu­sion semblable. Dans son célèbre roman, Docteur Jivaco, dont certains passages ont été écrits dans les années 1910 et 1920, il pose la question: quelle a été la contribution principale du christianisme à l'histoire de la civilisation? La réponse fut «la notion de personne». Avant le Christ, il y avait des masses anonymes de gens qui souffraient, mouraient et dont les noms s'étaient évanouis dans l'oubli. L'histoire de l'Empire romain en est un bon exemple. Mais alors le Christ vient:

Dieu s'est incarné; en une de ces pauvres petites personnes. Jésus de Nazareth, par son exemple, donne à chacun de ces pauvres petits un nom et une place dans l'histoire.

L'auteur, comme Jivago lui-même, était plus intéressé par la santé de la personne que par la bonne santé de la société. La censure soviétique considéra le roman comme anti-marxiste. Les points de vue politiques de Pasternak étaient contraire à ceux des autorités soviétiques qui refusèrent de le publier.

Ainsi, pour le Père Sophrony, toute personne ainsi révélée en Christ est plus précieuse que le cosmos tout entier. Cet axiome déterminera plus tard toute la vision de la vie spirituelle du Père Sophrony, ct spécialement celle de la vie monastique. Une attitude toute per­sonnellc face à Dieu et aux gens est sans doute la contribution la plus importante du Père Sophrony à la théologie et à la spiritualité orthodoxe.

Je suis entré au monastère en 1989 et j'ai été immédiatement frappé par l'at­mosphère assez inhabituelle de la com­munauté. Au lieu de la rigueur, de la discipline et de la sévérité monastique, le monastère rayonnait un esprit d'amour. Dans l'une de ses «paroles à la commu­nauté », le Père Sophrony a dit: «Si dans notre vie monastique nous n'apprenons pas l'amour, alors je ne sais pas quelle justification trouver au monachisme. » Ce principe était reflété dans la manière dont les membres de la communauté entretenaient leurs relations mutuelles. C'était une atmosphère quasi-familiale. Contraste: dans la conception russe, un monastère est très fortement associé à son lieu. Pour le Père Sophrony, cependant, le monastère était par-dessus tout, non un lieu, mais des gens.

Saturday, October 10, 2020

Ce Chrétien exceptionnel: Saint Sophrony l’Athonite.(1)
Archimandrite Nicholas Sacharov.

Saint Sophrony l'Athonite.

     Lorsque j'ai été invité à parler du Père Sophrony, - sur quelque aspect de sa vie ou de son œuvre, on m'a laissé le choix -, je me suis trouvé dans l'embarras: une heure, me disais-je, ne suffirait jamais pour présenter ne fût-ce qu'un aperçu général de ce qu'on pourrait dire à propos de ce chrétien exceptionnel, tout à la fois ascète, moine, théologien et pasteur.

Tout le monde sait qu'il est né en Russie à la fin du 19 siècle ; qu'après avoir abandonné une carrière artistique, il a passé vingt-deux ans au Mont-Athos Où il est devenu le disciple de saint Silouane l'Athonite; qu'après la Deuxième Guerre mondiale il est revenu en Europe et qu'en 1959 il a fondé ce qui est aujourd'hui connu comme le Monastère Saint- Jean- Baptiste, à Tolles­hunt Knights, dans l'Essex.

Je n'ai pas l'intention de creuser les profondeurs de la théologie du Père Sophrony. Je voudrais, au contraire, partager avec vous des expériences personnelles, des souvenirs, des rencontres. C'est précisément là, dans la rencontre personnelle, qu'on se révèle le plus pleinement soi-même. On peut le voir dans le Nouveau Testament: chaque rencontre personnelle du Christ est de­venue une partie de notre Évangile, de la bonne nouvelle du Salut. Il en va de même avec le Père Sophrony: son héritage est surtout constitué par les gens dont il a touché, transformé la vie. Et j'en suis, moi qui écris à présent.