Saturday, June 6, 2020

À quoi bon l’Église?.
Père Cyrille Argenti.


D'origine grecque, le père Cyrille Argenti (1918-1994) fut moine et prêtre à Marseille pendant plus de quarante ans. Il y a fondé la paroisse orthodoxe francophone Saint-Irénée et a participé au dialogue œcuménique, ainsi qu'à de nombreuses initiatives en faveur des plus pauvres. Il a également été un membre actif de l'ACAT et de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale.

Père Cyrille Argenti.
« Je suis croyant, mais pas pratiquant. » Ou encore: «Je crois en Dieu, je crois au Christ, mais en l'Église, non» Voilà les phrases que répètent des dizaines de milliers de jeunes gens aujourd’hui. Voilà pourquoi tant de personnes qui se disent «croyantes» et qui même souvent ont été baptisées - notamment dans l'Église orthodoxe - ne vont pas à L'Eglise " et déclarent ne pas être "pratiquantes». Mais quelle est donc cette « croyance» que l'on ne 
met pas en pratique ?. Quel est donc ce Dieu auquel on croit mais que l'on ne cherche pas à rencontrer ? Qui est donc ce Christ que l'on admire et auquel on ne désire pas s'unir? Quelle est donc cette Église en dehors de laquelle on se tient?
Dieu est tout ou Il n’est pas.
«Je crois qu'il y a quelque chose au-dessus de nous », « j'admire et je respecte le Christ » ... C'est vrai, ces gens-là ne sont pas athées. Ils sentent confusément que Dieu existe, ils trouvent que Jésus est une personne admirable, mais ils ne cherchent pas trop à approfondir le rapport entre l'une et l'autre. Cette croyance et cette admiration ne les engagent pas; ils ne se mouillent pas. Elles leur inspirent juste quelques bons sentiments: ils ne voudraient faire de mal à personne, ils n'aiment pas la violence, ils sont tout prêts à rendre service; au fond, ils sont très gentils. On leur a tellement parlé du « bon Dieu» et du « petit Jésus» ... On a omis de leur rappeler, comme le fait l'épître aux Hébreux évoquant Moïse, que « Dieu est un feu dévorant » (He 12,29), que le Christ a dit: « C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre» (Le 12, 49), et encore: « Celui qui aime son père ou sa mère, son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi » (Mt 10,37) ; « Ce sont les violents qui s'emparent du royaume de Dieu» (Mt 11, 12) ; « N'allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix mais bien le glaive; je suis venu séparer le fils de son père, la fille de sa mère» (Mt 10, 34- 35). Enfin : « Les tièdes, je les vomirai de ma bouche» (Ap 3, 16).
Le problème, c'est que l'image de l'enfant Jésus dans la crèche ou sur les genoux de sa maman a totalement éclipsé le “Pan­tocrator”, tel qu'on peut le voir - redoutable - dans la coupole de certaines églises orthodoxes. Au Dieu trois fois saint de la Ré­vélation, devant qui frémissent les archanges et les anges, au Christ de l'Apocalypse avec le glaive de feu dans la bouche, on a substitué un personnage assez mièvre qui ne dérange personne. Le Dieu vi­vant de la Bible a été remplacé par le bon Dieu de “mon curé chez les riches”, celui qui excuse les «péchés mignons» et qui conforte les bien-pensants.
Écoutons plutôt le vrai Jésus, celui qui s'est écrié: “Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis; en dehors, ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d'ossements de morts et d'impuretés de toutes sortes» (Mt 23,27). Et encore: “Les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu» (Mt 21, 31).
Face au Christ, on prend position: on l'adore ou on le crucifie. Il est ou la pierre d'angle ou la pierre d'achoppement. Si l'on croit en Lui, on se joint à Lui; si l'on croit qu'Il est le Créateur, l'alpha et l'oméga, le début et la fin, on Lui donne tout: la rencontre avec le Ressuscité devient le but primordial de la vie. La liturgie du dimanche matin, l'union spirituelle et charnelle avec le corps et le sang du Christ dans la communion, devient alors le moment crucial de la semaine.
Dieu est tout ou Il n'est pas. Il ne peut être un élément, un aspect, une partie de la vie. Ou alors, Il ne serait pas Dieu. Si l'on croit en Lui, on s'engage pour Lui. Et si l'on croit que le Christ est Dien, qu'Il est vraiment ressuscité des morts, qu'Il est présent dans l'assemblée eucharistique, qu'Il y vient nous rencontrer, pour nous transformer, nous guérir, nous délivrer de l'emprise de la mort, nous introduire dans l'intimité de la vie du Dieu trinitaire, alors comment peut-on ne pas pratiquer? Si quelqu'un te fixe un ren­dez-vous pour te donner un milliard de francs et que tu le crois, n'iras-tu pas à ce rendez-vous? Le Christ te promet bien plus: le Saint-Esprit, c'est- à-dire Dieu lui-même: “Si donc vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-Il l'Esprit Saint à ceux qui Le Lui de­mandent” (Le 11,13). Il te donne pour cela rendez-vous à la li­turgie Eucharistique. Peux-tu Le croire et ne pas aller au rendez­-vous? Peux-tu être sincèrement croyant et ne pas être pratiquant?
Le Christ te promet bien plus: le Saint-Esprit, 
c'est- à-dire Dieu lui-même!.

Le fait que tant de gens disent ne pas croire en l'Église et ne pas être «pratiquants» révèle sans doute un malentendu fonda­mental sur le sens du mot «Église» et la réalité qu'il exprime. L'Église, pour le Français moyen, évoque la papauté, l'épiscopat, le clergé, « les curés », l'ensemble de l’organisation ecclésiastique, en un mot l'institution telle qu'historiens et sociologues peuvent la décrire, telle que l'incroyant peut la connaître aussi bien que le croyant. C'est cette institution, avec ses fastes et ses crimes, que la Réforme protestante a rejetée, développant une conception plus individualiste et intériorisée de la vie chrétienne. Celle-ci se situerait exclusivement au niveau de la conscience personnelle: « Entre Dieu et moi, aucune médiation autre que celle du Christ, unique Médiateur, n'est acceptable. » Les faiblesses et les défaillances évidentes de l'Église-institution ont contribué à donner une large audience à ce point de vue, non seulement en milieu Catholique Romain mais aussi parmi les Orthodoxes, souvent plus imprégnés d'une conception romaine ou protestante que d'un sens vraiment orthodoxe de l'Église.
Il convient donc, d'une manière urgente, de redécouvrir le vrai sens de l'Église. Pour cela, écoutons le grand prophète Isaïe, cité dans le cantique que nous chantons à l'occasion de chaque mariage comme de chaque ordination diaconale, sacerdotale ou épiscopale: « Isaïe danse de joie, la Vierge enfante, elle a mis au monde un Fils, Emmanuel». Emmanuel, en hébreu, signifie: « Dieu avec nous. » Tel est le nom donné à Jésus, Le Christ, c'est «Dieu avec nous ». Et « Dieu avec nous », c'est l'Église. Non pas Dieu avec moi, mais Dieu avec nous.
Depuis qu'Il s'est fait homme en naissant de la Vierge Marie, Dieu est avec nous: « Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis parmi eux » (Mt 18, 20). Le Crucifié-Ressuscité est vivant; Il continue d'être avec nous. L'Église est cette présence du Ressuscité au milieu de Ses fidèles, ou plutôt ce rassemblement autour de Lui de ses fidèles, qui Lui sont agrégés, qui forment corps avec Lui, qui sont Son Corps, Lui étant la tête. C'est cette unité mystérieuse - que Le Saint-Esprit réalise entre le Christ et Ses fidèles - qui fait L’Église : “Je suis la vigne, vous êtes les sarments» (Jn15, 5). Et encore: « Telles des pierres vivantes vous devien­drez, vous aussi, des matériaux de cette bâtisse spirituelle” (1 P 2, 4). Nous sommes les branches d'une vigne dont le Christ est le tronc ; les membres d'un Corps dont le Christ est la tête, les pierres vivantes d'une bâtisse spirituelle qui repose sur l'unique «pierre d'angle» (1 P 2, 7). Par le baptême, nous dit saint Paul, «nous sommes devenus une seule plante avec Lui» (Rm 6, 5) ; par la communion Eucharistique, nous devenons un seul corps avec Lui: « Qui mange ma chair et boit mon sang, Je demeure en lui et lui en Moi» On 6, 56). Tel est le miracle qu'opère le Saint-Esprit. Mais si nous ne croyons pas au Saint-Esprit, nous ne croyons pas en l'Église.
Le Christ est donc la tête, l'Église est le Corps, et nous sommes les membres. Uni à la tête, chaque membre exerce sa fonction propre et y trouve sa raison d'être. Si l'Église est cette mystérieuse unité organisée et intime entre le Christ et ceux qui croient en Lui, comment se traduit-elle dans la réalité de la vie de l'Église d'aujourd'hui? Comment le Christ ressuscité y est-il effectivement présent, selon sa promesse: «Je serai avec vous jusqu'à la fin des temps» (Mt 28,20)? Comment ses fidèles vivent-ils «en Lui », unis entre eux et à Lui aussi intimement que les membres d'un corps à la tête, que les sarments au cep, que les pierres d'un édifice à la pierre d'angle?
Le Christ, Fils unique et Verbe de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, est présent de plusieurs manières. Il l'est d'abord par sa Parole qui se fait chair et descend dans le monde pour se faire entendre, c'est-à-dire par son Esprit, le don du Saint-Esprit qui manifeste sa présence dans la proclamation et la prédication de la Parole. C'est précisément ce que les disciples ont vécu, devenus langues de Dieu par l'opération du Saint-Esprit.
C'est dire que l'Église n'est pas une société de philosophie diffusant une doctrine, mais le mystérieux réceptacle de la présence dans le monde du Christ ressuscité, vivant par l'opération du Saint-Esprit au sein de ses fidèles. Certes, nous ne le voyons pas comme Thomas le voyait, ou tel que nous le verrons lorsqu'Il reviendra avec gloire juger les vivants et les morts. Mais Il est présent par son Esprit dans la Parole annoncée, un peu comme celle d'un correspondant dont la voix se fait entendre dans l'écouteur téléphonique.
En réalité, aucune image ne peut traduire cette réalité spirituelle qui constitue l'être profond de l'Église.



Référence:
N’aie pas peur. Cyrille Argenti. Cerf(2002).