Saturday, June 11, 2022

“Abba.!.. Père”.!..
Saint Sophrony l’Athonite.

 

Jésus Christ, “Ancien des jours”.
 Art Georgian. Ubisi. (14ème  siècle)

Dieu nous a créés « à son image » pour une vie « à sa res­semblance », c'est-à-dire pour notre totale déification, afin que la vie divine nous soit communiquée dans toute sa plénitude. Les relations entre Dieu et l'homme sont fondées sur les principes de la liberté: dans nos ultimes déterminations de nous-mêmes par rap­port à Dieu, nous sommes des personnes autonomes. Lorsque, dans notre liberté, nous penchons vers le péché, nous rompons le lien d'amour qui nous unit à Dieu et nous nous éloignons de Lui. Cette possibilité d'une autodétermination négative par rapport à notre Père céleste, constitue l'aspect tragique de la liberté. Mais cette fatidique autonomie constitue en même temps une condition sine qua non pour la progression de la personne créée vers l'assimilation de la vie divine.

Oui, nous sommes libres, mais non dans la mesure absolue dans laquelle Dieu est libre, car Il détermine lui-même son Être en tout. Nous, en revanche, ayant été créés «du néant », nous n'avons pas l'être en nous-mêmes. Même si nous le voulions - dans notre sagesse ou notre folie -, nous ne pourrions créer le moindre être. Devant nous se trouve le fait de l'Être-en-soi premier de Dieu, hors duquel rien d'existant-par-soi n'existe. Nous sommes placés devant un choix: soit notre adoption filiale par notre Dieu et notre Père, soit notre éloignement de Lui dans les ténèbres du non-être. Il ny a pas de voie intermédiaire.

Le chrétien est appelé à avoir l'audace de croire que nous pouvons être mis en possession inaliénable de la vie divine. Elle ne nous appartient pas de plein droit, parce que nous sommes des créatures. Nous ne disposons pas de la capacité de susciter cette vie en nous, mais elle peut nous être donnée comme pur don de l'amour du Père.

De quoi est-ce que je parle en ce moment? J'essaie d'établir un certain parallèle entre notre vie de tous les jours et ce qui se passe quand le Seigneur vient demeurer en nous. L'homme naît comme un enfant aveugle, faible. Ses armes - dans sa lutte pour l'existence - sont les pleurs, par lesquels il exprime son méconten­tement ou une douleur, quelle qu'en soit la cause. Ses parents - sa mère avant tout par amour pour le fruit de son sein - se hâtent de venir à son aide. Au début de sa vie, le nourrisson s'agrippe à sa mère: il lui serre le cou de ses bras; il se presse contre son visage, son épaule, sa poitrine, contre ses jambes aussi quand il commence à se tenir debout, et ainsi de suite. Il apprend graduellement à dis­tinguer les objets, à prononcer quelques mots. Il commence à assi­miler certaines idées, devient plus fort, capable de se tenir debout, de marcher et de courir. Finalement, il atteint sa maturité physique, morale et intellectuelle. Il peut lui-même devenir parent, père ou mère. Il entre dans une vie indépendante. Tout ce qu'il a expéri­menté dans sa prime enfance disparaît de sa mémoire. Il sait qui est son père et sa mère, mais il n'a plus un sentiment de dépendance à leur égard. Il vit comme s'il n'était issu de personne. Il est libre dans ses mouvements et ses décisions. Il se voit comme une certaine totalité, une individualité intégrale. Bref, «j'existe », Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais c'est un fait, pleinement convaincant pour moi-même. Seule ma raison sait que la vie de mes parents m'a été communiquée, qu'elle a coulé dans mes veines, qu'elle est devenue mienne et a trouvé sa voie.

Il en va de même pour nous avec Dieu: «Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même Il a donné au Fils d'avoir aussi la vie en lui-même» (Jn 5, 26). « De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi» (Jn 6,57). « Je vis et vous aussi, vous vivrez» (Jn 14, 19). Lorsque cette vie originelle nous est com­muniquée ontologiquement, nous la ressentons comme notre vie propre. Nous savons, d'après notre expérience antérieure, que cette vie nous a été donnée par Dieu. Elle n'est pas nôtre dans son essence; mais, donnée en possession inaliénable à ceux qui sont sauvés, elle devient vraiment notre vie. On peut, à son sujet, évoquer les paroles de l'apôtre Paul: «Ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2, 20). Je le répète à nouveau: je sais que c'est Lui qui vit en moi. Et, comme sa vie est devenue le noyau le plus intérieur de tout mon être, je peux parler d'elle comme de ma vie: le Seigneur vit et, moi aussi, je vis.

« Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime, sera aimé de mon Père; et je l'aimerai et je me manifesterai à lui [ ... ] et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui» (In 14,21-23). Ils la feront - assurément - non pour un temps, mais pour l'éternité.

Notre entrée en possession de cette vie immortelle est conditionnée par l'observation des commandements du Seigneur : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes dis­ciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera» (In 8, 31-32).

Saint Sophrony l'Athonite.
      La ressemblance de notre nature à Dieu engendre sponta­nément en nous une soif de connaître la Vérité, de tendre à la perfection divine. Cette perfection n'est pas en nous-mêmes, mais dans le Père, la Source de tout ce qui existe. Le suivre en tout ne signifie nullement se soumettre aux injonctions d'un pouvoir qui nous serait extérieur: c'est notre amour qui nous attire à Lui, et nous languissons sans cesse après sa perfection. Le Christ nous a donné ce commandement: «Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48).

La sainte volonté du Père, éternellement présente en Lui, ne nous est pas étrangère, à nous son «image». Elle est apparentée à notre esprit, bien qu'elle surpasse notre nature créée. La trans­cendance du Père explique pourquoi nous devons lutter pour l'assi­miler complètement. C'est librement que nous allons au-devant de cet effort ascétique, tout à la fois éprouvant et inspirant. Par la prière, la force du Très-Haut descend sur nous. Ce ne sont pas nos vains efforts, mais le Saint-Esprit qui réalise en nous ce que nous recherchons et espérons. Nous sommes dans la douleur et l'affiic­tion, parce que nous ne contenons pas la plénitude divine en nous-mêmes. Nous avons mal et nous souffrons, mais en même temps nous sommes comblés de joie dans cette souffrance même; dans notre amour, nous vénérons Dieu et l'adorons. Notre prière n'est - dans sa forme la plus pure - rien d'autre que l'exultation de notre esprit devant Lui.

« Seigneur, apprends-nous à prier [ ... ]. Il leur dit : "Lorsque vous priez, dites: Notre Père"» (Lc 11, 1-2). «Vous donc, priez ainsi» (voir Mt 6, 9-13) :

Notre Père qui es aux cieux,

que ton Nom soit sanctifié: Tu as donné à mon esprit de respirer le parfum de ta sainteté, et maintenant mon âme a soif d'être sainte en Toi.

Que ton règne vienne: écoute ma prière: que ta vie royale me remplisse, moi qui suis pauvre et misérable, et qu'elle devienne ma vie dans les siècles des siècles.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, sur la terre de mon être créé ... : Que je sois inclus, moi aussi, mortel que je suis, dans le grand courant de cette Lumière, comme il est en Toi-même depuis le commencement.

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour: avant tout et après tout, « le vrai pain qui descend des cieux et donne la vie au monde» (In 6, 32-33).

Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés: Je t'implore, envoie sur moi qui suis plongé dans la corruption, la grâce de ton Saint-Esprit: qu'Il me donne la force de pardonner tout à tous, afin qu'aucun obstacle ne reste en moi et ne m'empêche de recevoir de Toi le pardon de mes innombrables péchés.

Et ne nous soumets pas à la tentation: Ô Toi qui sondes les cœurs, Tu connais ma perversité et mon penchant au péché, je t'en supplie: envoie ton Ange avec une épée enflammée pour qu'il me barre le passage conduisant à la chute (voir Nb 22, 22s).

Mais délivre-nous du Malin: Père saint, tout-puissant et bon, délivre-moi de l'emprise de notre Ennemi, ton Adversaire. Lutter seul contre lui est au-delà de mes forces.

Notre prière est - dans un premier temps - une prière de demande pour nous-mêmes. Mais lorsque l'Esprit Saint accroît notre connaissance et élargit le champ de notre conscience, elle prend des dimensions cosmiques. En invoquant « notre Père », par le mot «notre », nous pensons à toute l'humanité, et nous implorons la grâce sur tous les hommes avec la même ferveur que pour nous-mêmes.

« Que ton Nom soit sanctifié » parmi tous les peuples.

« Que ton règne vienne » dans l'âme de tous les hommes, de telle sorte que la Lumière de la vie qui jaillit de Toi devienne la vie de notre monde tout entier.

 « Que ta volonté soit faite », la seule qui soit sainte et capable d'unir tous les hommes dans leur amour pour Toi sur la terre que nous habitons, tout comme elle règne au ciel parmi les saints.

«Délivre-nous du Malin » - du «meurtrier» (ln 8, 44) qui sème partout l'ivraie de la haine et de la mort (voir Mt 13,27-28).

Dieu, assurément, sauve des individus isolés qui souffrent et des peuples entiers, s’ils dirigent leurs pas selon ses voies et crient vers Lui pour implorer Son secours.

 

 

Référence :

Voir Dieu tel qu’Il Est. Archimandrite Sophrony. Cerf.2004.