Fresque au réfectoire du Monastère Saint Jean-Baptiste, Essex, Angleterre. |
Ce que le Seigneur nous a
commandé, Il l'a accompli Lui-même. Par amour pour le prochain, Il s'est livré
à toutes les souffrances. Non seulement à la mort, mais encore à une mort qui
était ressentie comme une malédiction dans l'Ancien Testament:
"Maudit soit celui
qui pend à un arbre" (cf Deutéronome 21, 23; Galates 3, 13).
Nous ne parvenons pas à la
mesure que nous voyons en Christ.
Le premier de tous à voir
Dieu en Christ fut Jean le Baptiste.
L'exemple de Jean est
merveilleux: alors que les gens étaient prêts à le reconnaître lui-même comme
le Messie attendu, il a dit: "Non, ce n'est pas moi, mais il en est un
autre, qui marche devant moi. C'est Lui le Sauveur du monde (cf Jean 1,
27-33). Comme il est rare sur terre que les hommes qui reçoivent un pouvoir
étendu sur les foules agissent ainsi! Ils sont au contraire enclins à se
considérer seuls comme dignes d'un tel pouvoir. Et voici que Jean trouva en lui
la force de renoncer à ce rôle et de dire comment il vivait lui-même et ce
qu'il ressentait en voyant le Christ.
Oui, certes, lorsque notre
esprit s'élève à cette contemplation du Christ montant au Golgotha, la parole
se nous en immobilise. Et nous Le vénérons désormais comme Dieu, en silence.
Que pouvons-nous choisir
du contenu de la vie du Christ, telle que nous la discernons d'après
l’Évangile, les épîtres et la Tradition? L'apôtre Paul, ce poète de génie, dit
que nous devons avoir les mêmes pensées, les mêmes sentiments que le Christ
(cf. Philippiens 2, 5).
En quoi consiste ce mystère? En
ce que, si nous devenons semblables au Dieu incarné, cela passe jusque dans
l'éternité d'avant la création du monde. Nous voulons dire que l'hypostase
humaine doit se développer en nous, et contenir en elle la pensée du Christ.
Chez Jean le Théologien,
l’Évangéliste, on peut lire une expression remarquable: "Nous savons que
nous sommes les enfants de Dieu. Mais il ne nous a pas encore été révélé
comment nous serons après notre sortie de ce monde. Nous savons cependant -
dit-il que, lorsque nous verrons comment Il est, nous pourrons devenir comme
Lui, semblables à Lui" (cf. 1 Jean
3, 2, citation approximative).
Par conséquent, je vous en
prie, mes jeunes frères et sœurs, souvenez-vous de cela, et soyez vos propres
créateurs, comme dit Grégoire le Théologien qui exprime cette idée. Créateurs
de tout, nous commençons par de petites choses, puis soudain, à partir de là,
nous préparons notre esprit, notre être, à recevoir le Souille divin incréé.
Qu'ai-je observé dans la
vie du monde, du monde des hommes et, en général, du monde du règne animal? Que
seul l'homme est capable de se contrôler par l'abstinence lorsque de la
nourriture se trouve devant lui. Arrêtez-vous sur cette pensée: seul
l'homme, qui a reçu l'esprit comme image du Dieu éternel, est capable de créer
du nouveau. Ainsi donc, si nous nous abstenons de nourriture ou de sommeil
ou encore de quelque chose d'autre, tout cela contribuera à restaurer en nous
ce qui appartient à l'image de Dieu. Purifier notre image de Dieu, obscurcie
par le péché, - voilà l'effort qui nous attend. Lorsque nous aurons cette
pensée, notre abstinence ne sera pas privée de sens. C'est là la grande tâche
que notre vie monastique nous assigne: ressembler au Christ qui, en assumant la
condition humaine, manifesta sa divinité.
Je vous ai dit que
l'apôtre Paul était un poète, un théologien et un philosophe génial. Soyons
donc ses imitateurs (cf. 1 Corinthiens
11, 1) et ainsi nous serons tous les artisans de notre salut éternel en
Dieu: "J'attends la résurrection des morts" (cf. Credo). Souvenez-vous
en: nous avons dit que, lorsque nous prononçons ces paroles de notre Symbole de
foi, nous devons nous
rappeler qu'elles manifestent l'état de l'esprit qui attend la venue du Christ.
Et cette attente, qui est maintenant la nôtre:
"J'attends la
résurrection des morts", est le résultat de notre création. C'est et ce
sera l'énergie qui à coup sûr nous ressuscitera.
Oh! Comme je voudrais que
vous deveniez tous des poètes!.
Sans inspiration
créatrice, il est difficile de passer même un seul jour comme il convient à un
chrétien.
Ainsi aujourd'hui, j'ai
dit quelques paroles pour fixer notre esprit sur l'exploit ascétique qui nous
attend. Je veux encore ajouter à cela, qu'il faut être, non seulement poète,
mais aussi un lutteur courageux. Le Seigneur a dit que le Royaume des cieux se
conquiert par l'effort et l'ascèse, et que seuls ceux qui font des efforts sur
eux-mêmes s'en emparent. (cf. Matthieu Il, i2).
Lorsque nous vivons sur
terre, notre expérience de la vie dans le corps montre qu'il nous faut
régulièrement boire, manger, dormir, nous reposer, pour le remplir d'une
nouvelle énergie biologique indispensable à la vie. Il en est de même sur le
plan spirituel. Nous devons nourrir notre âme, notre intellect, et cela ne va
pas sans efforts. Vous connaissez tous cette expression, souvent utilisée
ironiquement: "Oh! il est dans les affres de la création!" On peut
parler ainsi de tout artiste, dans chaque domaine de l'art.
..."c'est toujours le même élan vers notre Dieu céleste,toujours le même Esprit qui nous entraîne à suivre le Christ". |
De cette manière, en
commençant par ce qui est tout petit, nous devenons disponibles à la
manifestation de Dieu en nous. Et notre foi, c'est que nous recevons réellement
la vie incréée de Dieu. Lorsque nous imitons le Dieu incarné- je parle du
Christ - cela passe ensuite également sur le plan de l'esprit, après notre
mort. Si nous sommes semblables à Lui tel qu'Il était sur terre, nous Lui
serons aussi semblables dans son éternité sans commencement.
Voici, vous voyez quelles
paroles nous prononçons: l'éternité sans commencement de Dieu nous sera
communiquée! Une telle audace n'est-elle pas le signe de notre folie? Mais
voici que le génial Paul dit que c'est cette folie qui sauve le monde (cf. I Corinthiens 1, 21).
Ce que le Christ nous a
promis, l'intellect humain ne le contient pas. Notre intellect terrestre peut
être très doué pour la pensée ou l'activité scientifique, pour la philosophie
ou pour bien d'autres disciplines, mais non pour croire en l'éternité. Par contre,
même les enfants peuvent croire en l'éternité, comme l'a dit le Seigneur (cf. Matthieu
11, 25). Ainsi, vous le voyez, aujourd'hui aussi, c'est toujours le même
élan vers notre Dieu céleste, toujours le même Esprit qui nous entraîne à
suivre le Christ.
Il y a quelque temps, j'ai
entendu quelqu'un me dire: "Je suis fatigué de souffrir. Je ne veux plus
souffrir. Je cherche le repos, la joie, le bonheur sur terre. Mon âme est
dégoûtée de souffrir." Bien que l'homme qui me disait cela fût orthodoxe,
à vrai dire il ne pensait pas d'une manière orthodoxe. Pour devenir capables
d'embrasser par notre amour toute la création, nous devons passer par bien des
états douloureux et par beaucoup de souffrances. L'énergie pour supporter ces
souffrances, nous la trouvons dans le commandement du Christ de se haïr
soi-même par amour pour Dieu et même pour notre prochain (cf. Luc 14,26).
Voilà, je vous ai parlé de
choses, à vrai dire, terribles. Vous m'avez entendu dire que, aux jours de sa
vie de Dieu incarné sur terre, Jésus-Christ était l'unique homme qui, ayant
donné le commandement de se haïr par amour pour Dieu et pour le prochain, monta
sur le Golgotha, non pour se sauver Lui-même: Il alla au-devant de toutes les
souffrances, plein d'amour pour sauver l'homme, l'humanité. Oh! Cette image de
l'Homme! Ceux qui ont expérimenté cette vision, évidemment, ne peuvent trouver
nulle part ailleurs quelque chose de semblable.
Il est dit que le Seigneur
viendra dans la gloire, et que, lorsqu’Il s'assiéra sur son trône, tous les
peuples se rassembleront devant Lui, depuis la création de l'homme jusqu'au
dernier à être né d'une femme. C'est-à-dire: détachez votre esprit des petites
choses et transportez-le vers d'autres, illimitées, dont les premières sont
néanmoins l'image. Voilà ce qui nous est demandé.
Au cinquième chapitre de
Matthieu, on trouve beaucoup de paroles du Christ qui complètent la loi de
Moïse. Il dit: "Il est écrit dans la Loi ceci et ceci, mais Moi, je vous
dis cela et cela." Chaque fois, à partir des commandements de l'Ancien
Testament, Il passe au sens infini de chacun d'entre eux. Ainsi donc, moi
aussi, j'essaie de vous proposer, en tant que votre frère, d'utiliser ce moyen
dans le but de rendre notre vie féconde: à partir de petites choses, passez à
ce qui est infini.
Référence :
Parole à la communauté. Archimandrite Sophrony. N˚18 .
Février 1994.