Saturday, September 10, 2022

Se charger de sa croix.
Saint Sophrony l'Athonite.

Saint Sophrony, jeune moine
 au Mont Athos.

 Toute «œuvre» chrétienne est nécessairement liée à l'ascèse; l'amour, œuvre suprême entre toutes, nécessite le plus grand effort. En sa réalité profonde, la vie du chrétien consiste à suivre le Christ: «Que t'importe [ce qui peut arriver à autrui]? Toi, suis-moi» (voir Jn 21,2). En vertu de cela, chaque croyant répète à un degré ou à un autre la voie du Seigneur. Mais ce n'est pas par ses propres forces qu'il prend la croix sur ses épaules pour aller à Gethsémani puis au Golgotha, «car hors de Lui nous ne pouvons rien faire» (voir Jn 15,5). Ceux qui ont reçu cette redoutable bénédiction ont anticipé leur résurrection, le lot des autres, c'est la foi en la miséricorde de Dieu. 

Voici la volonté de notre Père céleste à notre égard: tous les mortels doivent «se charger de leur croix» pour hériter la vie éternelle (voir Mt 16,24-25). Ceux qui éviteront de porter leur croix n'échapperont pas à l'asservissement des passions et moissonneront «à partir de la chair, la corruption» (voir Ga 6,8 ; Rm 8, 13). L'amour de Dieu et du prochain qui nous a été commandé, est lié à de très profondes souffrances, mais une consolation céleste les accompagne (voir Mc 10,29-30): l'âme est vivifiée par la paix que le Seigneur donna à ses disciples avant de monter au Golgotha. Mais lorsque l'esprit de l'homme est introduit dans la sphère lumineuse de l'amour de Dieu notre Père, toutes les douleurs sont oubliées et, d'une manière inexplicable, l'âme ressent une profonde félicité (voir Jn 12, 50 ; 17, 3). Ainsi la femme, «quand elle a donné le jour à l'enfant, ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu'un homme soit venu au monde» (Jn 16,21). C'est ainsi, et plus encore, que se réjouit le chrétien lorsque, en pleine connaissance et avec une profonde émotion, il prend conscience de sa renaissance en Dieu pour l'éternité.

Pour le croyant, il est naturel de garder jalousement la vérité de la révélation donnée à l'Église, si possible dans sa plénitude et son intégrité. L'expérience multiséculaire de l'Église a montré d'une manière convaincante que toute déviation de la voie des commandements évangéliques éloigne de la connaissance dans laquelle est incluse la vie éternelle (voir Jn 12, 50; 17,3). Nous ne sommes pas en mesure d'atteindre la perfection des commandements, mais il dépend de nous de manifester le plus grand zèle; le reste, c'est Lui-même qui l'accomplit. Dans notre effort pour acquérir l'amour du Christ, il nous est donné de contempler l'inaccessible hauteur de la sainteté de Dieu et, simultanément, son insondable humilité. La force des commandements évangéliques réside en ce qu'ils introduisent naturellement dans l'infinité de l'Être divin. L'âme se trouve dans un bienheureux étonnement devant Dieu; elle est enthousiasmée par son éternelle grandeur; elle est frappée aussi par sa compassion pour nous dans son incarnation. En tout, le Christ est son maître (voir Mt 23, 8) ; sans Lui, l'humanité périrait inévitablement dans les ténèbres abyssales de sa malice. Le Christ est la Lumière du monde. C'est par Lui que la vérité est rendue manifeste; « de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce sur grâce» (voir Jn 8, 12 ; l, 16-17).

Humble, «Dieu s'oppose aux orgueilleux, mais aux humbles Il donne sa grâce» (1 P 5' 5). La grâce, c'est la vie de Dieu. Il la donne à ceux qui font tout leur possible pour Lui ressembler: « Quiconque s'abaisse sera élevé» (Mt 23, 12). En vertu de ce principe de notre science ascétique, on observe une tendance vers l'abaissement de soi-même, vers l'«infiniment petit», et nullement vers une orgueilleuse exaltation de soi. Notre voie est celle de l'ascèse apophatique, au moyen d'une «kénose » à la suite du Christ qui s'est anéanti lui-même jusque la mort sur une croix (voir Ph 2,5-9). Plus nous allons profondément vers le bas, plus nous nous purifions radicalement des séquelles de l'orgueilleuse chute de notre ancêtre Adam. Et lorsque notre cœur sera devenu pur (voir Mt 5, 8), le Père, le Fils et le Saint-Esprit établiront en nous leur demeure, et nous serons introduits dans l'inébranlable réalité du Royaume de Dieu, où la grandeur infinie est indissolublement unie à l'humilité et à la douceur tout aussi infinies.

L'incarnation de Dieu-le-Verbe est aussi une kénose, ontologiquement naturelle à l'amour divin. Le Père se vide entièrement lors de la génération du Fils. Le Fils ne s'approprie rien, mais remet tout au Père. Quant à notre kénose, elle s'exprime en ce que nous abandonnons tout ce qui nous est cher sur terre pour accomplir le commandement: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix.[ ... ] Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera» (Mt 16,24-25).

 

 

Référence :

La prière expérience del’éternité.Archimandrite Sophrony(Sacharov). Cerf,collection Le sel de la terre. Spiritualité , (novembre 1998).