Saint Sophrony L'Athonite. |
Lorsque le moine va à la rencontre du grand Carême avec enthousiasme,
celui-ci passe vraiment comme une période d'inspiration, de préparation pour
recevoir la lumière de la Résurrection. Mais si l'homme est rempli de peur, il
peut nuire à sa santé en jeûnant, et le jeûne sera pour lui un tourment.
Nous devons restaurer l'image de Dieu en nous.
Que chacun de vous arrête son esprit, son intelligence sur quelque image
sainte qui puisse l'inspirer. Je vous mentionnerai quelques pensées qui me
furent précieuses dans ce sens.
Qu'ai-je observé dans la vie du monde, du monde des hommes et, en général, du monde du règne animal?. Que seul l'homme est capable de se contrôler par l'abstinence lorsque de la nourriture se trouve devant lui. Arrêtez-vous sur cette pensée: seul l'homme, qui a reçu l'esprit comme image du Dieu éternel, est capable de créer du nouveau. Ainsi donc, si nous nous abstenons de nourriture ou de sommeil ou encore de quelque chose d'autre, tout cela contribuera à restaurer en nous ce qui appartient à l'image de Dieu. Purifier notre image de Dieu, obscurcie par le péché, - voilà l'effort qui nous attend. Lorsque nous aurons cette pensée, notre abstinence ne sera pas privée de sens. C'est là la grande tâche que notre vie monastique nous assigne: ressembler au Christ qui, en assumant la condition humaine, manifesta sa divinité.
Le Christ a jeûné pendant quarante jours au désert.
Durant les cinquante jours qui viennent, chacun de vous passera par des
moments difficiles, mais alors nous nous souviendrons du Christ. En effet, le
carême a été établi en mémoire du jeûne de quarante jours que le Seigneur fit
au désert où Il était entouré d'animaux sauvages et où, à la fin, Il se laissa
même approcher par le démon et parla avec lui.
Devenir semblable au Christ pour l'éternité.
Que pouvons-nous choisir du contenu de la vie du Christ, telle que nous
la discernons d'après l'Évangile, les épîtres et la Tradition?. L'apôtre Paul,
ce poète de génie, dit que nous devons avoir les mêmes pensées, les mêmes
sentiments que le Christ (cf. Philippiens 2, 5).En quoi consiste ce mystère? -
En ce que, si nous devenons semblables au Dieu incarné, cela passe jusque dans
l'éternité d'avant la création du monde. Nous voulons dire que l'hypostase
humaine doit se développer en nous, et contenir en elle la pensée du Christ.
Soyez vos propres créateurs.
Que faut-il avoir à l'esprit, pour ne pas être troublé par le caractère
banal de beaucoup de nos activités liées au jeûne et, d'une manière générale, à
l'ascèse du mode de vie monastique?. Il nous faut veiller à ce que le sens - je
le répète - que nous avons vu en Christ soit aussi en nous.
Chez Jean le Théologien, l'Évangéliste, on peut lire une expression
remarquable: "Nous savons que nous sommes les enfants de Dieu. Mais il ne nous
a pas encore été révélé comment nous serons après notre sortie de ce monde.
Nous savons cependant - dit-il - que, lorsque nous verrons comment Il est, nous
pourrons devenir comme Lui, semblables à Lui" (cf 1 Jean 3, 2, citation
approximative).
Par conséquent, je vous en prie, mes jeunes frères et sœurs,
souvenez-vous de cela, et soyez vos propres créateurs, comme dit Saint Grégoire
le Théologien qui exprime cette idée. Créateurs de tout, nous commençons par de
petites choses, puis soudain, à partir de là, nous préparons notre esprit,
notre être, à recevoir le Souffle divin incréé.
L'énergie qui nous ressuscitera.
Je vous ai dit que l'apôtre Paul était un poète, un théologien et un
philosophe génial. Soyons donc ses imitateurs (cf 1 Corinthiens Il, 1) et ainsi
nous serons tous les artisans de notre salut éternel en Dieu: "J'attends
la résurrection des morts" (Credo). Souvenez-vous en: nous avons dit que,
lorsque nous prononçons ces paroles de notre Symbole de foi, nous devons nous
rappeler qu'elles manifestent l'état de l'esprit qui attend la venue du Christ.
Et cette attente, qui est maintenant la nôtre:
"J'attends la résurrection des morts", est le résultat de notre
création. C'est et ce sera l'énergie qui à coup sûr nous ressuscitera.
Nous devons devenir des poètes inspirés ...
Oh!. comme je voudrais que vous deveniez tous des poètes!.
Sans inspiration créatrice, il est difficile de passer même un seul jour
comme il convient à un chrétien.
Ainsi donc, en nous approchant de ce Carême, ouvrons nos cœurs et nos
esprits à la Résurrection qui est devant nous, comme le Seigneur qui, avant de
commencer sa prédication, jeûna quarante jours au désert, au milieu des animaux
sauvages.
La temptation de Jésus. Cécile. Rome. |
... mais aussi des lutteurs courageux
Ainsi aujourd'hui, j'ai dit quelques paroles pour fixer notre esprit sur
l'exploit ascétique qui nous attend. Je veux encore ajouter à cela, qu'il faut
être, non seulement poète, mais aussi un lutteur courageux. Le Seigneur a dit
que le Royaume des cieux se conquiert par l'effort et l'ascèse, et que seuls
ceux qui font des efforts sur eux-mêmes s'en emparent. (cf Matthieu Il, 12).
Lorsque nous vivons sur terre, notre expérience de la vie dans le corps
montre qu'il nous faut régulièrement boire, manger, dormir, nous reposer, pour
le remplir d'une nouvelle énergie biologique indispensable à la vie. Il en est
de même sur le plan spirituel. Nous devons nourrir notre âme, notre intellect,
et cela ne va pas sans efforts. Vous connaissez tous cette expression, souvent
utilisée ironiquement: "Oh! il est dans les affres de la création!"
On peut parler ainsi de tout artiste, dans chaque domaine de l'art.
Nous recevons la vie incréée de Dieu.
De cette manière, en commençant par ce qui est tout petit, nous devenons
disponibles à la manifestation de Dieu en nous. Et notre foi, c'est que nous
recevons réellement la vie incréée de Dieu. Lorsque nous imitons le Dieu incarné-
je parle du Christ - cela passe ensuite également sur le plan de l'esprit,
après notre mort. Si nous sommes semblables à Lui tel qu'Il était sur terre,
nous Lui serons aussi semblables dans son éternité sans commencement.
Intellect et folie de la foi.
Voici, vous voyez quelles paroles nous prononçons: l'éternité sans
commencement de Dieu nous sera communiquée! Une telle audace n'est-elle pas le
signe de notre folie?. Mais voici que le génial Paul dit que c'est cette folie
qui sauve le monde (cf. 1 Corinthiens 1, 21).
Ce que le Christ nous a promis, l'intellect humain ne le contient pas.
Notre intellect terrestre peut être très doué pour la pensée ou l'activité scientifique,
pour la philosophie ou pour bien d'autres disciplines, mais non pour croire en
l'éternité. Par contre, même les enfants peuvent croire en l'éternité, comme
l'a dit le Seigneur (cf. Matthieu 11, 25). Ainsi, vous le voyez, aujourd'hui
aussi, c'est toujours le même élan vers notre Dieu céleste, toujours le même
Esprit qui nous entraîne à suivre le Christ.
Haine de soi par amour de Dieu et du prochain.
Il y a quelque temps, j'ai entendu quelqu'un me dire: "Je suis
fatigué de souffrir. Je ne veux plus souffrir. Je cherche le repos, la joie, le
bonheur sur terre. Mon âme est dégoûtée de souffrir." Bien que l'homme qui
me disait cela fut orthodoxe, à vrai dire il ne pensait pas d'une manière
orthodoxe. Pour devenir capables d'embrasser par notre amour toute la création,
nous devons passer par bien des états douloureux et par beaucoup de
souffrances. L'énergie pour supporter ces souffrances, nous la trouvons dans le
commandement du Christ de se haïr soi-même par amour pour Dieu et même pour
notre prochain (cf. Luc 14,26).
Le Christ souffrit par amour des hommes.
Voilà, je vous ai parlé de choses, à vrai dire, terribles. Vous m'avez
entendu dire que, aux jours de sa vie de Dieu incarné sur terre, Jésus-Christ
était l’unique homme qui, ayant donné le commandement de se haïr par amour pour
Dieu et pour le prochain, monta sur le Golgotha, non pour se sauver Lui-même:
Il alla au-devant de toutes les souffrances, plein d'amour pour sauver l'homme,
l'humanité. Oh! Cette image de l'Homme!. Ceux qui ont expérimenté cette vision,
évidemment, ne peuvent trouver nulle part ailleurs quelque chose de semblable.
Ce que le Seigneur nous a commandé, Il l’a accompli Lui-même. Par amour
pour le prochain, Il s'est livré à toutes les souffrances. Non seulement à la
mort, mais encore à une mort qui était ressentie comme une malédiction dans
l'Ancien Testament:
"Maudit soit celui qui pend à un arbre" (cf Deutéronome 21,
23; Galates 3, 13).
Nous ne parvenons pas à la mesure que nous voyons en Christ.
Souvenez-vous du Jugement dernier.
Avant le début du Grand carême, nous aurons le service du Grand pardon
au cours duquel, dans notre petit cercle, nous demanderons humblement pardon à
nos frères et sœurs pour tout ce en quoi nous avons péché devant eux, même dans
nos pensées.
Souvenez-vous alors aussi du Jugement dernier.
Passer du petit à l'infini.
Il est dit que le Seigneur viendra dans la gloire, et que, lorsqu'Il
s'assiéra sur son trône, tous les peuples se rassembleront devant Lui, depuis
la création de l'homme jusqu'au dernier à être né d'une femme. C'est-à-dire:
détachez votre esprit des petites choses et transportez-le vers d'autres,
illimitées, dont les premières sont néanmoins l'image. Voilà ce qui nous est
demandé.
Au cinquième chapitre de Matthieu, on trouve beaucoup de paroles du
Christ qui complètent la loi de Moïse. Il dit: "Il est écrit dans la Loi
ceci et ceci, mais Moi, je vous dis cela et cela." Chaque fois, à partir
des commandements de l'Ancien Testament, Il passe au sens infini de chacun
d'entre eux. Ainsi donc, moi aussi, j'essaie de vous proposer, en tant que
votre frère, d'utiliser ce moyen dans le but de rendre notre vie féconde: à
partir de petites choses, passez à ce qui est infini.
Référence :
Paroles à la communauté. Février 1994,
N*18.