Saint Sophrony, jeune moine au Mont Athos. |
Voici la volonté de notre Père céleste à notre égard:
tous les mortels doivent «se charger
de leur croix» pour hériter la vie éternelle (voir Mt 16,24-25). Ceux qui éviteront
de porter leur croix n'échapperont pas à l'asservissement des passions et
moissonneront «à partir de la chair,
la corruption» (voir Ga 6,8 ; Rm 8, 13). L'amour de Dieu et du prochain qui
nous a été commandé, est lié à de très profondes souffrances, mais une
consolation céleste les accompagne (voir Mc 10,29-30): l'âme est vivifiée par
la paix que le Seigneur donna à ses disciples avant de monter au Golgotha. Mais
lorsque l'esprit de l'homme est introduit dans la sphère lumineuse de l'amour
de Dieu notre Père, toutes les douleurs sont oubliées et, d'une manière
inexplicable, l'âme ressent une profonde félicité (voir Jn 12, 50 ; 17, 3).
Ainsi la femme, «quand elle a donné le
jour à l'enfant, ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu'un homme
soit venu au monde» (Jn 16,21).
C'est ainsi, et plus encore, que se réjouit le chrétien lorsque, en pleine
connaissance et avec une profonde émotion, il prend conscience de sa
renaissance en Dieu pour l'éternité.
Pour le croyant, il est naturel de garder jalousement la
vérité de la révélation donnée à l'Église, si possible dans sa plénitude et son
intégrité. L'expérience multiséculaire de l'Église a montré d'une manière
convaincante que toute déviation de la voie des commandements évangéliques
éloigne de la connaissance dans laquelle est incluse la vie éternelle (voir Jn
12, 50; 17,3). Nous ne sommes pas en mesure d'atteindre la perfection des
commandements, mais il dépend de nous de manifester le plus grand zèle; le
reste, c'est Lui-même qui l'accomplit. Dans notre effort pour acquérir l'amour
du Christ, il nous est donné de contempler l'inaccessible hauteur de la
sainteté de Dieu et, simultanément, son insondable humilité. La force des
commandements évangéliques réside en ce qu'ils introduisent naturellement dans
l'infinité de l'Être divin. L'âme se trouve dans un bienheureux étonnement
devant Dieu; elle est enthousiasmée par son éternelle grandeur; elle est
frappée aussi par sa compassion pour nous dans son incarnation. En tout, le
Christ est son maître (voir Mt 23, 8) ; sans Lui, l'humanité périrait
inévitablement dans les ténèbres abyssales de sa malice. Le Christ est la
Lumière du monde. C'est par Lui que la vérité est rendue manifeste; « de sa plénitude nous avons tous reçu, et
grâce sur grâce» (voir Jn 8, 12 ; l, 16-17).
Humble, «Dieu s'oppose aux orgueilleux, mais aux humbles Il
donne sa grâce» (1 P 5' 5). La grâce, c'est la vie de Dieu. Il la donne à ceux
qui font tout leur possible pour Lui ressembler: « Quiconque s'abaisse sera élevé» (Mt 23, 12). En vertu de ce
principe de notre science ascétique, on observe une tendance vers l'abaissement
de soi-même, vers l'«infiniment petit», et
nullement vers une orgueilleuse exaltation de soi. Notre voie est celle de
l'ascèse apophatique, au moyen d'une «kénose » à la suite du Christ qui s'est anéanti lui-même jusque la
mort sur une croix (voir Ph 2,5-9). Plus nous allons profondément vers le bas,
plus nous nous purifions radicalement des séquelles de l'orgueilleuse chute de
notre ancêtre Adam. Et lorsque notre cœur sera devenu pur (voir Mt 5, 8), le
Père, le Fils et le Saint-Esprit établiront en nous leur demeure, et nous
serons introduits dans l'inébranlable réalité du Royaume de Dieu, où la
grandeur infinie est indissolublement unie à l'humilité et à la douceur tout
aussi infinies.
L'incarnation de Dieu-le-Verbe est aussi une kénose,
ontologiquement naturelle à l'amour divin. Le Père se vide entièrement lors de
la génération du Fils. Le Fils ne s'approprie rien, mais remet tout au Père.
Quant à notre kénose, elle s'exprime en ce que nous abandonnons tout ce qui
nous est cher sur terre pour accomplir le commandement: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même,
qu'il se charge de sa croix.[ ... ] Qui veut en effet sauver sa vie la perdra,
mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera» (Mt 16,24-25).
Référence :
La prière expérience del’éternité.Archimandrite Sophrony(Sacharov). Cerf,collection Le sel de la terre. Spiritualité , (novembre 1998).