Le Métropolite Anthony Bloom. |
Prendre pour thème de discussion la
confession avec des personnes qui sont nées et qui ont été éduquées dans
l'Église, pourrait sembler complètement inutile. D'un autre côté quand on
constate jusqu'à quel point certaines confessions peuvent être stériles (je
parle ici des vôtres comme des miennes), il apparaît encore une fois nécessaire
de se poser la question: qu'est que la confession ? Pourquoi nous confesser, à
quoi cela nous oblige-t-il, et où cela peut-il nous mener ?
Quand je repense aux confessions, les miennes et celles que j'ai entendues, trop souvent la confession se réduit à un moment où nous désirons nous débarrasser d'un lourd fardeau, du poids pénible de nos anciens péchés afin que la vie devienne plus facile à vivre. Si je reprends les paroles d'un petit garçon à qui sa sœur demandait ce qui lui donnait envie de se confesser: « se débarrasser des anciens péchés pour faire de la place aux nouveaux... » Je pense que cela ne concerne pas seulement ce jeune garçon, mais aussi beaucoup d'adultes. On vient à la confession pour alléger sa conscience, pour se libérer du poids du passé; mais qui vient pour faire sincèrement la paix avec Dieu, avec sa propre conscience et avec ses proches, en finir définitivement avec le passé et commencer réellement une nouvelle vie ?.
Cette question chacun de nous doit se la
poser, pas seulement pour se faire un avis, mais pour s'accuser réellement si,
comme le petit garçon, il vient déposer un lourd fardeau pour que la vie aille
mieux, et non pas pour en finir avec les péchés du passé. Quand je parle des «
péchés du passé », je ne parle pas de tout ce qu'il nous reste à corriger –
pour cela il faut une vie entière – mais je parle de tous nos péchés qui nous
apparaissent comme tels, de tout notre péché qui est arrivé à notre conscience,
qui nous apparaît dans toute sa laideur, qui nous est devenu insupportable et
que nous voulons écarter; pas seulement mettre de côté, mais détruire pour
qu'il ne soit plus.
Qui d'entre nous a un jour vécu une telle
expérience?
A ce propos, il y a un passage remarquable
dans l'œuvre de saint Barsanuphe le Grand, qui nous met très justement en
accusation et qui dit que si l'on se rend réellement compte de l'horreur d'un
péché particulier qui nous retenait prisonnier, si réellement nous rejetons du
tréfonds de notre âme l'horreur que ce péché y a instillé, alors arrive le
moment où nous pouvons pleurer sur ce péché, pas seulement les larmes de nos
yeux, mais les larmes de notre cœur par un repentir de tout notre être: il nous
apparaît alors clairement que nous ne pourrons plus jamais retourner à ce
péché. Saint Barsanuphe dit que c'est seulement alors que nous pouvons
considérer que notre péché est pardonné. Il dit même plus: si nous avons vécu
cette expérience, si la vision de notre péché dans toute son horreur nous a
réellement retournés, si elle nous en a dégoûtés au point que nous ressentons
en nous-mêmes que jamais plus nous ne pourrons y revenir, alors nous pouvons
nous considérer comme pardonnés par Dieu. Et il ajoute que ce n'est plus la
peine d'aller confesser ce péché à un prêtre, car Dieu l'a déjà pardonné,
purifié et guéri et qu'il ne peut plus y avoir d'autre pardon, purification et
guérison. Se pose ici une seconde question. Qui d'entre nous a un jour vécu une
telle expérience vis à vis d'un quelconque de ses péchés, qui a vu ce péché
comme le meurtre de son âme, comme le meurtre de son prochain, comme sa froide
et consciente participation au meurtre du Christ? C'est une question que nous
ne pouvons éluder, car nous revenons régulièrement nous confesser des mêmes
péchés. Comment se fait-il que nous ne les ressentions pas? Qu'ils comptent si
peu pour nous? Que, si nous comprenons vraiment ce qu'est le péché, nous puissions
y revenir aussi froidement?
Nous choisissons le péché.
Pourquoi nous confesser, à quoi cela nous oblige-t-il, et où cela peut-il nous mener ? |
L'apôtre Paul nous dit que la question n'est pas dans l'importance du péché, mais que nous choisissions le péché. Je pense que l'on pourrait se représenter les choses de la manière suivante: il y a une rivière qui coule entre la domaine du Christ et le domaine de Satan. Par endroit elle est étroite, peu profonde et on peut la traverser à pied, à d'autres endroits elle est profonde, rapide et large. La question n'est pas de savoir où nous avons traversé, mais de comprendre que nous avons quitté le domaine du Royaume du Christ et de Dieu pour le domaine de Satan. C'est à la fois aussi simple et terrible. Le péché – c'est le choix entre Dieu et Son adversaire, entre la vie et la mort, entre la lumière et les ténèbres. Ce n'est peut-être pas un choix partisan, dans la mesure où on ne dit pas: « Oui, je rejette Dieu et Son Christ et je choisis le camp de Son adversaire. » Mais c'est un choix dans la mesure où je me dis: « Ça passera ! Ce n'est pas grave! Je me donne un répit, je passe pour un temps dans l'autre camp, là où ma conscience ne me fera pas de reproches, parce que dans le camp des ténèbres, je ne me verrai pas aussi sombre que si j'étais encore dans le camp de la lumière. »
Voilà en quoi consiste le péché; et à
chaque fois que nous y succombons, nous nous mettons dans cette situation.
Parfois par méchanceté et sciemment contre Dieu, parfois involontairement ou
par insouciance. On se dit que l'on «pourra toujours revenir!» Oui, on pourra
revenir, mais ce n'est pas si facile; oui, on peut retraverser la rivière, à la
nage ou parfois à pied, mais dans quel état sommes-nous alors ? Nous ne
revenons pas tels que nous étions avant de nous couper de notre amitié avec
Dieu et de rejoindre le camp de Ses adversaires, de Ses meurtriers; nous revenons
éclaboussés, salis, blessés et parfois très profondément. La confession, celle
dont nous parlons aujourd'hui, consiste à revenir à la vie: pas juste se laver,
prendre une douche et sentir que le passé n'est plus; non – nous parlons
maintenant de réconciliation. Pas une simple réconciliation avec sa conscience:
« Je ne suis plus le même, je ne veux plus de ça et je ne le ferai plus ! » –
une réconciliation avec Dieu, que nous avons trahi, que nous avons abandonné
pour nous choisir un autre maître, un autre pasteur.
La confession – réconciliation
Nous savons ce qu'est la réconciliation
dans la vie courante, quand nous nous sommes fâchés avec quelqu'un, ou même
quand cette personne n'est pas au courant que nous avons médit derrière son
dos, menti à son sujet, propagé des rumeurs la concernant... Qu'elle soit au
courant ou pas, nous devons aller la trouver et lui dire: « Tu me considérais
comme un ami, tu as toujours agi envers moi, tu as toujours témoigné pour moi
comme un ami fidèle: et bien moi non ! Je t'ai trahi, je t'ai trahi comme Judas
a trahi le Christ; je me suis détourné de toi comme Pierre s'est détourné du
Christ en voyant le danger, mais moi je n'étais pas en danger. Rien ne me
menaçait, j'étais juste fasciné par quelque chose de mensonger, je voulais
quelque chose de plus que ton amitié, quelque chose de plus que ma pureté
physique et spirituelle. »
Voilà l'état d'esprit dans lequel nous
devrions nous confesser, et que nous ayons péché en peu ou en beaucoup. Car la
taille de notre péché ne se mesure pas de manière objective, mais à l'aune de
l'amour que nous avons ou que nous n'avons pas. Contre une personne que nous
aimons profondément, le moindre manquement, la moindre parole ou action qui
pourrait la chagriner nous paraît une catastrophe et nous inquiète
profondément. Mais si nous aimons peu cette personne, on pense: « Bah quoi ! Ça
passera ! Ça s'oubliera ! Est-ce si important ? Est-ce que nos relations sont
si pures, si harmonieuses et claires que cela puisse les refroidir ou les interrompre
? » Alors on envisage la réconciliation avec froideur: « se réconcilier ? À
quoi bon, quand il suffit de se calmer... ». C'est en cela que se résume la
question de la confession: est-ce que l'on vient sincèrement et intimement se
réconcilier ou bien est-ce que l'on attend simplement que la vie nous soit
moins douloureuse, plus facile et plus agréable.
Traduction: père Nicolas Kisselhoff,
"Paroisse orthodoxe de Compiègne Bulletin n° 4 Avril 2008"
http://nicolas_k.perso.neuf.fr/Paroisse/Bulletins/2008/004%20Avril%202008.