Archimandrite Aimilianos. (+9 Mai 2019) |
Vous vous rappelez qu'hier nous
disions: le plaisir du premier homme a conduit à la douleur. Nous nous mettons
en route à partir de la souffrance et nous avançons avec ce que Dieu nous
donne: la jouissance de l'âme.
Désormais se présentent à nous la
joie et la douleur, qui composent ce que nous appelons «la douleur du cœur».
Cette douleur du cœur est une liquéfaction, c'est une soif ardente. Lorsque
nous avons réellement soif, nous sommes anéantis; nous nous sentons épuisés,
nous avons l'impression que, si on ne nous apporte pas, à l'instant, un peu
d'eau, nous allons nous affaisser sur le sol. Il en est de même pour l'âme.
Elle ne peut plus vivre sans Dieu. Non seulement sa vie n'a plus de sens, mais
elle meurt sans Dieu. C'est pourquoi, à partir de l'instant où elle fera cette
expérience de la connaissance de Dieu, où elle sentira cette périchôrèse, ou
bien elle mourra ou bien elle vivra dans le Christ. Il n'existe pas de voie
moyenne.
Cette soif, ce dépérissement
conduit l'âme à l'expérience du désir de la mort. Pourquoi? Parce que cette vie
trompeuse la mène à voir Dieu «dans un miroir ». Où est Dieu? Où se trouve mon
Dieu? Puisque l'être entier ne peut voir Dieu, ne peut l'attraper, avoir un
contact avec lui, soit par le corps, soit par l'âme - parce que l'être est
corps et âme -, puisqu'il ne le peut, il va aboutir, non plus à la circoncision
de son cœur, mais au déchirement de l'enveloppe charnelle pour que l'âme soit
libérée et qu'elle puisse être seule avec Dieu seul.
L'âme vit ce désir de la mort
comme l'expérience que fait l'enfant dans le sein de sa mère: il veut sortir,
il doit naître parce que les neuf mois sont révolus. Il lui faut quitter le
sein; de toutes les façons il doit sortir. C'est l'expérience d'une naissance.
L'âme veut vivre sa naissance, sa nouvelle naissance.
C'est donc une expérience de
libération de la corruption, du temps, du lieu, d'une vie de pauvreté,
d'infortune, d'esclavage, de mendicité. Ici - bas, nous sommes des mendiants;
dans notre pauvreté nous mendions toute chose. L'homme veut briser ces
barrières qu'on lui a dressées dans ce monde, et il veut demeurer seul avec
Dieu seul, dans cet océan infini d'amour, de bonheur et de délices.
La particularité que revêt
maintenant cette connaissance de Dieu, est un effort pour enlever Dieu; nous
pourchassons Dieu. Nous voulons briser les limites de l'espace, celles du
temps. Nous voulons vaincre la mort en atteignant les limites de l'incorruptibilité.
Comment se fait ce cheminement,
comment le ressentons nous, comment l'expérimentons-nous? C'est un enlèvement
hors des limites de l'âme. Nous vivons une transposition au-delà de nos
limites, au - delà de notre vie, un transfert vers l'au - delà, c'est-à-dire
vers Dieu. C'est une projection non plus de l'inconscient vers la conscience,
mais une projection de l'homme tout entier vers la Divinité tout entière. C'est
une projection de la nature humaine vers la divine hypostase.
Jésus et la Samaritaine.
Rome, fresque des catacombes
Via Latina. III-IV siècles
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Hier nous disions que, ce qui
s'est passé dans l'histoire, dans l'économie divine, ce qu'a fait le Christ, ce
qu'a fait le Père, ce qui a été accompli par l'Esprit Saint, doit se produire
en nous. Autrement dit, nous participons à la vie de Dieu. En nous vidant de
nous-mêmes, nous vivons ce qu'a ressenti la Mère de Dieu quand elle répondit à
l'ange: «Qu'il me soit fait selon ta parole.» - «Comment cela sera - t - il?»
demanda - t - elle à l'ange. Comment, moi qui suis vierge «je ne connais pas
d'homme », puis-je enfanter? - «L'Esprit Saint te prendra sous son ombre et tu
concevras», La Mère de Dieu a-t-elle compris quelque chose? Elle n'a rien
compris. C'est l'explication de sa réponse «qu'il advienne selon ta parole» :
comme tu veux, ainsi que tu le dis. C'est-à-dire, que je comprenne ou non,
qu'il advienne selon ce que tu as dit. Il en est de même pour nous.
Vous saisissez ce que sous-tend
l'expression «se vider de soi - même»? Cela signifie : «être rempli» par la
Grâce divine, par l'énergie de Dieu; l'Esprit qui couvre de son ombre, cela
s'opère maintenant aussi en nous. La Divinité se penche sur nous. Nous faisons
l'expérience de la kenôse de la Divinité et de la communion à l'énergie divine.
Par conséquent, dans tout notre
être nous accueillons l'émission de la lumière, le rayonnement de l'énergie
divine. C'est désormais notre propre divinisation. C'est notre union
personnelle, une conséquence de l'inclination de Dieu.
Comment allons-nous vivre cela?
Comme une extase.
Qu'avons-nous dit? Que notre vie
devient un transfert vers Dieu. Nous sommes trans-portés. Puisque nous sommes
transportés, nous sommes donc sur-pris. Nous vivons une sortie hors de notre
nature, qui est tout d'abord un acte de la puissance divine. Cela ne veut pas
dire que nous ayons perdu l'esprit. Ce n'est pas un phénomène pathologique.
C'est surnaturel.
Nous faisons ici l'expérience de
l'action de la puissance divine; la main de Dieu opère, c'est elle qui agit.
Nous devenons un homme mû par la puissance divine, notre extase ne peut donc
être pathologique, c'est un événement, une expérience vécue de la vision de
Dieu.
Nous avons en face de nous une
véritable vision divine:
moi et Dieu. Nous sommes frappés
de stupeur, nous voyons Dieu. Mais puisque c'est une extase, non pathologique
mais un phénomène théurgique, c'est donc un miracle. Ce n'en est pas moins,
dans la tension de cet événement, une perte de nos sens, une perte de notre
puissance de désir. Notre âme n'est plus une flèche que l'on s'apprête à
lancer, mais une flèche qui est lancée.
Vous souvenez-vous par quoi nous
avons commencé notre entretien? L'âme n'était qu'un objet vulgairement jeté
dans ce monde. Désormais c'est l'âme en tant qu'esprit - c'est sa dimension
spirituelle et non sa puissance psychique qui est concernée -, c'est notre
esprit qui devient une flèche, notre esprit est une flèche lancée, il est sorti
pour être transféré là où Dieu se trouve.
A présent nous vivons cette
expérience de la connaissance de Dieu comme une extase et un
élan vers Dieu, comme quelque chose qui se passe en dehors de nous. Dans le
corps? hors du corps? Nous nous interrogeons: «Qu'est-ce qui m'arrive? Je ne le
comprends pas.» Est-ce qu'un homme amoureux sait ce qu'il fait? Il s'agit d'une
extase en accord avec l'infinité de Dieu : elle est limitée pour nous, mais
illimitée pour Dieu.
Comment allons-nous
vivre cela? Nous ne disons pas : Comment Dieu fait-il cela? car nous sommes impuissants
devant les actions divines. Nous disons seulement comment, nous, nous
ressentons cet instant, celui où notre âme vit cette expérience, lorsqu'elle
est lancée vers Dieu, quand, éprise de Dieu, elle le vit et le connaît.
Nous avons expliqué que pour
connaître Dieu, il faut l'aimer. Nous l'avons aimé. Nous décrivons comment une
âme _ n'importe laquelle - qui aime Dieu le ressent. Puisque nous l'avons aimé,
nous le connaissons et nous pouvons le demander. Employons une image. Quand
nous allons dans un magasin pour acheter un vêtement, nous le prenons en main,
nous palpons le tissu, nous le regardons, en quelque sorte nous faisons connaissance:
«ce vêtement me plaît», dirons - nous, «donnez -le moi»; nous le demandons. La
même chose se passe dans la vie spirituelle.
Notre âme est donc lancée vers le
ciel; elle a été tendue et elle est allée auprès de Dieu. C'est ainsi que nous
ressentons, nous, notre âme. Qu'éprouve notre cœur? Comme si la Divinité était
tombée sur lui, l'avait enveloppé et s'en était emparée. Nous faisons
l'expérience d'un cœur qui a été pris d'assaut. Ce n'est pas le cœur qui domine
cette expérience, ce n'est pas le cœur qui peut dire: «Je t'aime, je ne t'aime
pas mon Dieu », à la façon dont on prend une marguerite et qu'on en sépare les
pétales. Le cœur est saisi par Dieu, il est noyé par Dieu.
L'intellect a l'impression qu'il
est emporté par Dieu «ravi jusqu'au troisième ciel». L'intellect est ravi
comme s'il n'était plus dans le corps. Nous comprenons que notre entité réelle
n'est pas le corps - lequel est mort sans l'âme -, elle est dans l'intellect.
Maintenant l'intellect est entièrement ravi. Notre esprit a la sensation d'être
conquis. Que signifie conquis? Il n'a aucun pouvoir, il est sous ma domination:
Je le serre entre mes mains et j'en fais ce que je veux. Nous sentons que Dieu
tient totalement notre esprit, nous sommes sa propriété, nous ne nous
appartenons plus, nous nous trouvons sous la souveraineté directe de Dieu.
Vous avez compris? Je ne sais,
mais je pense que vous percevez à présent quel est le chemin qu'il nous faut
suivre pour pouvoir prononcer, nous aussi, ces paroles de l'Apôtre Paul:
"Le Christ vit en moi", cela veut dire que le Christ EST tout!.
Référence:
Sous les ailes de la Colombe. Catéchèses et
discours(2). Archimandrite Aimilianos.(2000)