Saturday, January 5, 2019

La Lumière du monde.
Le Père confesseur Nicolae Steinhardt*.


Apparaissant aux hommes comme une aurore porteuse de lumière,
Tu viens maintenant du désert vers les eaux du Jourdain, Roi du soleil, pour y incliner la tête...(Service Liturgique)

Le texte évangélique du saint Apôtre Matthieu (Mt 4, 12- 17) est, en vérité, l'un des plus terrifiants du Nouveau Testament, si ce n'est le plus terrifiant. Pourquoi ?. Parce qu'on nous parle de la venue du Christ dans le monde, autrement dit dans le monde actif, dans le monde des hasards et des événements, de la vie quotidienne, en plein tourment de la vie adulte. Le nourrisson de l'étable, l'enfant qui étonnait les sages du temple, cède maintenant le pas au jeune homme qui assume sa mission et affronte l'immanent. Le texte évangélique nous Le montre aussi comme « une grande lumière », comme « la lumière qui sest levée », tout comme le Prologue du saint Apôtre et Évangéliste Jean. La merveilleuse nouvelle n'est plus promesse, mais accomplissement, début réel, acte. Jésus a trente ans. La Loi et la Tradition lui permettent de prêcher et de prophétiser. L’aurore s'est faite matin, et le matin s’est fait midi fertile au centuple ... Et où voit-Il le jour? Dans la «Galilée des Nations », la contrée qui tire son nom du mot hébraïque "galil" qui signifie agglomération, bariolage, Babylonie. Qu’est-ce que cela veut dire ?. Que le Christ est venu pour tous les hommes, sans exception, pas seulement pour les juifs. Il est venu pour toutes les nations et pour toute l'humanité.
C'est cela le début du prêche du Christ, le moment de la transfiguration du monde entier, la croisée des chemins de notre espèce, la grande révolution, la seconde naissance de l'humanité, son année zéro, le nouveau commencement.
C'est le moment du miracle de Cana de Galilée - miracle de l'accroissement, de l'abondance, de la joie - de la lecture dans la synagogue du texte prophétique sur le Messie" devenu actuel, du rendez-vous des hommes avec le Christ", de ces rencontres semblables à l'éclair et au tonnerre: rapidité, instantanéité, frémissement, étonnement, ravage. La rencontre avec le Christ ressemble, sans aucun doute, une rafale de vent qui fait table rase de tout le passé, tel le feu tombé du ciel qui détruit tout. Il en aura été ainsi pour Nathanaël (« Parce que je t'ai dit que je t'avais vu sous le figuier, tu crois» (Jn1 : 50), pour l'aveugle de naissance ( “Et il dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant Lui” (Jn9 : 38), pour la femme samaritaine (La femme lui dit: « Seigneur je vois que tu es un prophète » (Jn 4, 19), pour Marthe (Elle répondit: « Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde) (Jn11 : 27), pour Simon-Pierre (“ Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16), pour le bon larron (“ Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi” (Lc 23, 42), pour Saul de Tarse (( Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait ... » Ac 9, 4), pour Marie l'Egyptienne pétrifiée à la porte de l'église d'Alexandrie.
Les voies d'accès au Christ sont infiniment diverses.
Voici, je me tiens à la porte
 et je frappe" (Ap3 : 20).
Il se choisit comme vases nobles toutes sortes de gens et, à première vue, pas du tout adaptés pour Le servir : un débauché comme saint Augustin, un officier dur comme saint Ignace de Loyola, un sorcier comme saint Cyprien, un poète vitaliste comme Paul Claudel (submergé par la grâce, derrière un poteau de la cathédrale Notre Dame de Paris), un rebelle, un contestataire comme Arthur Rim­baud, un révolté comme F. M. Dostoïevski (dans son bagne sibérien) ou comme Silvia Pellico (dans sa geôle morave) ou encore comme Evguénia Sémionovna Guinzbourg dans le camp arctique, où on lui a offert l’occasion de partager son pain avec son ennemi, en accomplissant ainsi le commandement du Christ vis-à-vis de son enquêteur qui l'avait battue et torturée et qui était devenu, lui aussi, détenu dans le même camp. Il s'est aussi choisi l'helléniste, grande spécialiste de Platon, la juive Simone Weil, éminente élève du philosophe phénoménologue Husserl (tout comme la juive Edith Stein, plus tard martyre et canonisée par l'Église Catholique) ; un athée complètement étranger à toutes préoccupations religieuses (comme André Frossard, qui était entré dans l'église juste pour s'abriter de la pluie, en attendant un ami en retard au rendez-vous). C'est lui l'auteur de la formidable réplique à la formule de Laplace - Dieu est Une formule inutile - : Seulement Dieu existe, le reste n’est qu’une hypothèse). Il a également retenu un juif ennemi déclaré du christianisme, comme Alphonse Ratisbonne (un médaillon de la Mère de Dieu, accepté bon gré, mal gré, et seulement par politesse, agit sur lui de façon miraculeuse) ; un érudit socialiste, comme Charles Péguy (attiré par le Christ, après cinq crises spirituelles, grâce à l'étude de la vie de l'héroïne-vierge Jeanne d'Arc, à l'époque d'un grand scandale politique et judiciaire) ; un indien comme Sadu Sundar Singh (qui a osé menacer le Christ, en déclarant qu’il se suicidait si le Christ ne lui apparaissait pas sur le champ - et le Seigneur a exaucé sa demande!.) Le Christ a même choisi une actrice de théâtre des boulevards parisiens (Ève Lavallière), ou une autre actrice espagnole du XVIIème siècle qui, jouant le rôle d’une moniale, a refusé d'enlever l'habit monacal et quitta le théâtre au milieu spectateurs agenouillés, passant ainsi directement de la scène au monastère de l’ordre monastique en question ; un acteur, parodiant à Rome au temps des persécutions la scène du baptême Chrétien et pour qui, ce simulacre  de baptême pris en dérision, s’est transformé en vrai accomplissement du mystère du Saint Baptême- et qui est mort martyr. De nos jours. Il s’est aussi choisi un écrivain sceptique, comme notre illustre compatriote Eugène Ionescu, qui est arrivé à Le connaître et à L’aimer au début de la vieillesse, après la lecture attentive des saints Pères et toujours en suivant la Lumière.
Saint Porphyre, l'acteur païen
devenu martyr. 
Les voies- par la diversité du moment, de la méthode, de l’endroit, des circonstances et de l’individu- sont en effet innombrables et le plus souvent surprenantes. La grâce, tel le vent, souffle où elle veut et tout comme le Fils de l’Homme, surgit à l’improvise, tel un voleur. La conversion compte, parmi ces cas stupéfiants, quelques ingénieurs devenus prêtres ou hommes d’affaires, peintres, poètes, philosophes, conquis par le Christ- pas dans leur première jeunesse- sans oublier de nombreux grands physiciens, mathématiciens et astrophysiciens de notre siècle, parmi les plus importants, qui n’ont pas hésité à confesser leur adhésion à la foi en Dieu (Einstein, Schrodinger, Hoyle, de Broglie, Heisenberg, Planck …)
Si pour un Arthur Drews, le Christ et ses apôtres ne sont qu’un mythe solaire(le soleil et les douze constellations), pour Ernest Renan, seulement un doux prophète, tendre et paisible ; pour René Guènon (qui allait finir sa vie comme musulman) seulement le Logos platonicien, créateur d’un système religieux, équivalent à d’autres incarnations du même Logos(Buddha, Moïse, Mahomet, Lao-Tseu…) ; pour un Bultmann, rein d’autre que Dieu, venu incognito sur terre(Le Nouveau Testament, la tradition Chrétienne et l’enseignement de l’Église, de simples mythologies).
 Pour nous les Orthodoxes, qu’est-ce que c’est le Christ ?.
Tout comme pour ces grands biographes, ou pour les spécialistes catholiques contemporains(Giovani Papini, François Mauriac, l’évêque Bougaud, le Père Henri de Lubac, le Cardinal Jean Daniélou, le Père Bruckberger, Daniel Rops), ou les théologiens protestants (Karl Barth), Il est, comme Il l’a dit Lui-même, Fils de Dieu et Fils de l’Homme(c’est le titre donné par Stere Diamandi aux deux volumes consacrés à la vie terrestre du Seigneur), le Chemin, la Vérité et la Vie, la Vie et la Résurrection. Il est l’Un incarné de la Trinité (“Moi et le Père nous sommes un” (Jn10 : 30), le Sauveur du monde, la Porte des brebis, le Bon Berger, le Pain de Vie, l’Eau vive, notre Empereur, notre Frère aîné, notre Ami (car Il a nommé amis ses disciples et d’autres aussi, et même Judas ! ») Et selon la péricope d’aujourd’hui et de nombreuses assertions du saint Apôtre Jean : La Lumière du monde.
Jésus, Fils du Père, notre Sauveur et notre Empereur, l’Un incarné de la Trinité, est- au plus haut degré- la même chose que la Lumière. Il est Celui Qui a vaincu et continue sans interruption à défaire la triple force négative : l’obscurité, la mort, l’enfer, toutes les trois manifestations des ténèbres, de la non-lumière, de l’informe. Ce n’est pas pour rien que Jean, le disciple bien-aimé, écrit: «En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1,4). Le Christ-Lumière est aussi l'espérance de notre pauvre vie tant éprouvée, notre ami de confiance, notre ferme soutien sur les vagues de notre vie agitée, exactement comme Il l'a été pour les disciples, dans la barque menacée par les vagues, sur le lac de Génésareth.
Astraunotes Russes croyants
de la module de commande Zvesda.
Être chrétien - ne perdons pas de vue cette réalité - est un bonheur, un doux miracle, un merveilleux secret. Savoir que Jésus est le Fils de Dieu et de l'Homme, notre compagnon fidèle, que nous pouvons à n'importe quel moment L’appeler, Le prier, nous confier à Lui, L'avoir pour exemple, sentir que nous sommes responsables devant Lui de ce que nous faisons ou nous ne faisons pas, que nous ne pouvons pas Le trahir et Le bafouer par nos mauvais actes et nos pensées sordides, sans en avoir honte au fond de nous- même, car nous ne sommes pas seuls et abandonnés, selon le caprice du déterminisme ou du hasard - existe-t-il un bonheur plus intense pour nos moments de doute, de désorientation, de tentation et de frustration, ou de félicité et de joie ?. Le froid et l'obscurité peuvent nous assiéger, le mal peut nous faire la guerre, mais ils ne peuvent pas vaincre nos ressorts intimes, ne peuvent pas dévaster notre âme, car nous portons en nous le feu du Baptême. Nous sommes baptisés avec de l'eau, certes, mais cette eau-là est Feu et Esprit de manière invisible, tout comme le pain et le vin de la Sainte Eucharistie ne sont pas pain et vin, mais le Corps et le Sang du Christ. 
L’hypothèse du savant roumain Stefan Lupascu, quant à l'image finale de l'univers, nous amène également vers la lumière et le feu. À la fin, soutient Stefan Lupascu l'univers entier sera composé d'une seule sorte de particules, à savoir des photons, ces corpuscules sans masse et porteurs de lumière. Comment sera l'univers dernier ?. Comme une immensité de lumière, sans fin. L’univers sera lumière et rien d'autre, lorsque tous ses composants seront transformés en photons. Qu’est-ce que cela veut dire, que préfigure cette vision eschatologique et astrophysique ? Le Royaume de Dieu bien sûr, le nouveau monde du Christ, de la lumière multiforme, définitivement victorieuse. Stefan Lupascu conçoit réellement l'univers dans sa phase ultime comme étant la manifestation définitive du Christ - la Lumière du monde. Au commencement était le Verbe (“ Le Verbe était la vraie lumière” (In 1, 9) et la fin sera, elle aussi, la lumière christique, lumière thabo­rique, lumière répandue sur toute l'étendue de la création.
Je vois dans l'hypothèse du savant roumain, la preuve que la science, la philosophie et la théologie sont beaucoup moins étrangères l'une à l'autre que ce que l'on pense et affirme généralement.
Le Christ, le début et la fin, l’Alpha et l'Omega, 
la Lumière du monde qui ne décline jamais!

 
Père Nicolae Steinhardt.
*Père Nicolae Steinhardt (1912-1989), d’origine juive, après des études en droit couronnées par un doctorat en droit constitutionnel, était actif dans les milieux littéraires roumains à la fin des années 30. En 1939 il devient rédacteur en chef de la Revue de la Fondation royale, pour être radié l’année suivante dans l’action de « purification ethnique » sous le gouvernement fasciste Légionnaire Antonescu. Écarté comme juif de la Revue, il sera réinstallé en 1944, pour se trouver de nouveau sans emploi après la suppression de la monarchie par les communistes en 1948. Suit une autre période de grandes difficultés personnelles, qu’il partage avec un grand nombre d’intellectuels roumains d’entre-deux-guerres. Associé aux intellectuels non communistes, considérés comme « ennemis du peuple » par le régime, à la fin de 1959 Steinhardt refuse de témoigner contre son ancien collègue Constantin Noïca et subira le même sort que lui et d’autres intellectuels « mystiques-légionnaires » roumains, une peine de prison pour « complot contre l’ordre social ». En prison, il connaîtra la torture mais aussi des grands moments de grâce et il est baptisé furtivement par un prêtre orthodoxe, en présence de prêtres catholiques romains, gréco-catholiques et protestants – un baptême «œcuménique» où tous les chrétiens retrouvent l’unité dans la persécution. Ses années de prison seront le cadre de son chef-d’œuvre littéraire, Jurnalul fericirii (Journal de la félicité). Relâché en août 1964 à l’amnistie générale des prisonniers politiques, complète son initiation chrétienne par la chrismation et la communion et il reprend des activités littéraires, publiant nombre d’articles et six livres de critique littéraires. Il est attiré par la vie monastique et en 1980 il sera tonsuré moine au monastère de Rohia, devenant bibliothécaire du monastère. Il continue ses activités de critique et de traducteur littéraire, tout en travaillant sur le manuscrit du Journal de la félicité et autres manuscrits, impossibles à publier sous le régime communiste. Une première version du Journal de la félicité est confisquée par la Securitate en 1972 ; Steinhardt entreprend la rédaction d’un deuxième manuscrit, plus étoffé, qu’il fondera avec la première version lorsque celle-ci lui est rendue en 1975. Cette version amplifiée est confisqué à son tour en 1984, mais des copies ont été sorties clandestinement du pays, et de larges extraits seront lus à la Radio Free Europe en 1988 et 1989. Steinhardt meurt en 1989 et le Journal de la félicité sera publié en 1991, recevant le prix du meilleur livre de l’année. Par la suite plusieurs autres manuscrits restés inédits seront publiés.




Référence :
Donne et tu recevras. Nicolae Steinhardt.Apostolia(2017)
https://www.pagesorthodoxes.net/bulletin/bulletin-zip/lumiereduthabor44-temoignages-chretiens-en-roumanie.pdf