12 janvier 1970.
Que la paix soit avec vous
!
Saint Sophrony avec les pères
de sa communauté monastique.
On peut penser que c'est
bien comme cela que devrait se dérouler la vie de chaque petite église
paroissiale (pour ne pas dire domestique). Les gens se rencontrent dans la
prière et ensuite dans la vie quotidienne. Les enfants aiment beaucoup que
leurs anniversaires soient fêtés chez nous. A cette occasion la cérémonie est
souvent avancée ou reculée de deux ou trois jours pour coïncider avec un
dimanche ou une autre fête. À ces
occasions je dois couper un immense gâteau et le partager en dizaines de parts,
faire des morceaux ...
Saint Sophrony avec la
“paroisse” du monastère.
Quoi qu'il en soit, je
sens de plus en plus que je suis vieux. Je le ressens particulièrement le
matin, au réveil, quand j'ai du mal à parler
tant ma voix est faible. Plus mon âge dépasse, contre toute attente, tout ce
que l'on pouvait espérer, et plus j'ai naturellement conscience qu'il est temps
pour moi de partir. [ ... ] Par contre, j'ai dans ma vieillesse la consolation
de voir qu'un grand nombre de gens ont reçu à travers
moi un nouvel espoir, une nouvelle énergie, un nouveau sens à leur vie et même
une inspiration nouvelle. Et cela est précieux. Il est bon de voir que beaucoup
nous prennent en affection pour cela. Parmi eux, il y a des représentants d'au moins quatre générations, et même, pour
un petit nombre, on peut parler de cinq.
Vous voyez, contrairement
à mon habitude, j'ai beaucoup parlé de moi et de notre vie. Notre communauté
s'est développée dans beaucoup de domaines, y compris matériel. Ces dernières
années nous avons construit deux maisons. L'une n'est pas très grande, 18
mètres de long pour 6 à 7 de large : c'est l'atelier d'iconographie. Il
est éclairé depuis le haut comme un atelier de peintre, c'est presque l'idéal.
L'autre maison est pour les sœurs et pour les visiteuses. Avec tout le confort
moderne : chauffage automatique, deux salles de bains...
Mais malgré cela les
exigences de la vie croissent plus vite que les possibilités de les satisfaire.
D'autant plus qu'il faut donner aux frères nouvellement arrivés une formation supérieure
- théologique, bien sûr. Pour la moitié d'entre eux, ils sont arrivés après
avoir fait des études supérieures, mais pas en théologie. Or cette préparation
est exigée par notre époque. Si nous sommes moins instruits que n'importe quels
«savants» (pardonnez l'expression),
alors ces «savants» nous étoufferont
facilement.
Oh, c'est un vieux et
grand problème: d'un côté, la culture de l'esprit et du cœur, de l'autre, celle
du cerveau - avec «atrophie du cœur». Cette atrophie du cœur est si terrible à
voir qu'on est horrifié lorsqu'on rencontre ces sauvages et ces meurtriers, qui
pourtant se sentent supérieurs. L'échelle des valeurs est renversée, ce qui
conduit à des guerres incessantes et à des effusions de sang impitoyables,
toujours justifiées par des fins élevées. Pour définir ces valeurs nous
employons les mêmes mots, mais en profondeur il y a des différences
fondamentales dans la compréhension qu'on en a, ou dans l'application qu'on en
fait dans la vie. Presque toujours c'est la liberté à sens unique.
“À ces occasions je dois couper un immense gâteau et le partager en dizaines de parts, faire des morceaux...”
(monastère Saint Jean-Baptiste. Douma. 2023)
Notre position est
d'affirmer l'idée qu'on doit absolument refuser la propension à surpasser ou à
dominer qui que ce soit ou de posséder des richesses matérielles: sinon on perd
le droit de communiquer avec les humiliés et offensés. Mieux vaut la pauvreté
volontaire que l'enrichissement obtenu par la violence faite à son frère. Mieux
vaut mourir dans «l'insignifiance
sociale» que de devenir célèbre en écrasant les «petits». Mieux vaut ne pas laisser son nom dans l'Histoire que de l’y
inscrire avec le sang de nos frères. Pour protéger notre petite liberté, nous
suivons un principe: n'attenter à la liberté de personne. Si nous n'avons pas
en nous la semence de l'Esprit Saint, cette voie est tout simplement
impossible. Mais la contemplation de la Vérité éternelle, c'est-à-dire du
Soleil de Justice -le Christ implante en nous l'assurance inébranlable de
notre victoire, par la force de la victoire du Christ. Dans cette vie, nous
pouvons et même nous devons porter nos lourdes charges, mais dans le monde
futur, la victoire est inéluctable.
Je suis terriblement
content pour Micha[1]
Je lui envoie mes plus chaleureuses salutations. Un grand merci à Kolia pour sa
bonne lettre. Je me rappelle le petit aiglon qu'il était et je crois à sa
capacité de voler haut et loin. Transmettez mon affection à Vérotchka. [ ... ]
Que Dieu vous garde pour
encore beaucoup, beaucoup d'années.
VOTRE TATI QUI
vous AIME INFINIMENT.
Référence :
Lettres à des amis
proches. Archimandrite Sophrony. Cerf.2013.