Saint Hilaire de Poitier. |
«Vers toi j'ai levé mes yeux, vers toi qui trônes dans
les cieux.»(Ps122)
La vision progressive de Dieu qui se découvre à ceux
qui le cherchent ressemble à une lumière discrète et mesurée, qui par
intervalles met fin à une longue cécité et nous prépare à voir la lumière dans
tout son éclat. Invoqué dans l'épreuve, cherché par les prophètes, Dieu, par
les paroles des prophètes, nous apporte la joie. Il nous faut à présent
contempler avec confiance des yeux de la foi celui qui habite les cieux.
Le ciel perceptible à nos yeux de chair, cet éther
affermi que nous appelons firmament, passera et cessera d'exister. Le «trône de
Dieu» au contraire demeure à jamais. Il est nécessaire que la demeure soit
digne de celui qui l'habite: le Dieu infini et incorruptible ne peut habiter en
un lieu périssable: nous croyons que Dieu habite le ciel.
Mais quelle est cette demeure? C'est celui qui a dit:
«Le Père est en moi et moi je suis dans le Père» (Jn 10,38), «le Père et moi ne
faisons qu'un» (Jn 10,30). C'est celui dont l'Apôtre a dit: «Dieu s'est
réconcilié le monde dans le Christ» (2 Co 5,19). Il s'agit ici de son fils
digne et authentique en lequel le Père habite par la vertu d'une même nature.
Aucune différence de nature ne sépare le Fils du Père dont il est né. Mais nous
ne parlons pas aujourd'hui de l'indissoluble puissance du Père et du fils. Nous
confessons que le Dieu né de Dieu n'est pas par nature séparable de celui qui
lui donne naissance. Et le Dieu inengendré qui engendre le Dieu qui est son
Fils unique, demeure en ce dernier par l'acte même de son engendrement. Sur lui
repose toute notre espérance de connaître Dieu dans son Fils unique. Quant au
Dieu incréé, il n'est pas d'être assez sot pour regarder le ciel sans
reconnaître que Dieu existe. Oui, Dieu habite le ciel qui est la digne demeure
de sa divine majesté.
Il existe une autre demeure choisie par Dieu et qui
lui est agréable; d'elle il est écrit: «J'habiterai en eux et je m'y
promènerai. Vous êtes le temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite en vous» (II
Co 6,16). Le même Apôtre encore: «Tel le terrestre, tels aussi les terrestres,
tel le céleste, tels aussi les célestes» (1 Co 15,48). Le céleste désigne le
second Adam. Il est céleste parce que le Verbe s'est fait chair et son humanité
est née de l'Esprit et de Dieu. Il est Verbe, non pas simple et vaine parole,
mais Dieu Verbe. Sa substance n'est pas dissemblable ni différente. Dans le
Verbe de Dieu même, il est Dieu. Le ciel que Dieu habite est celui qui est de
lui et à lui. Par lui il habite dans les êtres célestes, comme lui-même le dit
à son Père: «Que tous soient un, moi en eux et toi en moi» (Jn 17,21-23). Si
nous avons été «limon» en Adam, nous sommes maintenant «ciel» dans le Christ,
et le Christ habite en nous. Par la présence du Christ en nous, Dieu habite
également en nous, le Christ fait habiter Dieu en nous.
Le sens commun se représente le ciel où habite Dieu
au-delà du firmament. Nous n’excluons pas cette opinion commune concernant la
demeure de Dieu, qui imagine le ciel comme le trône de Dieu. Mais nous croyons
que le ciel signifie également la demeure digne de Dieu établie dans le Christ,
l'Adam céleste. Sachons que Dieu habite ce ciel et que l'Adam céleste, il
habite aussi en tous ceux qu'en Lui, il a rendus célestes.
Il ne faut pas distraire l'esprit de la recherche de
Dieu.
"ainsi nos yeux vers le Seigneur, notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous". |
Il importe donc que ceux qui ont levé les yeux vers
Dieu ne les abaissent et ne les détournent plus, car il est écrit dans
l'Évangile: «Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est
impropre au royaume de Dieu» (Lc 9,62).
Il nous faut quitter les temples, les autels,
repousser l'amour de l'argent, les séductions de la chair et les vices les plus
secrets, pour contempler inlassablement et sans répit le Seigneur. Les païens,
aveuglés par leurs égarements avec une persistance obstinée ont été prisonniers
de leurs fausses religions, au point de ne pouvoir s'arracher à leurs
superstitions par la seule lumière de la vérité, et de servir une foule
d'idoles qu'ils ont osé appeler dieux. Et si l'âme des pécheurs, enlisés dans
la boue des vices, sert avec ce zèle aveugle le corps, en qui elle reconnaît
son maître, avec combien plus de raison, nous qui connaissons le Dieu créateur
du ciel et de la terre, et savons qu'il a le pouvoir de tirer l'homme, vivant,
de la boue inerte et le pouvoir, au-delà de la mort, de lui faire partager son
éternité, ne devons-nous pas l'honorer, sans jamais en détourner nos yeux, sans
aucune défaillance de notre foi, mais en veillant avec acharnement à ne jamais
dévier de cette foi!
Que signifient «les yeux de la servante?
Le prophète nous apprend à fixer sans cesse les yeux
de notre esprit sur Dieu, lorsqu'il dit: «Voici que tels les yeux des
serviteurs,
vers la main de leurs maîtres,
tels les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
ainsi nos yeux vers le Seigneur, notre Dieu, jusqu'à
ce qu'il ait pitié de nous.»
Le prophète recourt à une comparaison. Les yeux de la
foi sont fixés sur Dieu comme ceux des esclaves sur la main de leurs maîtres.
Le serviteur fidèle est préoccupé d'accomplir en tout la volonté de son Maître.
Il a sans cesse les yeux fixés sur lui. S'il s'agissait ici de serviteurs et de
maîtres humains, on aurait dit que les yeux des serviteurs sont fixés sur le
regard, la parole, la présence des maîtres, qui, d'un signe, commandent, ou
d'un mot.
Mais les «mains» expriment souvent les œuvres dans l'Écriture.
Il en est qui en sont les serviteurs ni des hommes ni de Dieu, mais les
serviteurs du péché, selon la parole du Seigneur: «Tous ceux qui commettent le
péché sont esclaves du péché» (Jn 8,34). Ceux-là sont aussi esclaves de
forfaits spirituels, insultes aux êtres célestes: leurs yeux sont fixés sur les
délices et les mirages des vices, qui sont comme les mains de leurs maîtres.
Les mains désignent ici les œuvres diaboliques des dieux païens: goinfrerie,
oisiveté, luxe, sensualité, orgueil, avarice, ambition. Ceux-là ont les yeux
fixés sur des œuvres qui asservissent leur volonté. Les diverses divinités sont
autant de maîtres; chacun cherche la religion à son niveau et à son goût.
Quant à nous, nous n'avons qu'un seul Dieu, sans pour
autant nier son unité avec notre Seigneur Jésus-Christ, qui est Dieu. Nous
suivons la loi et les prophètes, les évangiles et les apôtres et nous
confessions dans la foi et la vérité l'unité du Dieu inengendré et du Dieu
engendré. De fait, jamais les prophètes ne parlent de Dieu ou du Seigneur au
pluriel mais de chacun bien distinctement.
La Genèse écrit: «Et le Seigneur par son Seigneur fit
pleuvoir du soufre et du feu» (Gn 19,24). Et le Prophète: «Le Seigneur, ton
Seigneur t'a donné l'onction» (Ps 44,8) et «le Seigneur a dit à mon Seigneur»
(Ps 109,1). Et l'évangile: «Et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu»
(Jn 1,1). L'Apôtre: «II n'y a qu'un seul Dieu de qui tout vient et un seul
Seigneur Jésus-Christ par qui tout existe» (1 Co 8,6). Et ailleurs: «Le Christ
en est issu lequel est Dieu au-dessus de tout» (Rm 4,5).
Ces paroles concernent le Seigneur. Nous devons
comprendre qu'il n'est qu'un Dieu inengendré et qu'il n'est pas possible de
nier que son Fils unique est également Dieu. L'un et l'autre sont Dieu unique,
mais pas un Dieu partagé en deux, comme l'a prétendu Hlérax.! Père et Fils ne
sont pas que des titres, comme l'a affirmé Sabellius, mais expriment le lien de
l'engendrement. Dieu est unique, il n'existe pas deux inengendrés ou deux
engendrés, mais un seul Dieu, né de l'unique Dieu, qui ensemble ne font qu'un,
sans qu'il y ait entre eux différence ou partage de la nature divine.
Pourquoi est-il question de plusieurs serviteurs et
maîtres? Le texte continue:
«Et comme les yeux de la servante vers les mains de sa
maîtresse.»
Le prophète prolonge son développement. Il affirme que
les yeux de la servante sont fixés sur la main de sa dame. Il veut exprimer par
là que les serviteurs sont avant tout préoccupés d'agir et d'accomplir leur
travail.
“Le prophète est pleinement convaincu de la miséricorde de Dieu, ses yeux restent attachés sur lui...” |
Il avait été question de plusieurs serviteurs et de
plusieurs maîtres, pourquoi n'est-il question ici que d'une seule servante et
d'une seule dame? Les serviteurs divers, avons-nous expliqué plus haut,
adoraient des divinités de toute sorte. A présent, il est question d'une seule
servante et d'une seule dame, parce que la nature de l'âme est une comme une la
nature de la chair. Il est question ici des pécheurs qui sont esclaves du
péché. Cette servante est asservie à la chair de la chair, qui subit la séduction
de la chair et des vices. Elle supporte leur domination dans l'attrait des
voluptés et contemple les produits de leurs œuvres.
Si les vices absorbent invariablement l'attention de
ces serviteurs et de cette servante, au point de les assujettir en une
idolâtrie stupide, notre foi à nous ne doit-elle pas fuir les caprices et
l'instabilité? Elle ne doit pas se laisser abattre par l'assaut des tentations,
mais garder les yeux fixés, ferme et inébranlable, sur le Seigneur jusqu'à la
consommation de sa miséricorde.
Le prophète montre que son espérance demeure entière
jusqu'à ce que le Seigneur le prenne en pitié.
«Nos yeux sur le Seigneur, notre Dieu, jusqu'à ce
qu'il nous prenne en pitié.»
Il ne se lasse pas, il ne défaille pas, même si pour
exercer sa foi, le Seigneur retarde l'effet de sa miséricorde. La foi doit être
une attente ferme et intense, tout désespoir serait l'aveu de la défiance. Le
prophète est pleinement convaincu de la miséricorde de Dieu, ses yeux restent
attachés sur lui, jusqu'à ce qu'il le prenne en pitié. Son regard est si
assuré, si insistant, qu'à deux reprises il s'écrie:
«Pitié pour nous, Seigneur, pitié.»
Il est tendu, et tendue sa prière. Cette constance qui
emmure les esclaves du péché dans la prison du péché, cette constance le
fortifie dans la ferme espérance des biens éternels et dans l'intime conviction
de sa grâce.
Référence:
http://orthodoxievco.net/ecrits/peres/hilaire/ps122.pdf