Saint Irénée de Lyon. |
Par la désobéissance d'un seul homme, le péché a fait son entrée et par le
péché, la mort a prévalu, de même, par l'obéissance d'un seul homme, la justice
a été introduite et a produit des fruits de vie chez les hommes qui autrefois
étaient morts. Et de même que ce premier homme modelé, Adam, a reçu sa
substance d'une terre intacte et vierge encore - «car Dieu n'avait pas encore
fait pleuvoir et l'homme n'avait pas encore travaillé la terre»- et qu'il a été
modelé par la Main de Dieu, c'est-à-dire par le Verbe de Dieu - car «tout a été
fait par son entremise», et: «Le Seigneur prit du limon de La terre et en modela
l'homme, de même, récapitulant en lui-même Adam, lui, le Verbe, c'est de Marie
encore Vierge qu'à juste titre il a reçu cette génération qui est la récapitulation
d'Adam. Si le premier Adam a été pris de la terre et modelé par le Verbe de
Dieu, il fallait que ce même Verbe, effectuant en lui-même la récapitulation
d'Adam, possédât la similitude d'une génération identique. Mais alors,
objectera-t-on, pourquoi Dieu n'a-t-il pas pris de nouveau du limon et a-t-il
fait sortir de Marie l'ouvrage qu'il modelait?- Pour qu’il n'y eût pas un autre
ouvrage modelé et que ce ne fût pas un autre ouvrage qui fût sauvé, mais que
celui-là même fût récapitulé, du fait que serait sauvegardée la similitude en
question.
En connexion étroite avec le Christ, la Vierge Marie
tient nécessairement une place éminente dans le plan du salut.
Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi la Vierge Marie obéissante,
lorsqu'elle dit: «Voici ta servante, Seigneur; qu'il me soit fait selon ta
parole » Eve, au contraire, avait été désobéissante: elle avait désobéi, alors
qu'elle était encore vierge. Car, de même qu'Eve, ayant pour époux Adam, et
cependant encore vierge- car « ils étaient nus tous les deux» dans le paradis «
et n'en avaient point honte», parce que, créés peu auparavant, ils n'avaient
pas de notion de la procréation: il leur fallait d'abord grandir, et seulement
ensuite se multiplier-de même donc qu'Eve, en désobéissant, devint cause de
mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie, ayant pour
époux celui qui lui avait été destiné par avance, et cependant Vierge, devint,
en obéissant, cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain. C'est
pour cette raison que la Loi donne à celle qui est fiancée à un homme, bien
qu'elle soit encore vierge, le nom d'«épouse» de celui qui l'a prise pour fiancée,
signifiant de la sorte le retournement qui s'opère de Marie à Eve. Car ce qui a
été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud,
en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et
qu'inversement les secondes libèrent les premières: il se trouve de la sorte
qu'un premier lien est dénoué par un second et que le second tient lieu de
dénouement à l'égard du premier.
C'est pourquoi le Seigneur disait que les premiers seraient les derniers,
et les derniers les premiers. Le prophète, de son côté, indique la même chose,
en disant: «Au lieu de pères qu'ils étaient, ils sont devenus tes fils. Car le
Seigneur, en devenant le Premier né des morts et en recevant dans son sein les
anciens pères, les a fait renaître à la vie de Dieu, devenant lui même le
principe des vivants" parce que Adam était devenu le principe des morts.
C'est pourquoi aussi Luc a commencé sa généalogie par le Seigneur, pour la
faire remonter de celui-ci jusqu'à Adam indiquant par là que ce né sont pas les
pères qui ont donné la vie au Seigneur, mais lui au contraire qui les a fait
renaître dans l'Evangile de vie. Ainsi également le nœud de la désobéissance
d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait
lié par son incrédulité, la Vierge Marie l'a délié par sa foi.
En portant la Vie, Marie, Vierge et Mère, devient la
cause du don de la Vie dont elle est la première bénéficiaire; par elle, nouvelle
Eve collaborant à l'œuvre du nouvel Adam, la Vie divine circule à nouveau pour
tous les hommes.
"la Vie divine circule à nouveau pour tous les hommes". |
Si donc le Seigneur est venu d'une manière manifeste dans son propre
domaine; s'il a été porté par sa propre création, qu'il porte lui-même; s'il a
récapitulé, par son obéissance sur le bois, la désobéissance qui avait été
perpétrée par le bois; si cette séduction dont avait été misérablement victime
Eve; vierge en pouvoir de mari, a été dissipée par la bonne nouvelle de vérité
magnifiquement annoncée par l'ange à Marie, elle aussi vierge en pouvoir de
mari - car, de même que celle-là avait été séduite par le discours d'un ange,
de manière à se soustraire à Dieu en transgressant Sa Parole , de même celle-ci
fut instruite de la bonne nouvelle par le discours d'un ange, de manière à
porter Dieu en obéissant à Sa Parole et, de même que celle-là avait été séduite
de manière à désobéir à Dieu, de même celle-ci se laissa persuader d'obéir à
Dieu, afin que, de la vierge Eve, la Vierge Marie devînt l'avocate; et, de même
que le genre humain avait été assujetti à la mort par une vierge, il en fut
libéré par une Vierge, la désobéissance d'une vierge ayant été contrebalancée
par l'obéissance d'une Vierge...
A début du christianisme, une même façon de s'exprimer pouvait désigner et
l'Eglise et Marie, toutes deux Vierge et Mère; ainsi, de même que la Vierge
Marie a donné naissance au Verbe de Dieu, l'Eglise engendre à Dieu des fils
adoptifs.
Les prophètes ont prêché "l'Emmanuel né de la Vierge": par là ils
faisaient connaître l'union du Verbe de Dieu avec l'ouvrage par lui modelé, à
savoir que le Verbe se ferait chair, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme; que
lui, le pur, ouvrirait d'une manière pure le sein pur qui a régénéré les hommes
en Dieu et qu'il a lui-même fait pur; que s'étant fait cela même que nous
sommes, il n'en serait pas moins le «Dieu fort», Celui qui possède une
génération inexprimable.
Celte divinisation de l'homme n'était possible que par l'union du divin et de l'humain dans la Personne dit Verbe de Dieu fait chair, selon le dessein
bienveillant du Père. Il a sanctifié tous les âges par la ressemblance que nous
avons avec lui. C'est, en effet, tous les hommes qu'il est venu sauver par
lui-même , tous les hommes, dis-je, qui par lui renaissent en Dieu:
nouveau-nés, enfants, adolescents, jeunes hommes, hommes d'âge. C'est pourquoi
il est passé par tous les âges de la vie: en se faisant nouveau-né parmi les
nouveau-nés, il a sanctifié les nouveau-nés; en se faisant enfant parmi les
enfants, il a sanctifié ceux qui ont cet âge et est devenu en même temps pour
eux un modèle de piété, de justice et de soumission; en se faisant jeune homme
parmi les jeunes hommes, il est devenu un modèle pour les jeunes hommes et les
a sanctifiés pour le Seigneur. C'est de cette même manière qu'il s'est fait
aussi homme d'âge parmi les hommes d'âge, afin d'être en tout point le Maître
parfait, non seulement quant à l'exposé de la vérité, mais aussi quant à l'âge,
sanctifiant en même temps les hommes d'âge et devenant un modèle pour eux
aussi. Finalement il est descendu jusque dans la mort, pour être le Premier-né
d'entre les morts, celui qui a la primauté en tout, l'Initiateur de la vie, antérieur
à tous les hommes et les précédant tous.
Référence :
Les
Pères de la Gaule Chrétienne. Sœur Agnès Égron. (1996).