Saint Sophrony l'Athonite. |
Encore et encore, parlons de cette Lumière de vie que les ténèbres du non-être ne peuvent engloutir (voir In l , 5). Je ne vis pas par moi-même: je suis tout entier tourné vers Celui que j'aime. Il m'a donné la vie, Il est ma vie. S'il en est ainsi, que suis-je donc.?..
Grand est l'homme quand il est en Dieu. Par
la puissance de l'amour divin, l'homme embrasse le monde entier et, dans un
certain sens, devient le «centre du monde». Cette pensée me vint pour la
première fois lorsque Dieu me donna la grâce de la «mémoire de la mort». Cette
expérience, plutôt négative dans son intensité maximale, m'a donné de vivre mon
départ dans le non-être comme l'anéantissement en moi de tout le cosmos: «en
moi », avec ma mort, meurt le genre humain tout entier, avec toutes ses
souffrances et ses joies, ses aspirations et ses connaissances. Plus que cela:
Dieu lui-même - encore inconnu et cependant connu d'une certaine manière -
meurt Lui aussi, en moi et pour moi. Tout l'être créé et incréé disparaît dans
les ténèbres abyssales de l'oubli. Ces expériences d'un tel état de l'être
étaient, en réalité, la contemplation de « absoluité » « image» de l'Absolu -
du principe hypostatique en nous, mais affectée du signe moins.
Cependant, lorsque la Lumière incréée vint
et témoigna à mon esprit que j'étais hors de l'emprise de la mort, tout ce qui
auparavant était mort en moi se releva avec moi sous l'effet de cette Lumière.
Alors, les effroyables ténèbres de la mort,
la pénible aversion envers moi-même à cause du péché qui vivait en moi et que
je ressentais comme une séparation d'avec le Dieu d'amour, l'amère désespérance
à mon propre sujet, la révolte contre l'absurdité de l'existence en général
telle qu'elle se reflétait auparavant dans ma conscience, tout cela fut
radicalement transfiguré par la force régénératrice du repentir, devint une
«kénose» semblable à celle du Christ. Car ceux qui lui ressemblent dans leur
mort, sont relevés et portés à une gloire éternelle semblable à la sienne (voir
Ph 2,7-8 ; 3,9-11 ; Rm 6,5). C'est ainsi gue l'on connaît Jésus-Christ, à la
fois dans sa souveraineté éternelle et dans son ineffable kénose « pour nous
les hommes et pour notre salut».
Le Christ a vaincu le monde (Jn 16,33).
Désormais, il n'y a plus rien ni personne qui puisse limiter sa souveraineté.
Par de nombreuses souffrances, nous nous libérons du pouvoir qu'exerce sur nous
tout ce que nous avons vécu auparavant. Enrichis par l'expérience de la
victoire remportée grâce au repentir, nous devenons semblables au Fils unique
dans sa souveraineté : l'enfer cesse de nous posséder, et nous le regardons
sans plus ressentir d'effroi comme auparavant.
Je ne prétends nullement que le Seigneur
Jésus a vécu de cette manière sa propre « kénose » au jardin de Gethsémani et
sur le Golgotha. Mais c'est ainsi qu'il m'a été donné de le comprendre dans ma
repentance devant Lui pour toutes mes transgressions spirituelles. Pourquoi
donc un tel homme priait-il: « Mon âme est triste à en mourir […]. Mon Père,
s'il est possible que cette coupe passe loin de moi […]. Et sa sueur devint
comme de grosses gouttes de sang qui rom baient à terre » (Mt 26, 38-39 ; Le
22, 44)
Pour moi, qui ne suis pas grand-chose, ce
que j'ai expérimenté alors était grand et cela n'a cessé de croître jusqu'à
présent. Je me demande, avec une crainte révérencielle: que voyait-Il donc, mon
Seigneur, pour prier ainsi.?.. Il est infini dans sa divinité, inaccessible
dans son abaissement, sans limite dans son amour « jusqu'au bout» (Jn 13, 1),
hors d'atteinte dans sa gloire.
Nul doute que sa souffrance était plus
grande que celle de tous les autres hommes, pour être la « passion rédemptrice
du monde».
La Sainte Théophanie. Peinte par Saint Sophrony. Monastère Saint Jean-Baptiste. Angleterre. |
Il est, en vérité, la Lumière venue dans le
monde afin que quiconque croit en Lui ne demeure pas dans les ténèbres (voir Jn
12,46).
Les manifestations de la Lumière - une dans
sa nature éternelle - diffèrent entre elles quant à leur force et à leur mode.
Il est rare, dans l'histoire de l'Église, que les visions de la Lumière atteignent
une plénitude relie qu'au moment de son illumination, l'esprit de l'homme soit
encore gratifié d'une révélation personnelle de Dieu. C'est ce qui arriva au
Thabor lorsque Pierre, Jacques et Jean entendirent la voix immatérielle du Père
témoignant de son Fils bien-aimé. Ce fut aussi le cas de l'apôtre Paul sur le
chemin de Damas; le resplendissement lumineux fut impressionnant, de même que
le fut, à sa suite, la conversation personnelle avec le Christ, au cours de
laquelle Paul reçut la certitude que le Dieu qu'il honorait, qui s'était révélé
à Moïse au Sinaï, était Lui: « Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac 9, 5).
Plus fréquemment, cette Lumière embrasse
l'homme lorsqu'il se trouve totalement absorbé dans l'état d'une prière de
repentir, comme se tenant à la limite du désespoir. Au début de notre élan pour
nous repentir de nos péchés, cette Lumière sainte nous donne l'expérience de la
miséricorde et de l'amour de Dieu, mais pas encore celle d'une conversation
face à Face. Une telle conversation n'a lieu que lorsque l'homme est vraiment
en Dieu, et Dieu en lui, lorsque l'esprit de celui qui prie sait que Celui qui
lui est apparu est le Maître éternel de tout ce qui est, le Premier et le
Dernier, inaccessible et pourtant si intimement proche, à la fois invisible et
perçu même par le corps, embrasant le cœur par le feu de l'amour et illuminant
l'intellect par la lumière de la science :
Lumière de la science, Lumière de la
connaissance, mais d'une connaissance inexprimable en paroles. Il se nomme
d'ailleurs lui même Je Suis Celui Qui Suis. Chacun ne saisit ces très saintes
paroles que dans la mesure effective de sa propre expérience. Et aucun des
mortels ne peut dire qu'il a connu « jusqu'au bout» l'Être qui se cache
derrière ces paroles. Pourtant, nous avons l'espérance que viendra le jour
éternel où Il sera « tout en tous » (1 Co 15, 28).
Référence:
Voir Dieu tel qu’Il est. Archimandrite
Sophrony. Le sel de la terre.cerf.2004