Christ, par Saint Sophrony. Chapel de Saint Silouan. Monastère Saint Jean-Baptiste. Essex. |
Pour que nous reconnaissions les dons qui procèdent de Lui, Dieu nous abandonne pour un temps après nous avoir visités. L'abandon de Dieu produit une impression étrange. Dans ma jeunesse, j'étais peintre - je crains que, jusqu'à présent, le peintre ne soit pas tout à fait mort en moi. Ce don naturel était présent en moi. Je pouvais être épuisé, ne plus avoir de forces pour travailler, ne pas être inspiré, je savais cependant que ce don faisait partie de ma nature. En revanche, lorsque Dieu se retire, nous ressentons un certain effondrement dans notre être même; l’âme ne sait pas si celui qui est parti reviendra un jour.
Dieu est autre, par sa nature. Il s'est
caché, et je suis resté « vide » ; je ressens cette vacuité comme une mort. Sa
venue m'avait manifesté quelque chose de doux au cœur et de merveilleux,
dépassant mon imagination la plus audacieuse. Or, me voilà de nouveau plongé
dans l'état qui me paraissait auparavant comme « normal » et satisfaisant, mais
qui maintenant me fait frémir; je le ressens comme trop animal, trop bestial...
J'avais été introduit dans le palais du
grand Roi et j'avais su que j'étais son parent; mais maintenant, de nouveau, je
ne suis plus qu'un vagabond sans gîte. L'alternance de nos états nous permet de
saisir la différence qui existe entre les dons naturels et ceux qui descendent
sur nous comme bienveillance d'en haut. C'est par une prière de repentir que
j'avais été jugé digne de la première visite de Dieu, et c'est par une prière -
encore plus fervente - que j'espère le faire revenir. Et, en effet, Il vient.
Souvent, voire habituellement, Il modifie la forme de sa venue. Ainsi, je
m'enrichis constamment de nouvelles connaissances sur le plan de l'Esprit.
Tantôt, c'est dans la souffrance, tantôt dans la joie, mais je progresse. Ma
capacité de demeurer plus longtemps dans cette sphère auparavant inconnue
augmente.
Tiens ton esprit fermement fixé en Dieu, et
le moment viendra où l’Esprit immortel touchera ton cœur. Oh ! Cet effleurement
du Saint des saints ! On ne peut le comparer à quoi que ce soit. Il ravit notre esprit dans le
domaine de l'Être incréé. Il blesse le cœur d'amour, mais d'un amour différent
de ce que l'on entend d'habitude par ce terme. La lumière de cet amour se
répand sur toute la création, sur tout le genre humain dans son existence
millénaire. Cet amour devient sensible au cœur physique, mais, par nature, il
est spirituel, incréé, car il procède de Dieu.
L'Esprit divin, donateur de vie, nous
visite lorsque nous demeurons dans l'état d'une humble disponibilité à son
égard. Il ne fait pas violence à notre liberté. Il nous entoure délicatement de
sa chaleur. Il s'approche de nous si discrètement que nous pouvons même ne pas
Le remarquer tout de suite. Il ne faut pas s'attendre à ce que Dieu fasse
irruption en nous par force, sans notre consentement. Oh ! Non ! Il respecte
l'homme, s'humilie devant lui. Son amour est humble. Il nous aime, non de haut,
mais comme une tendre mère aime son enfant malade. Quand nous Lui ouvrons notre
cœur, nous avons l'irrésistible sentiment qu'Il nous est «familier», et l'âme
se prosterne devant Lui dans une humble émotion d'amour. L'amour divin, qui est
la marque profonde de l'éternité vivante, ne peut pas ne pas souffrir en ce
monde. Au cœur attendri par l'ascèse et par la visite de la grâce, il est
parfois donné de vivre - ne serait-ce que partiellement - l'amour du Christ,
amour embrassant toute la création avec une infinie compassion pour tout ce qui
existe.
Maintenant, je suis prisonnier du Christ, mon
Dieu. J'ai conscience d'avoir été appelé du néant à l'être ; par sa nature,
l'homme n'est rien. Malgré cela, nous attendons de Dieu compassion et respect.
Et, soudain, le Tout-Puissant se révèle à nous dans son indescriptible
humilité. Cette vision émeut l'âme, frappe l'intellect et, involontairement,
nous nous prosternons devant Lui. Mais, quelle que soit notre aspiration à Lui
ressembler par notre humilité, nous nous voyons incapables d'atteindre son
absoluité.
L'humilité du Christ est une force qui
triomphe de tout. Dans la kénose du Christ et dans sa sollicitude pour nous,
elle ne connaît pas de dégradation: immuable dans son essence, elle demeure
divinement grande. Exprimée en paroles, elle paraîtra contradictoire.
L'humilité est un attribut du Dieu d'Amour qui, dans son ouverture à l'égard de
la créature, accepte avec douceur toutes les blessures de la part de ceux qu'Il
a créés.
Référence:
La prière, expérience de l'éternité. Archimandrite
Sophrony Éditions du Cerf / Le Sel de La Terre, 1998.