Starets Serge Chévitch. |
Correspondant de saint Silouane et du célèbre
Higoumène Chariton de Valaam, ami de Jacques Maritain, Louis Massignon, Olivier
Lacombe, Charles du Bos, Emmanuel Mounier et Gabriel Marcel, père spirituel de
Nicolas Berdiaev, de Vladimir Lossky et du grand iconographe Grégoire Kroug, le
Starets Serge Chévitch (1903-1987) fut l'une des figures les plus
charismatiques et les plus lumineuses de l'émigration russe et de l'Église
orthodoxe en Occident.
Les possibilités humaines
dépassent de très loin les limites de la vie terrestre. Les hommes ont de
grands dons, mais ceux-ci sont bien peu développés dans la vie terrestre. La
plupart des hommes restent en deçà de ce qu'ils pourraient et devraient être
par rapport à leur vocation et à leur destin spirituels. Comme disait Pascal: «
L'homme passe infiniment l'homme » Les talents dont parle l'Évangile sont les
possibilités que nous avons et que nous devons développer et faire fructifier.
Nous devons avoir conscience de la responsabilité que nous donnent ces
possibilités, et agir pour les mettre en valeur.
Notre but doit être de vivre en
union avec Dieu. Nous devons tendre sans cesse vers le Royaume des cieux auquel
nous sommes destinés. Notre but doit constamment être la vie éternelle qui est
notre vraie vie. Mais cette vie nous sommes appelés à la vivre déjà ici-bas.
Ici-bas nous ne menons une vie
normale, nous ne sommes des hommes normaux que si nous vivons en union avec
Dieu. Sans cela, nous sommes des « hommes psychiques ». L'homme psychique, dont
parle saint Paul (1 Co 2, 14), c'est l'homme fermé à la transcendance, l'homme
terrestre, l'homme qui a des préoccupations de ce monde. L'homme psychique ne
vit pas sa dimension humaine intégrale, mais vit fermé sur lui-même. L'homme
psychique, c'est l'homme confiné à la vie terrestre, qui n'a pas d'autre
perspective, qui ne vit pas selon l'intégralité de son être, à la différence de
l'homme spirituel. L'homme psychique, qui est le modèle de normalité pour la
psychiatrie classique, est en fait dans un état de maladie. Car l'esprit en lui
est endormi (cf. Rm Il, 8). C'est seulement chez l'homme spirituel qu'il est en
éveil, libéré, développé, épanoui, et qu'il mène une activité normale et
conforme à sa nature. La normalité pour l'esprit, c'est de vivre en unité avec
Dieu.
Vivre en unité avec Dieu, c'est
vivre sans cesse avec le Christ et finalement avoir le Christ en soi. C'est
également avoir le Saint-Esprit habitant en soi: comme l'a dit saint Séraphim
de Sarov, le but de la vie chrétienne est l'acquisition du Saint-Esprit.
Il est important, dès le départ,
d'avoir la bonne conception de la vie, qui oriente dans le bon sens,
c'est-à-dire vers Dieu, toutes nos activités et toute notre existence. En
dehors de Dieu, la vie est absurde, n'a pas de sens, n'est rien du tout. Mais
en Dieu, tout en elle trouve son sens.
L'union à Dieu se réalise au
quotidien, à chaque instant. Chacun de nos actes et chacune de nos pensées nous
donnent l'occasion de cette union.
Dieu est le créateur de toutes
choses. Tout a donc un sens religieux et peut être vécu spirituellement dans
une relation à Dieu. C'est pourquoi nous aurons à rendre compte devant Dieu des
plus petits détails de notre existence, de la moindre de nos attitudes, du plus
élémentaire de nos actes, de la plus infime de nos pensées. Il faut donc
veiller à chaque instant et en toute chose à vivre en Dieu.
Il faut invoquer Dieu avant
d'entreprendre même l'acte le plus banal, faire toute chose en présence de
Dieu.
Nous devons parvenir à tout faire
en Dieu et à ne plus rien faire sans Dieu.
Il faut dans chaque action et
dans chaque pensée mettre le levain de la prière. Toute activité doit être
commencée en demandant la bénédiction de Dieu, et achevée en rendant grâce à
Dieu pour ce que nous y avons réussi et en Lui demandant pardon pour ce que
nous y avons manqué. L'activité même doit être accomplie, sinon dans la prière,
du moins dans un esprit de prière, la prière étant le moyen privilégié de notre
union à Dieu.
Vivre en Dieu au quotidien. |
Nous devons, chaque jour, nous
efforcer de penser moins à nous-mêmes et plus à Dieu, de vivre moins de
nous-mêmes et plus de Dieu; ainsi pourrons-nous progresser sur la voie de
l'union à Dieu.
Faire chaque soir le bilan de nos
insuffisances et en faire pénitence, vivre chaque matin comme un nouveau
commencement, voilà ce qui nous permet de faire de chaque jour une étape qui
nous rapproche de Dieu.
Notre vie ne doit pas être
statique, mais dynamique. Par chaque action que nous entreprenons, par chaque
pensée que nous avons, nous devons « amasser avec le Christ» (Mt 12, 30; Le 11,
23) afin que nous soyons finalement tout en Lui et qu'Il soit tout en nous.
Les saints ne se manifestent pas
d'une manière extraordinaire et leur sainteté reste souvent invisible aux yeux
des hommes. C'est que, d'une manière générale, les réalités spirituelles ne
sont pas perceptibles par les sens corporels, mais par « l'œil du cœur », qui
est ouvert par la pureté, l'humilité et l'amour.
Du point de vue extérieur, les
saints ne se manifestent pas d'une manière extraordinaire et ne se distinguent
pas dans leur apparence des autres hommes. Ceux qui les rencontrent dans la vie
courante sans savoir qui ils sont entrent en relation avec eux comme avec des
hommes ordinaires. Il y a des saints très nerveux, qui ont des tics, ou qui
sont très brusques. Il y en a d'autres qui sont excessivement lents. Certains
saints ont des défauts physiques. C'est que, chez les saints, le vieil homme
intérieur est vaincu, mais pas encore le vieil homme extérieur. Les saints ne
sont pas encore entièrement transfigurés, et le vieil homme continue encore à
se manifester à l'extérieur. Cette apparence peut nous tromper et nous cacher
l'intériorité.
En ce qui concerne la perfection
spirituelle qui caractérise la sainteté, il faut savoir que ce n'est pas la
perfection de soi-même mais la perfection de Dieu en soi. La sainteté nous
renvoie toujours à Dieu. Comme le dit la prière liturgique de la Grande
doxologie: « Toi seul es saint! » et celle qui suit la proclamation « Les
choses saintes aux saints! » : « Un seul est saint ! ».
Ce que nous recevons de Dieu doit
retourner à Dieu. Lorsque nous nous enrichissons par la grâce que Dieu nous
donne, nous ne devons pas nous enrichir en nous-mêmes mais en Dieu.
Lorsque la grâce vient en nous,
elle ne se manifeste pas d'une manière spectaculaire. Le prophète Elie
n'a connu Dieu ni dans le feu ni dans le vent, mais dans un souffle très doux!.
Référence:
Le Starets Serge. Jean-Claude Larchet. Cerf(2004)