"J'ai désiré avec ardeur
manger cette Pâque avec vous avant de souffrir" (Le 22, 15).
"Voici que Je me tiens à la
porte et que Je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte,
J'entrerai chez lui pour souper, Moi près de lui et lui près de Moi" (Ap
3, 20).
"Peuple ingrat, reviens de
ton égarement, reconnais Celui que tu as transpercé, vois de quel amour Il
t'aime, et te prévient, t'accordant aussi la vie et la résurrection» (Stances
du Samedi-Saint, ton 5).
“Jésus aimait Marthe, sa sœur et Lazare”.(Jn11: 5) |
C'est un mystère indicible, qui
me dépasse. Et, toutefois, c'est un fait que le Fils de Dieu est venu dans le
temps en assumant volontiers le besoin de moi, en manifestant un besoin de moi.
Il veut que je L'aime. Ce que Dieu nous donne ne serait pas parfait, s'il n'y
avait que Lui qui nous aimait, s'Il n'avait pas besoin par bienveillance de
notre amour. Là est l'abnégation de Dieu: Il a accepté d'avoir besoin de nous.
C'est en cela que se manifeste la valeur indicible et éternelle qu'Il a mise en
nous.
L'homme est créé par Dieu avec le
sceau de la responsabilité imprimé en lui. Ici est une preuve de l'existence de
Dieu. Je suis responsable, je dois répondre à une autorité inconditionnée. Je
dois répondre à l'appel de Dieu, pour tout ce que j'ai, pour tout ce qui existe
autour de moi, pour moi-même; je dois retourner à-Dieu tout ce qu'Il m'a donné,
je dois Lui retourner moi-même. Je parle parce que je dois répondre; ma parole
est une parole de réponse.
La parole de Dieu est une parole
qui fait appel à moi; Il veut que je L'aime, parce qu'Il m'aime. Il a la
bienveillance d'attendre de moi mon amour. Il Se réjouit de mon amour, de mon
attention. Il a imprimé en moi cette nécessité de répondre, cette
responsabilité de répondre à Son amour, à Son attention par mon attention, de
développer ce qu'Il m'a donné.
"En quoi vous ai-Je
contristé pour susciter votre fureur? Qui plus que Moi vous a sauvé de
l'affliction? Et maintenant, que Me donnez-vous en retour? Le mal pour le bien
... de vinaigre vous M'abreuvez." (Vendredi saint, STICHÈRE, t.2.)
Mais l'homme est affaibli par le
péché, par cette insensibilité égoïste - égoïsme signifiant aussi insensibilité
à ce que l'homme est, à son humanité véritable. Cette sensibilité, cette
responsabilité se sont affaiblies; le Christ a assumé notre humanité en renouvelant en elle toute la
responsabilité. En assumant cette humanité, en actualisant cette
responsabilité le Christ est à la fois Dieu qui appelle Son humanité à
répondre, et l'homme qui répond à Dieu. Il est Dieu et Il est homme. Comme tel,
Il précède les hommes par Son exemple. Il est un homme qui répond pour nous; Il
répond jusqu'au sacrifice de Lui-même comme homme. Il répond au Père.
Il y a peut-être ici une forme
humaine de réponse éternelle à l'amour du Père, parce qu'Il est le Verbe: même
dans la Trinité, Il répond à l'amour du Père qui L'aime en premier.
Dans la Trinité, Il répond, mais
la réponse ne va pas jusqu'au sacrifice comme celui de la Croix. Celui-ci est
motivé par le péché de l'homme: le Christ doit alors souffrir la mort, Il doit
Se donner entièrement. Comme Dieu le Christ Se donne aussi, comme personne
divine, à Son Père, dans la Trinité. Le Saint-Esprit renforce aussi le
sacrifice, dans ce don de soi du Christ pour le monde et au monde. Il accomplit
pleinement la responsabilité du Christ. Il veut répandre, étendre en nous cet
état de responsabilité jusqu'au sacrifice de la mort. C'est une responsabilité
non seulement envers Dieu Père, mais aussi envers les hommes Ses frères.
Dieu a imprimé en nous, en nous
créant, une responsabilité envers Lui et envers les autres. Dieu responsable de
Sa création, créant l'homme comme être responsable, S'est fait Lui-même homme
responsable devant Dieu, pour les hommes et envers les hommes.
La responsabilité envers les hommes nos frères. |
Ainsi, dans notre responsabilité
envers les hommes, se manifeste notre responsabilité envers Dieu. Nous
répondons à Dieu en aimant les autres. Mais nous répondons pour eux afin
d'éveiller en eux aussi la responsabilité. Tous doivent recevoir du Christ cette
responsabilité les uns envers les autres. "Quand vous ferez quelque chose
pour les autres, vous le ferez pour moi." Nous devons voir dans chaque
homme une image du Christ. Il y a une présence du Christ dans chacun des
hommes, surtout quand l'autre a besoin de moi.
« Car J'ai eu faim et vous M'avez
donné à manger, J'ai eu soif et vous M'avez donné à boire, J'étais un étranger
et vous M'avez accueilli, nu et vous M'avez vêtu, malade et vous M'avez visité,
prisonnier et vous êtes venus Me voir»(Mt 25, 35).
Le Christ S'est humilié jusqu'à
faire siens les besoins des autres, jusqu'à S'unir aux autres dont les
nécessités demandent réponse. C'est pour cela que saint Syméon le Nouveau
Théologien dit que je dois voir chaque homme comme le Christ. En répondant à l'autre,
en aidant l'autre, en aimant l'autre, j'aime, j'aide le Christ, je me mets dans
cet état de responsabilité envers le Christ et cela fait le sérieux de l'homme.
L'homme déchu de son humanité acquiert la conscience de soi et la dignité de
l'humain quand il est responsable de l'autre, voyant la dignité éternelle de
l'autre; sinon il peut perdre complètement la conscience de soi-même. S'il n'a
pas la conscience de sa responsabilité, il se dégrade et ne signifie rien. Il
voit qu'il signifie quelque chose pour les autres quand il exerce sa
responsabilité envers l'autre. Et il voit alors que l'autre a besoin de lui.
L'égoïsme annule l'importance de
l'homme; l'égoïste perd la conscience qu'il signifie quelque chose pour les
autres. Il finit par être isolé, son existence n'a pas de sens; il finit
souvent -par le suicide, ne pouvant pas supporter la conscience de ne pas être
nécessaire à quelqu'un. Nous devons avoir cette conscience d'être nécessaires
aux autres, responsables, de signifier soi-même quelque chose ...
D'où vient cette force
inconditionnée de la responsabilité? Car je pense toujours à me dérober, sans
succès, à cette responsabilité. Elle m'a été imprimée par la création et
renouvelée en Christ. Autrui se manifeste avec évidence, ayant une valeur éternelle
en face de Dieu, par la nécessité de le servir de façon inconditionnelle; il
s'avère comme un lieu de la présence de Dieu, comme un signe indestructible de
la présence de Dieu.
Référence:
"Ose
comprendre que Je t'aime". Dimitru Staniloae. M.A.Costa de
Beauregard.(1983).