Le commandement d'aimer, fondement du monastère.
Fresque de Saint Sophrony l'Athonite au monastère Saint Jean-Baptiste, Maldon, Essex. |
Ainsi donc, faisons monter nos actions de grâces vers
Dieu qui nous permet de nous réunir de nouveau pour examiner ensemble quelques
aspects de notre vie et pour voir comment nous pourrons construire notre avenir
de manière à ne pas perdre l'essentiel, c'est-à-dire notre salut éternel en
Dieu. Le commandement de Dieu est si profond qu'il est impossible de le sonder
jusqu'au bout, surtout tant que nous sommes encore dans cette chair. Mais d'une
manière étrange, ce commandement est néanmoins compréhensible même pour les
enfants, et réalisable par nous dans la mesure de nos forces. Ainsi, c'est par
le commandement d'aimer qu'à mon avis - pécheur que je suis -le Seigneur
affermira ce lieu, et nous donnera maintenant la possibilité de construire un
temple à la Sainte Trinité comme un témoignage concret de toute notre activité.
Pardonnez-moi, mes chers frères et sœurs, pardonnez-moi de répéter toujours la
même chose, mais c'est parce que nous vivons dans ce monde et que les
conditions extérieures agissent sur nous jour et nuit; aussi devons-nous
constamment veiller à accomplir notre service devant Dieu sans commettre de
péché.
Pensez donc ... juste avant sa mort sur le Golgotha, le
Seigneur a dit: «Voici, je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les
uns les autres» (cf Jean 13, 34). Par ce lien d'amour, nous deviendrons
semblables à Dieu dans la Trinité des Personnes. Un des moyens pour observer ce
commandement du Christ est la Prière pour l'unité de lia communauté que
je me suis permis de vous proposer [cf Parole no 22, Juin 1994]. Je sais
qu'il n'est pas facile de dire une prière pareille, mais je suis persuadé que
nous devons vraiment porter son contenu dans nos consciences en toutes
circonstances. «D'une ampleur infinie est ton commandement », dit le Psalmiste (Psaume
118, 96). Evidemment, nous veillerons chaque jour à ce que notre service et
notre vie se passent sans péché.
Espérons que les autorités locales nous accorderont les
permis nécessaires pour cette entreprise qui se présente maintenant, me
semble-t-il, comme plus réalisable que n'importe quand dans le passé, - je
parle de la construction d'une église. Nous avons encore d'autres travaux à
accomplir avant de poser la première pierre de cette église. Il faudra
cependant faire cela sans tarder, sans perdre de temps. Nous sommes nombreux
maintenant, deux fois plus que les disciples du Christ; ils étaient douze,
alors que nous sommes vingt-sept ou vingt-huit. Ainsi, ne vous fâchez pas
contre moi, mais dites cette Prière pour l'unité avec un sentiment
d'humble attendrissement du cœur, et vous en verrez les résultats.
Souvent, trop souvent, nous entendons dire: « Voilà, j'ai
prié Dieu, mais sans résultat! » Ces paroles me rappellent parfois un conte de
Krylov sur une guenon dont la vue avait baissé avec l'âge; des gens lui dirent que
ce mal n'était pas réellement si grave et qu'elle devait essayer de se procurer
des lunettes. Elle commanda donc cinquante paires de lunettes, mais elle les
mettait n'importe où, tantôt sur l'arrière de la tête, tantôt sur la queue,
etc. De même nous: n'utilisons pas la prière de cette manière, mais demandons à
Dieu avec des pleurs: « Donne-moi la sagesse et la force afin de vivre selon
ton commandement. »
Église de tous les Saints au monastère Saint Jean-Baptiste, Maldon, Essex. |
Revenons à la question de la construction d'une nouvelle
église, cette fois d'une vraie église. Nous sommes reconnaissants à Dieu
pour cela [le Père Sophrony montre de la main l'espace de l'église SaintSilouane
où a lieu l'entretien, N.d.T.], mais ce n'est encore qu'une « chapelle» [en français dans l'entretien];
il nous faut maintenant construire une vraie église orthodoxe, dans le style
traditionnel. J'ai demandé à quelqu'un: « Qu'est-ce
qui manque dans notre église ici? » La
réponse fut immédiate: « Des coins où
l'on peut se cacher! » Cela est exact, c'est un conseil très judicieux: il
faudra construire de telle manière que les personnes écrasées et en larmes
puissent se cacher. En parlant de cette chapelle, j'ai dit une fois que c'était
le « maximum du minimum », seulement une chambre, mais il y a tout ce
qu'il faut pour la Liturgie. Il ne manque que des coins où l'on puisse se
cacher. Je ne vois pas clairement, mais il me semble que Sr. Séraphima sourit,
ce qui veut dire qu'elle prend cela au sérieux.
Pour que Dieu nous donne tout, efforçons-nous de garder
ses commandements. Nous avons maintenant une magnifique traduction de cette Prière
en anglais, une excellente traduction en grec, mais pas encore en français.
La tension avec laquelle cette Prière a été écrite
nous incite à en prononcer chaque prière avec tension et avec une grande
attention. Par exemple, quand nous prions le Saint-Esprit et disons: « Viens et
demeure en nous », il faut être
pleinement conscients de l'importance de cette invocation. Il faut penser au
sujet de soi-même: « Comment le Saint-Esprit viendra-t-Il parler en moi si je
méprise les commandements du Christ?»
Le Seigneur dit dans l'épilogue de l'évangile de
Matthieu: «Allez chez toutes les nations et apprenez-leur à observer tous les
commandements que j'ai donnés» (cf. Matthieu 28, 19-20). Ce n'est que
lorsque nous remplissons ces conditions, c'est-à-dire que nous gardons dans
leur totalité tous ces commandements, que ce qui semble aux hommes de la
folie ou une absurdité deviendra au contraire une évidence pour nous: « Tu es le seul qui est venu, et Tu nous as
donné de connaître la voie qui mène vers le Père. »
Au départ, nos moyens nous ont permis de construire
seulement ces quatre murs [l'église Saint-Silouane, N.d.T.]. Maintenant que
nous sommes plus nombreux, nous devons trouver des forces pour construire une
vraie église et cela - je répète toujours la même chose, comme un perroquet -
cela dépend de ce que nous observons ou non les commandements du Christ, de ce
que nous mettons nos lunettes devant les yeux et non sur la queue, comme la
guenon du conte. L'avez-vous lu?
Soumettre nos
idées à l'higoumène.
Venons-en au côté pratique. Je crois que le
starets Ambroise a dit une fois à quelqu'un: «
Si tu n'as pas été nommé responsable pour telle ou telle fonction,
n'empêche pas les autres de l'accomplir. » Pour
éviter une perte [de temps], priez et Dieu montrera ce qu'il faut faire, mais
confiez tout à l'higoumène. Voilà: justement au moment où je veux parler de lui,
il est absent: il est allé chercher des informations pour la nouvelle église.
Je vous dirai que Dieu nous a donné un higoumène à qui nous pouvons confier
toutes les affaires du monastère et même nos vies. Mais pour qu'il puisse
accomplir sa tâche, nous devons lui en donner la possibilité, et cela par notre
obéissance. Nous éviterons ainsi toutes sortes de tiraillements, et notre vie
prendra la forme d'une joyeuse création, et non d'un pénible conflit. Nous nous
réunirons donc autour de notre higoumène afin d'exécuter tout ce qu'il nous
dira, mais cela ne veut pas dire que nous ne penserons à rien. Nous pourrons
lui communiquer les meilleures idées qui nous viennent par la prière pour les
soumettre à son jugement; et lui qui voit l'ensemble des activités pour chaque
jour, fera usage de nos suggestions. Alors le Royaume éternel du Père sera
donné au dernier novice dans la même mesure qu'à ceux qui sont venus travailler
tôt le matin, comme le dit le Christ dans la parabole des ouvriers envoyés dans
la vigne (cf. Matthieu 20, 1-16).
Maintenant donc, il reste cette chose: apprenez, lisez
cette Prière pour l'unité; ensuite elle entrera dans vos cœurs et vous
pourrez la dire de mémoire, sans avoir besoin de la lire.
Église de Saint Silouane l'Athonite, au monastère Saint Jean-Baptiste, Maldon, Essex. |
Il n'est pas sans danger pour ceux qui s'approchent de
l'Eglise et qui réfléchissent à son sujet, de penser qu'il suffit de se
comporter humblement, comme un homme pauvre. Oui, le Seigneur se penchera vers
un tel homme, mais cela ne signifie pas que nous devions nécessairement réduire
toute la vie ecclésiale en Christ et dans le Saint-Esprit à cet état. De même
dans la vie de notre communauté: chacun travaillera pour Dieu dans son domaine
et, selon les paroles de l'apôtre Paul et de l'apôtre Pierre, dans la mesure de
ses forces et de ses dons, - quant à la distribution des tâches, nous la
confions à l'higoumène. Mais que personne n'aille penser que cuire la soupe
pour les frères serait un obstacle sur la voie du salut. On peut parvenir à la
plénitude du salut en n'importe quel lieu, en accomplissant n'importe quel
travail. Je parle de cela afin que lorsque l'higoumène arrivera, vous le
laissiez distribuer les tâches, étant conscients que toute activité peut nous
attirer la bénédiction de Dieu.
Que chacun serve Dieu selon son talent
Certains ont l'étrange idée qu'il fallait à tout prix
donner une obédience dans le domaine le plus ingrat et le plus désagréable pour
la personne. A celui qui aime rester silencieux, il faudra confier la charge de
l'hôtellerie; on choisira comme cuisinier justement celui qui est incapable de
cuisiner correctement; on écartera le bon peintre de l'atelier d'iconographie.
Vous comprenez? Moi pas; je ne partage pas ce point de vue. Mais que chacun
serve Dieu selon son talent. Ce que j'ai retenu clairement dès le commencement
de ma vie au Mont Athos, c'est qu'il importe peu que je travaille à la cuisine
ou au jardin potager, que je sois chantre au chœur ou secrétaire de l'higoumène.etc.
J'ai remarqué que si l'on aborde ce problème
correctement, la grâce de Dieu se répand abondamment sur l'homme.
Lorsque je suis entré au monastère Saint-Pantéléimon,
Dieu m'a donné une très bonne pensée. Voici quelle était cette pensée: « Bien
que je sois si corrompu, je suis pourtant admis par des hommes saints à
partager leur vie. » En esprit, je
baisais réellement la terre. Je pensais: « Comment se fait-il que des hommes
saints, des élus de Dieu, tous appelés par le Saint-Esprit à l'ascèse
monastique, m'accueillent avec tant d'amour? »
Cela m'a aidé à tout supporter, et la prière jaillissait en moi comme un
volcan, sans que je puisse l'arrêter.
Je voyais que ce qui compte, ce n'est pas de lire au
sujet de Dieu, d'étudier la théologie dans des livres sans l'unir à la prière;
on ne peut comparer cette forme de théologie au don de la prière que l'on
reçoit pour un humble service. Il est plus important de vivre Dieu que
de connaître beaucoup de livres à son sujet.
Quant à vous, mes chers frères et sœurs, accueillez mes
paroles dans vos cœurs, et priez pour moi. Ma vie est devenue très difficile.
Depuis sept ans déjà, je ne vois plus mon visage; je ne peux pas lire depuis
plus de sept ans. Je ne peux pas me permettre de faire deux pas hors de ma
maison, parce que je perds l'équilibre; je vis comme un parasite sur le dos des
autres. Je vous demande: priez pour que le Seigneur m'aide, ou plutôt pour
qu'Il me prenne vers Lui.
Voilà ce que je voulais encore une fois vous dire: réalisez
la grande importance de cette Prière pour l'unité; devenez dignes de
construire une église à la Sainte Trinité; enfin que chaque jour soit libre de
mauvaises pensées au sujet de quiconque, pour que se développe dans nos cœurs
la répugnance à dominer par la force et le désir de livrer notre vie afin que
les autres vivent.
Référence :
Parole à la communauté. Archimandrite Sophrony. N*33,
Noêl 1995.