Saturday, June 20, 2020

Voir Dieu en Christ.
Saint Sophrony l’Athonite.

Fresque au réfectoire du Monastère Saint Jean-Baptiste, Essex, Angleterre. 

Ce que le Seigneur nous a commandé, Il l'a accompli Lui-même. Par amour pour le prochain, Il s'est livré à toutes les souffrances. Non seulement à la mort, mais encore à une mort qui était ressentie comme une malédiction dans l'Ancien Testament:
"Maudit soit celui qui pend à un arbre" (cf Deutéronome 21, 23; Galates 3, 13).
Nous ne parvenons pas à la mesure que nous voyons en Christ.
Le premier de tous à voir Dieu en Christ fut Jean le Baptiste.
L'exemple de Jean est merveilleux: alors que les gens étaient prêts à le reconnaître lui-même comme le Messie attendu, il a dit: "Non, ce n'est pas moi, mais il en est un autre, qui marche devant moi. C'est Lui le Sauveur du monde (cf Jean 1, 27-33). Comme il est rare sur terre que les hommes qui reçoivent un pouvoir étendu sur les foules agissent ainsi! Ils sont au contraire enclins à se considérer seuls comme dignes d'un tel pouvoir. Et voici que Jean trouva en lui la force de renoncer à ce rôle et de dire comment il vivait lui-même et ce qu'il ressentait en voyant le Christ.
Oui, certes, lorsque notre esprit s'élève à cette contemplation du Christ montant au Golgotha, la parole se nous en immobilise. Et nous Le vénérons désormais comme Dieu, en silence.
Que pouvons-nous choisir du contenu de la vie du Christ, telle que nous la discernons d'après l’Évangile, les épîtres et la Tradition? L'apôtre Paul, ce poète de génie, dit que nous devons avoir les mêmes pensées, les mêmes sentiments que le Christ (cf. Philippiens 2, 5). En quoi consiste ce mystère?  En ce que, si nous devenons semblables au Dieu incarné, cela passe jusque dans l'éternité d'avant la création du monde. Nous voulons dire que l'hypostase humaine doit se développer en nous, et contenir en elle la pensée du Christ.

Chez Jean le Théologien, l’Évangéliste, on peut lire une expression remarquable: "Nous savons que nous sommes les enfants de Dieu. Mais il ne nous a pas encore été révélé comment nous serons après notre sortie de ce monde. Nous savons cependant - dit-il que, lorsque nous verrons comment Il est, nous pourrons devenir comme Lui, semblables à Lui" (cf. 1 Jean 3, 2, citation approximative).
Par conséquent, je vous en prie, mes jeunes frères et sœurs, souvenez-vous de cela, et soyez vos propres créateurs, comme dit Grégoire le Théologien qui exprime cette idée. Créateurs de tout, nous commençons par de petites choses, puis soudain, à partir de là, nous préparons notre esprit, notre être, à recevoir le Souille divin incréé.
Qu'ai-je observé dans la vie du monde, du monde des hommes et, en général, du monde du règne animal? Que seul l'homme est capable de se contrôler par l'abstinence lorsque de la nourriture se trouve devant lui. Arrêtez-vous sur cette pensée: seul l'homme, qui a reçu l'esprit comme image du Dieu éternel, est capable de créer du nouveau. Ainsi donc, si nous nous abstenons de nourriture ou de sommeil ou encore de quelque chose d'autre, tout cela contribuera à restaurer en nous ce qui appartient à l'image de Dieu. Purifier notre image de Dieu, obscurcie par le péché, - voilà l'effort qui nous attend. Lorsque nous aurons cette pensée, notre abstinence ne sera pas privée de sens. C'est là la grande tâche que notre vie monastique nous assigne: ressembler au Christ qui, en assumant la condition humaine, manifesta sa divinité.
Je vous ai dit que l'apôtre Paul était un poète, un théologien et un philosophe génial. Soyons donc ses imitateurs (cf. 1 Corinthiens 11, 1) et ainsi nous serons tous les artisans de notre salut éternel en Dieu: "J'attends la résurrection des morts" (cf. Credo). Souvenez-vous en: nous avons dit que, lorsque nous prononçons ces paroles de notre Symbole de foi, nous devons nous rappeler qu'elles manifestent l'état de l'esprit qui attend la venue du Christ. Et cette attente, qui est maintenant la nôtre:
"J'attends la résurrection des morts", est le résultat de notre création. C'est et ce sera l'énergie qui à coup sûr nous ressuscitera.
Oh! Comme je voudrais que vous deveniez tous des poètes!.
Sans inspiration créatrice, il est difficile de passer même un seul jour comme il convient à un chrétien.
Ainsi aujourd'hui, j'ai dit quelques paroles pour fixer notre esprit sur l'exploit ascétique qui nous attend. Je veux encore ajouter à cela, qu'il faut être, non seulement poète, mais aussi un lutteur courageux. Le Seigneur a dit que le Royaume des cieux se conquiert par l'effort et l'ascèse, et que seuls ceux qui font des efforts sur eux-mêmes s'en emparent. (cf. Matthieu Il, i2).
Lorsque nous vivons sur terre, notre expérience de la vie dans le corps montre qu'il nous faut régulièrement boire, manger, dormir, nous reposer, pour le remplir d'une nouvelle énergie biologique indispensable à la vie. Il en est de même sur le plan spirituel. Nous devons nourrir notre âme, notre intellect, et cela ne va pas sans efforts. Vous connaissez tous cette expression, souvent utilisée ironiquement: "Oh! il est dans les affres de la création!" On peut parler ainsi de tout artiste, dans chaque domaine de l'art.
..."c'est toujours le même élan vers notre
 Dieu céleste,toujours le même Esprit qui 
nous entraîne à suivre le Christ".
De cette manière, en commençant par ce qui est tout petit, nous devenons disponibles à la manifestation de Dieu en nous. Et notre foi, c'est que nous recevons réellement la vie incréée de Dieu. Lorsque nous imitons le Dieu incarné- je parle du Christ - cela passe ensuite également sur le plan de l'esprit, après notre mort. Si nous sommes semblables à Lui tel qu'Il était sur terre, nous Lui serons aussi semblables dans son éternité sans commencement.
Voici, vous voyez quelles paroles nous prononçons: l'éternité sans commencement de Dieu nous sera communiquée! Une telle audace n'est-elle pas le signe de notre folie? Mais voici que le génial Paul dit que c'est cette folie qui sauve le monde (cf. I Corinthiens 1, 21).
Ce que le Christ nous a promis, l'intellect humain ne le contient pas. Notre intellect terrestre peut être très doué pour la pensée ou l'activité scientifique, pour la philosophie ou pour bien d'autres disciplines, mais non pour croire en l'éternité. Par contre, même les enfants peuvent croire en l'éternité, comme l'a dit le Seigneur (cf. Matthieu 11, 25). Ainsi, vous le voyez, aujourd'hui aussi, c'est toujours le même élan vers notre Dieu céleste, toujours le même Esprit qui nous entraîne à suivre le Christ.
Il y a quelque temps, j'ai entendu quelqu'un me dire: "Je suis fatigué de souffrir. Je ne veux plus souffrir. Je cherche le repos, la joie, le bonheur sur terre. Mon âme est dégoûtée de souffrir." Bien que l'homme qui me disait cela fût orthodoxe, à vrai dire il ne pensait pas d'une manière orthodoxe. Pour devenir capables d'embrasser par notre amour toute la création, nous devons passer par bien des états douloureux et par beaucoup de souffrances. L'énergie pour supporter ces souffrances, nous la trouvons dans le commandement du Christ de se haïr soi-même par amour pour Dieu et même pour notre prochain (cf. Luc 14,26).
Voilà, je vous ai parlé de choses, à vrai dire, terribles. Vous m'avez entendu dire que, aux jours de sa vie de Dieu incarné sur terre, Jésus-Christ était l'unique homme qui, ayant donné le commandement de se haïr par amour pour Dieu et pour le prochain, monta sur le Golgotha, non pour se sauver Lui-même: Il alla au-devant de toutes les souffrances, plein d'amour pour sauver l'homme, l'humanité. Oh! Cette image de l'Homme! Ceux qui ont expérimenté cette vision, évidemment, ne peuvent trouver nulle part ailleurs quelque chose de semblable.
Il est dit que le Seigneur viendra dans la gloire, et que, lorsqu’Il s'assiéra sur son trône, tous les peuples se rassembleront devant Lui, depuis la création de l'homme jusqu'au dernier à être né d'une femme. C'est-à-dire: détachez votre esprit des petites choses et transportez-le vers d'autres, illimitées, dont les premières sont néanmoins l'image. Voilà ce qui nous est demandé.
Au cinquième chapitre de Matthieu, on trouve beaucoup de paroles du Christ qui complètent la loi de Moïse. Il dit: "Il est écrit dans la Loi ceci et ceci, mais Moi, je vous dis cela et cela." Chaque fois, à partir des commandements de l'Ancien Testament, Il passe au sens infini de chacun d'entre eux. Ainsi donc, moi aussi, j'essaie de vous proposer, en tant que votre frère, d'utiliser ce moyen dans le but de rendre notre vie féconde: à partir de petites choses, passez à ce qui est infini.

Référence :
Parole à la communauté. Archimandrite Sophrony. N˚18 . Février 1994.