Père Elias Morcos…
Comme il est difficile de parler d’un père!
Aux jugements pondérés se mêlent alors les émotions, les souvenirs et surtout
la reconnaissance d’avoir été engendré. Aussi loin que me porte ma mémoire, à
partir de ce jour béni où, dans et par le Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe,
je me suis reconverti à l’Eglise, je trouve le Père Elias intimement lié à mon
cheminement spirituel, comme il l’a été pour un grand nombre d’autres, jeunes
et moins jeunes.
Issu d’un milieu bourgeois de Lattakieh, très cultivé et d’une finesse intellectuelle rare, il avait été l’un des premiers à appeler, avec d’autres jeunes Lattakiotes, dont Gabriel Saadé, à la formation d’un mouvement de renouveau, au sein de l’Église d’Antioche, alors somnolente. Il fut toujours convaincu – et sa vie le prouva amplement – que ce renouveau commence par le retour à Dieu de chacun des membres de l’Eglise. Un retour qui fait sortir de soi, engage à porter sa croix et invite à un engagement existentiel. Ce mouvement, qu’il appelait Mouvement de Renaissance, devint par la suite le Mouvement de la Jeunesse Orthodoxe, officiellement fondé en 1942, quand sa vision se retrouva avec celle d’autres jeunes, Libanais cette fois, qu’il ne connaissait pas alors, Georges Khodr et Albert Laham, nourrissant le même rêve. Cette concomitance et la rencontre de ces jeunes ne fut certes pas fortuite. Elle fut l’œuvre de l’Esprit, dont la présence a tant de fois marqué la vie du Père Elias.
Après avoir œuvré de nombreuses années en
tant que grand fonctionnaire de l’Etat en Syrie, il abandonna tout et fonda, en
1957, avec quelques compagnons, dont Youhanna Mansour, l’actuel Métropolite de
Lattakieh, le monastère de Deir et Harf. En ce faisant, il a été sans conteste
le ‘père des moines’ Antiochiens qui, à sa suite, ont rempli tous les vieux
couvents autrefois désertés. Il a toujours considéré que son engagement dans la
vie monastique, la faisant refleurir dans l’Eglise d’Antioche après une longue
interruption, était une conséquence normale de l’appel au renouveau, lancé par
le MJO en 1942.
Père Elias avec des jeunes Antiochiens.
Le monastère de Deir El Harf a été pour
notre génération, mais aussi pour de nombreuses autres qui ont suivi, un phare
de lumière, un exemple existentiel, une invitation à aller de l’avant, une
confirmation dans la certitude que tout était de nouveau possible à condition
de prendre les paroles du Christ au sérieux et de lui donner son cœur. Que de
retraites, que de rencontres, que de réunions passées en ce lieu! Le P. Elias
en était le plus souvent le centre. Ses responsabilités envers la fraternité
monastique ne l’empêchaient pas de se donner sans compter au service des
jeunes. Il était toujours présent à leurs congrès, sessions de formation et à
nombre d’autres activités. Je le vois encore, écoutant jusqu’à tard dans la
nuit les confessions de jeunes qui faisaient la queue attendant que leur tour
vienne. Le Père Elias a incarné le véritable père spirituel, celui qui indique
des perspectives, rappelle les exigences de l’Évangile, et disparait devant la
face du Christ, laissant à chacun la liberté de prendre les décisions qui
l’engagent.
Cependant, son rôle ne s’arrêtait pas là.
De nombreux ouvrages, publiés par les Editions An-Nour, celles du Monastère et
celles du “Patrimoine Patristique”, ont vulgarisé les fondements de la vie
spirituelle (Introduction à la vie spirituelle, Introduction à la Bible, Le
sens de la vie liturgique, L’intégration à l’Eglise par les offices
liturgiques, etc.), mettant à jour des trésors souvent cachés de l’Eglise et
invitant à les incarner dans la vie de tous les jours. Il a été aussi le
premier à traduire en Arabe le Traité sur la prière d’Evagre le Pontique, pour
s’attaquer par la suite aux Triades de saint Grégoire Palamas, et d’autres
grandes figures de l’Orthodoxie. Certains de ses ouvrages, parfois inspirés de
l’enseignement du Père André Scrima, comportent une analyse profonde de la
réalité humaine et des passions, mêlée à une expérience pratique de la façon de
les maitriser, faisant de son œuvre un véritable sommaire de l’enseignement des
Pères du Désert et des Pères Neptiques, exprimé en une langue accessible. Ses
derniers ouvrages, axés sur des commentaires courts, lumineux et lapidaires de
diverses paroles évangéliques sont autant de ces paroles de vie qui ne sont
point sans rappeler celles des Anciens, en réponse aux demandes de leurs
disciples de leur ‘dire une parole’. On trouve aussi dans ses écrits des
exemples de prière et de méditations personnelles, dont nous avons le plus
pressant besoin, tant la proéminence donnée dans notre Eglise aux prières
liturgiques tend à assécher en nous, si nous n’y prenons garde, l’éclosion de
la prière personnelle. Le Seigneur voulant aussi que nous nous adressions à Lui
dans notre langage habituel, il nous faut apprendre à lui parler directement,
sans apprêt, dans le secret de notre rencontre. Quand nous serons nourris des
textes de l’Ecriture et de la liturgie, nous saurons les imbriquer
naturellement à notre méditation personnelle, comme le faisait si bien le P.
Elias.
Père Elias avec Père Touma et Mère Mariam Monastère Saint Jean-Baptiste, Douma, Liban. |
Il soulignait la centralité de
l’Eucharistie dans le cheminement avec le Christ, affirmant qu’il n’y a de
véritable union entre les hommes que par leur intégration commune au même
Corps, celui du Christ, qui se réalise par excellence dans la communion
eucharistique. Mais, pour que cette intégration soit réelle et effective, elle
doit être précédée et suivie par un mode de vie, fait de repentance, de
fraternité et de partage, le «sacrement de l’autel» devant mener
obligatoirement au «sacrement du frère».
Un grand de l’Orthodoxie est tombé! Sa
douceur, alliée à sa profondeur, sa compassion et son écoute aimante, nous
manquera. Il était vraiment un Père. Malgré ses dénégations, on n’avait pas de
scrupule à lui obéir, car en allant à la lumière dont il rayonnait, on devenait
enfants de la lumière (Jean 16:32).
Il eut l’heur de mourir, le Sang sacré sur
ses lèvres! Que sa mémoire soit éternelle! Qu’il continue à nous porter dans
ses prières! Qu’il intercède ardemment pour cette Église d’Antioche, qu’il a
tant aimé, et qui a grand besoin, de nos jours, d’être secouée par l’Esprit qui
habitait le Père Elias, pour éliminer les poussières que l’institution en elle
ne cesse d’accumuler.
24 Février 2011.
Référence :
https://orthodoxesantiochenice.com/2011/02/25/dormition-du-pere-elias-morcos-pionnier-du-renouveau-du-monachisme-au-patriarcat-dantioche/