Jésus Christ, “Ancien des jours”. Art Georgian. Ubisi. (14ème siècle) |
Dieu nous a créés « à son image » pour une vie
« à sa ressemblance », c'est-à-dire pour notre totale déification, afin que la
vie divine nous soit communiquée dans toute sa plénitude. Les relations entre Dieu
et l'homme sont fondées sur les principes de la liberté: dans nos ultimes
déterminations de nous-mêmes par rapport à Dieu, nous sommes des personnes
autonomes. Lorsque, dans notre liberté, nous penchons vers le péché, nous
rompons le lien d'amour qui nous unit à Dieu et nous nous éloignons de Lui.
Cette possibilité d'une autodétermination négative par rapport à notre Père
céleste, constitue l'aspect tragique de la liberté. Mais
cette fatidique autonomie constitue en même temps une condition sine qua non
pour la progression de la personne créée vers l'assimilation de la vie divine.
Oui, nous sommes libres, mais non dans la
mesure absolue dans laquelle Dieu est libre, car Il détermine lui-même son Être
en tout. Nous, en revanche, ayant été créés «du néant
», nous n'avons pas l'être en nous-mêmes. Même si nous le voulions - dans notre sagesse ou notre
folie -, nous ne pourrions créer le moindre être. Devant nous se trouve le fait
de l'Être-en-soi premier de Dieu, hors duquel rien d'existant-par-soi n'existe.
Nous sommes placés devant un choix: soit notre adoption filiale par notre Dieu
et notre Père, soit notre éloignement de Lui dans les ténèbres du non-être. Il
n’y a pas de voie intermédiaire.
Le chrétien est appelé à avoir l'audace de
croire que nous pouvons être mis en possession inaliénable de la vie divine. Elle ne nous appartient pas de plein droit,
parce que nous sommes des créatures. Nous ne
disposons pas de la capacité de susciter cette vie en nous, mais elle peut nous
être donnée comme pur don de l'amour du Père.
De quoi est-ce que je parle en ce moment? J'essaie d'établir un certain parallèle
entre notre vie de tous les jours et ce qui se passe quand le Seigneur vient
demeurer en nous. L'homme naît
comme un enfant aveugle, faible. Ses armes - dans sa lutte pour l'existence -
sont les pleurs, par lesquels il exprime son mécontentement ou une douleur,
quelle qu'en soit la cause. Ses parents - sa mère avant tout par amour pour le
fruit de son sein - se hâtent de venir à son aide. Au début de sa vie, le
nourrisson s'agrippe à sa mère: il lui serre le cou de ses bras; il se presse
contre son visage, son épaule, sa poitrine, contre ses jambes aussi quand il
commence à se tenir debout, et ainsi de suite. Il apprend graduellement à distinguer
les objets, à prononcer quelques mots. Il commence à assimiler certaines
idées, devient plus fort, capable de se tenir debout, de marcher et de courir.
Finalement, il atteint sa maturité physique, morale et intellectuelle. Il peut
lui-même devenir parent, père ou mère. Il entre dans une vie indépendante. Tout
ce qu'il a expérimenté dans sa prime enfance disparaît de sa mémoire. Il sait
qui est son père et sa mère, mais il n'a plus un sentiment de dépendance à leur
égard. Il vit comme s'il n'était issu de personne. Il est libre dans ses
mouvements et ses décisions. Il se voit comme une certaine totalité, une
individualité intégrale. Bref, «j'existe », Je ne sais pas comment c'est
arrivé, mais c'est un fait, pleinement convaincant pour moi-même. Seule ma raison
sait que la vie de mes parents m'a été communiquée, qu'elle a coulé dans mes
veines, qu'elle est devenue mienne et a trouvé sa voie.
Il en va de même pour nous avec Dieu: «Comme
le Père en effet a la vie en lui-même, de même Il a donné au Fils d'avoir aussi
la vie en lui-même» (Jn 5, 26). « De même que le Père, qui est vivant, m'a
envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra
par moi» (Jn 6,57). « Je vis et vous aussi, vous vivrez» (Jn 14, 19). Lorsque cette vie originelle nous est communiquée
ontologiquement, nous la ressentons comme notre vie propre. Nous savons,
d'après notre expérience antérieure, que cette vie nous a été donnée par Dieu.
Elle n'est pas nôtre dans son essence; mais, donnée en possession inaliénable à
ceux qui sont sauvés, elle devient vraiment notre vie. On peut, à son sujet,
évoquer les paroles de l'apôtre Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, mais le
Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Je le répète à nouveau: je sais que c'est
Lui qui vit en moi. Et, comme sa vie est devenue le noyau le plus intérieur de
tout mon être, je peux parler d'elle comme de ma vie: le Seigneur vit et, moi
aussi, je vis.
« Celui qui a mes commandements et qui les
garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime, sera aimé de mon Père;
et je l'aimerai et je me manifesterai à lui [ ... ] et nous viendrons vers lui
et nous nous ferons une demeure chez lui» (In 14,21-23). Ils la feront -
assurément - non pour un temps, mais pour l'éternité.
Notre entrée en possession de cette vie immortelle
est conditionnée par l'observation des commandements du Seigneur : « Si vous
demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez
la vérité, et la vérité vous libérera» (In 8, 31-32).
Saint Sophrony l'Athonite. |
La sainte volonté du Père, éternellement
présente en Lui, ne nous est pas étrangère, à nous son «image». Elle est apparentée à notre esprit, bien
qu'elle surpasse notre nature créée. La transcendance du Père explique
pourquoi nous devons lutter pour l'assimiler complètement. C'est librement que nous allons au-devant
de cet effort ascétique, tout à la fois éprouvant et inspirant. Par la prière, la force du Très-Haut descend
sur nous. Ce ne sont pas nos vains efforts, mais le Saint-Esprit qui réalise
en nous ce que nous recherchons et espérons. Nous sommes dans la douleur et
l'affiiction, parce que nous ne contenons pas la plénitude divine en
nous-mêmes. Nous avons mal et nous souffrons, mais en même temps nous sommes
comblés de joie dans cette souffrance même; dans notre amour, nous vénérons
Dieu et l'adorons. Notre prière n'est - dans sa forme la plus pure - rien
d'autre que l'exultation de notre esprit devant Lui.
« Seigneur, apprends-nous à prier [ ... ]. Il leur dit : "Lorsque vous priez,
dites: Notre Père"» (Lc 11, 1-2). «Vous
donc, priez ainsi» (voir Mt 6, 9-13) :
Notre Père qui es aux cieux,
que ton Nom soit sanctifié: Tu as donné à mon esprit de respirer le
parfum de ta sainteté, et maintenant mon âme a soif d'être sainte en Toi.
Que ton règne vienne: écoute ma prière: que ta vie royale me remplisse, moi
qui suis pauvre et misérable, et qu'elle devienne ma vie dans les siècles des
siècles.
Que ta volonté soit faite sur la terre comme
au ciel, sur la terre de mon être créé ... : Que je
sois inclus, moi aussi, mortel que je suis, dans le grand courant de cette
Lumière, comme il est en Toi-même depuis le commencement.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour: avant tout et après tout, « le vrai pain qui
descend des cieux et donne la vie au monde» (In 6, 32-33).
Pardonne-nous nos offenses, comme nous
pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés: Je t'implore, envoie sur moi qui suis plongé dans la
corruption, la grâce de ton Saint-Esprit: qu'Il me donne la force de pardonner
tout à tous, afin qu'aucun obstacle ne reste en moi et ne m'empêche de recevoir
de Toi le pardon de mes innombrables péchés.
Et ne nous soumets pas à la tentation: Ô Toi qui sondes les cœurs, Tu connais ma
perversité et mon penchant au péché, je t'en supplie: envoie ton Ange avec une
épée enflammée pour qu'il me barre le passage conduisant à la chute (voir Nb
22, 22s).
Mais délivre-nous du Malin: Père saint, tout-puissant et bon, délivre-moi
de l'emprise de notre Ennemi, ton Adversaire. Lutter seul contre lui est
au-delà de mes forces.
Notre prière est - dans un premier temps - une
prière de demande pour nous-mêmes. Mais lorsque l'Esprit Saint accroît notre connaissance et élargit le
champ de notre conscience, elle prend des dimensions cosmiques. En invoquant « notre Père », par le mot «notre
», nous pensons à toute l'humanité, et nous implorons la grâce sur tous les
hommes avec la même ferveur que pour nous-mêmes.
« Que ton Nom soit sanctifié » parmi tous les
peuples.
« Que ton règne vienne » dans l'âme de tous
les hommes, de telle sorte que la Lumière de la vie qui jaillit de Toi devienne
la vie de notre monde tout entier.
«
Que ta volonté soit faite », la seule qui soit sainte et capable d'unir tous
les hommes dans leur amour pour Toi sur la terre que nous habitons, tout comme
elle règne au ciel parmi les saints.
«Délivre-nous du Malin » - du «meurtrier»
(ln 8, 44) qui sème partout l'ivraie de la haine et de la mort (voir Mt
13,27-28).
Dieu, assurément, sauve des individus isolés
qui souffrent et des peuples entiers, s’ils dirigent leurs pas selon ses voies
et crient vers Lui pour implorer Son secours.
Référence :
Voir Dieu tel qu’Il Est. Archimandrite Sophrony.
Cerf.2004.