La vie monastique n'est
pas toujours vécue entre les murs d'un monastère et le don de startchestvo (la
guidance spirituelle), étant un charisme de l'esprit qui ne dépend pas d'une
ordination, il peut se manifester chez une femme comme chez un homme.
Dans une maison comme les autres d'une petite
ville de Sibérie, vit la moniale Deborah. Percluse de maladies - tachycardie,
migraines, maladie des poumons, des reins -, elle a déjà été miraculée une
fois. Alors qu'on l'emmenait pour se faire opérer d'un kyste du cerveau et
qu'elle souffrait horriblement, elle a senti qu'il se produisait quelque chose:
elle a eu encore plus mal, puis la douleur est passée. A l'hôpital, les examens
médicaux prouvèrent qu'il n'y avait plus de kyste, mais comme une cicatrice
fraîche.
Elle se rappelle le long
chemin qui l'a menée au monachisme. Voilà son récit: «Les fondements de
l'orthodoxie ont été posés pour toujours dans mon âme enfantine. Mes parents
étaient orthodoxes. Ma mère était sans instruction, mon père avait étudié au
séminaire. On ne s'asseyait jamais à table sans avoir prié.
C'est quand on est seul,
quand on est dans le malheur ou la pauvreté que la foi s'enracine. J'ai grandi
dans une famille très pauvre, affamée. Quand il n'y avait rien, il n'y avait
vraiment rien. Je dormais sur la paille. Je marchais pieds nus.
Il fallait faire paître les oies. On partait de bon matin. À six heures, j'étais déjà au champ. J'observais d'où pouvaient venir les loups. Je priais tout le temps afin de pouvoir rentrer saine et sauve avec mes oies. Dieu était avec moi. Un jour où il faisait une chaleur insupportable et que j'étais seule, le Seigneur a fortement pénétré mon cœur, mon âme, sans doute m'appelait-il.
Il fallait faire paître les oies. On partait de bon matin. À six heures, j'étais déjà au champ. J'observais d'où pouvaient venir les loups. Je priais tout le temps afin de pouvoir rentrer saine et sauve avec mes oies. Dieu était avec moi. Un jour où il faisait une chaleur insupportable et que j'étais seule, le Seigneur a fortement pénétré mon cœur, mon âme, sans doute m'appelait-il.
Sous Staline, après la
Seconde guerre mondiale, on habitait à l'Ouest du pays. Il y avait une forte
discipline. Ma mère avait une sagesse inspirée de Dieu. Elle se taisait quand
la voisine venait.
Il n'y avait ni Évangile,
ni livre de prières. Ma mère était aveugle. Elle était assise et récitait une
prière, et moi je répétais après elle: c'est ainsi que j'ai appris à prier.
Pour aller à l'église,
pour se confesser et communier, il fallait aller à plusieurs, faire trente
kilomètres à pied, à travers la campagne enneigée, sans chemin. Et moi
j'attendais ma mère. Maman revenait vraiment sainte et elle me donnait une prosphore
(pain eucharistique). Il me semblait qu'elle était lumineuse, et quand elle
déballait les prosphores, je sentais un parfum merveilleux.
Ma mère était toujours en
larmes à cause de la pauvreté. J’ai grandi dans la pauvreté. Je n'avais pas de
jolis vêtements. Je me sentais humiliée devant tout le monde. Cela m'a empêchée
de m'enorgueillir. Et intérieurement, il n'y avait pas de misère: je ne
souffrais pas, il me semblait que Dieu était toujours avec moi. Il y avait des
moments inoubliables. Le Seigneur me visitait, je sentais tout, je suivais et
regardais tout.
Puis je suis devenue
adulte. Je n'avais pas de nourriture spirituelle. La foi posée comme fondement
dans l'enfance ne disparaît pas: simplement la construction s'arrête pour une
certaine période, mais le fondement reste. Après un moment de refroidissement,
je me suis repentie, et tout est revenu d'une façon nouvelle. Le Seigneur est
venu pour bâtir les murs.
J'ai fait un mariage
malheureux. Mon mari buvait. Cet échec dans ma famille m'a éloignée du monde.
Quand j'avais vingt ans, je pensais déjà à devenir moniale, mais sans la
volonté de Dieu on ne peut rien faire. Pour l'exploit de la prière, il faut des
souffrances, des maladies. Dans mon mariage, il s'est produit un tournant
spirituel: je voulais tout laisser et partir. Je cherchais constamment à
m'isoler dans la prière. Quand mon mari me grondait, je me réjouissais. C'est
Dieu lui-même qui a tout organisé. »
Finalement, mère Deborah
devint moniale peu avant la mort de son mari, alors qu'elle n'avait plus de vie
commune avec lui depuis longtemps. Elle ajoute: «La vocation monastique, c'est
une grâce de l'Esprit Saint qu'on ne peut retenir. Cette grâce est joyeuse et
intérieure. On s'afflige et on souffre en pensant à Dieu. On ne fait aucun
calcul du genre: "si je suis moine, je serai sauvé" ».
Maintenant à la demande de
son père spirituel et d'un moine de la Trinité-Saint-Serge, elle reçoit ceux
qui sont désemparés, qui n'arrivent pas à s'ouvrir à leur père spirituel. Elle
les accueille avec bonté, les console, leur verse du thé et leur sert de la
confiture. Sa parole va droit à leur cœur, elle répond à des questions restées
sans réponse pendant des années. Parfois, elle reprend les mots même que la
personne qui l'interroge avait au plus profond de son être, ce que lui dictait
mystérieusement la voix de sa conscience. Ou elle explique comment se comporter
avec son conjoint ou avec son père spirituel, et bien que ne les ayant jamais
vus, on dirait qu'elle les connaît mieux que son interlocuteur. Elle comprend
aussi la croix que son visiteur porte en secret, et l'encourage dans sa voie. À
la fin de l'entretien, elle s'incline plusieurs fois profondément devant lui et
lui demande pardon. Pour lui tout s'est soudain éclairé, il lui semble qu'un
poids s'est envolé, et il repart avec une espérance nouvelle. Sur le chemin du
retour, le voilà tout joyeux.
Je ne sais pas si la Mère
Deborah est “une staritsa”, mais elle est considérée
Une “Staritsa” Russe, (2011). |
comme telle aussi bien par
de très nombreux laïcs que par des moines et des prêtres. En tout cas, telle
est la force des starets: par leur être qui reflète la beauté et la bonté
divine, ils communiquent la certitude de l'existence de Dieu. Par leur
intelligence spirituelle qui pénètre au tréfonds de l'être, ils peuvent
discerner les blessures de l'âme, et par leur familiarité avec Dieu, ils
peuvent prescrire le traitement adéquat. Le Père Boris Kholtchev qui vécu à
Tachkent jusqu'à sa mort en 1971, disait que les moments où il avait pu
communiquer avec les Pères spirituels qu'il avait connus dans sa jeunesse (le
Père Alexis Metchev, le starets Nectaire d'Optina Poustyne) représentaient son
expérience de la Lumière de la Transfiguration. C'est effectivement ce que l'on
ressent en rencontrant ces Pères ou Mères exceptionnels, et c'est pourquoi les
gens sont prêts à parcourir des milliers de kilomètres et à faire de grands
efforts pour les rencontrer. Être auprès d'eux apparaît comme une telle grâce,
que nombreux sont ceux qui ont tout quitté pour s'installer dans leur
entourage.