Saturday, April 29, 2023

Intuition.
Saint Sophrony l'Athonite.

 

Icône de Saint Sophrony.

      Malgré une conscience aiguë de mon extrême insignifiance - ou peut-être justement en raison de ce tourment intérieur -, j'ai prié pendant des dizaines d'années pour que le Seigneur me donne, à moi aussi, l'inspiration de le suivre« partout où Il va » (Ap 14,4). Partout, que ce soit au désert pour mettre à l'épreuve la fidélité de mon amour pour le Père (voir Le 4, Is), sur la voie de la prédication du Royaume de l'amour paternel sans reculer devant les innom­brables avanies qui l'accompagnent, sur le mont Thabor où les trois élus entendirent la voix du Père: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé» (Mt 17, 5), ou encore - avant tout - au jardin de Gethsémani ct au Golgotha.

Par «inspiration», j'entends la puissance du Saint-Esprit agissant au-dedans de nous (voir Jn 4, 13-15 ; 7, 37-39). Ce genre d'inspiration ne se situe pas sur le même plan de l'être que l'inspi­ration dans les domaines artistique ou philosophique. Celle-ci - propre à notre nature déchue - peut aussi être comprise comme un don venant de Dieu, mais elle ne conduit ni à l'union avec le Dieu personnel ni même à une connaissance intellectuelle à son sujet.

L'inspiration véritablement sainte - celle qui vient d'En-haut et procède du Père - ne s'impose à personne par la force. Comme tout autre don de Dieu, elle s'acquiert par un intense effort dans la prière (voir Le 11,9-13). Cela ne veut pas dire que Dieu nous donnerait une sorte de «salaire» en récompense de nos labeurs, mais que ce qui a été acquis consciemment et dans les souffrances devient le bien imprescriptible de l'homme pour l'éternité. Nous avons tous besoin de passer par une complète régénération de notre être, accomplie en nous par la grâce, et de restaurer ainsi notre capacité à être déifiés. Tout cela cependant n'est possible que par notre retour à Lui, ce qui ne va pas sans de nombreux tourments. Dieu nous fuit vraiment don de sa vie; celle-ci devient, dans la pleine acception du terme, notre possession personnelle. Sa gloire éternelle repose sur ceux qu'Il a rachetés. Elle demeure en eux non pas comme quelque chose de surimposé à leur nature, non pas comme la présence en eux de quelque chose d'extrinsèque, d'« étranger» ou d'« injuste» (voir Le 16, 11-12). Non, la vraie déification consiste en cc que la vie sans commencement de Dieu se communique réellement à la créature raisonnable, d'une manière inaliénable dans les siècles. En d'autres termes, l'homme «en hypostasie» (assume dans son hypostase) la vie divine de la même manière que le Verbe, en s'incarnant, a «enhypostasié » la forme de notre être qu'Il a créée. L'union des hommes et de Dieu deviendra totale dans le siècle à venir. Elle englobera tout le contenu de son Être, sauf - évidemment - l'identité selon l'Essence. Celle-ci est incommunicable aux êtres créés; elle demeurera à tout jamais inconnaissable pour toutes les créatures, tant pour les anges que pour les hommes.

Le Royaume du Père est l'unité ontologique de tous les êtres sauvés; il ne peut, comme tel, être ébranlé par rien ni par personne (voir Hb 12,27-28). L'inspiration d'En-haut dépend dans une large mesure de notre attitude: si nous ouvrons toute large la porte de notre cœur, le Seigneur - l'Esprit saint - entrera en nous sans rencontrer de résistance. Il « se tient à la porte [de notre cœur] et Il frappe. Si quelqu'un entend sa voix et lui Ouvre la porte, Il entrera chez lui, Il soupera avec lui», et lui avec Dieu (voir Ap 3, 20). Le Seigneur ménage la liberté de ceux qui sont créés «à son image ». Nous, nous devons savoir ce qui est accep­table pour Lui et ce qui ne l'est pas. D'où l'impérieuse nécessité pour tous et pour chacun de ne pas se permettre des actes, de ne pas se laisser aller à des mouvements intérieurs de notre esprit qui contristeraient l'Esprit divin. C'est par notre sincère persévérance dans la sphère des commandements du Christ que notre mort, conséquence du péché, entre peu à peu dans un processus de gué­rison totale; toute notre vie se trouve ainsi pénétrée de la Lumière incréée de l'éternité divine.

Lorsque notre âme est touchée par cette éternité d'une manière existentielle, les viles passions se détachent de nous. Nous nous écartons des luttes Fratricides pour la possession des richesses de cc monde. Sur nous descend la «paix du Christ» et nous recevons la force d'«aimer les ennemis». «Je vous donne ma paix» (J n 14, 27). La paix du Christ est plus précieuse que routes les richesses, que tous les plaisirs et toutes les joies de la terre. Elle consiste dans la connaissance assurée du Dieu vivant, de notre Père. Il nous suffit d'un peu de nourriture, d'avoir un toit au-dessus de notre tête, d'avoir le corps protégé du froid et de la honte (voir 1 Tm 6, 8); l'essentiel, c'est que l’intellect, notre esprit, soit libre de se plonger dans la contemplation de l'être divin révélé par le Christ. La nostalgie du monde supérieur, notre amoureux élan vers lui est notre joie. Elle rend même royalement magnifique une vieillesse douloureuse, car toute remplie de l'arrente des miséricordieux «embrassements du Père» (voir Le 15, 20).

 

 

Référence :

Voir Dieu tel qu’Il Est. Archimandrite Sophrony. Sel de la terre. 2004.