Un jour trois ascètes décidèrent de choisir chacun un mode de vie différent:
- Le premier choisit de faire la paix parmi ceux qui se battent.
- Le premier choisit de faire la paix parmi ceux qui se battent.
- Le deuxième se mit à visiter les
malades.
- Le troisième gagna le désert.
Peu de temps après, le premier, n’arrivant
pas à ses fins, vint, découragé, trouver le deuxième qui lui aussi, était à
bout.
Tous deux décidèrent alors de se rendre
auprès de celui qui avait opté pour l’hésychia au désert. Ils furent étonnés de
sa réussite et l’assaillent de questions. Ce dernier commence par se taire puis
il prit un vase, le remplit d’eau. « Regardez cette eau, leur dit-il, combien elle est
troublée. » Puis, après un bout de temps, il leur dit encore : « voyez
maintenant cette même eau et comment elle s’est reposée». Et là, comme dans un
miroir, ils virent distinctement leur visage. Il leur dit alors : « Il en est
de même par rapport à nous : lorsque nous vivons au milieu des hommes, nous ne
voyons pas nos défauts, alors qu’il en est tout autrement dans le désert. »
En ce temps de Carême, le récit que nous
venons de lire nous expose d’une façon magistrale le secret qui nous conduira
au grand mystère de Pâques.
« Pour voir notre péché, nous
précise-t-il, il nous faut faire l’expérience du désert… » Tout comme
Jean-Baptiste (Mc 1, 14), tout comme Jésus lui-même (Mc 1, 12), nous ne pouvons
rendre gloire à Dieu si nous ne nous mettons pas à l’écart (Mc 6, 1), afin de
nous reposer, dans le but de mieux nous affronter dans notre propre
face-à-face. Autrement dit, sans l’hésychia, nous ne pouvons pas nous connaître
véritablement. Le désert et l’hésychia, deux données incontournables pour toute
pratique orthodoxe de l’ascèse.
Le mot « hésychia » peut se traduire de
plusieurs façons. Tout d’abord, il signifie le calme, le repos qui apaise nos
mœurs troublées et nos passions par l’acquisition du silence intérieur, lequel
nous éloigne de nos soucis du passé et de nos vaines distractions. Ensuite, il
veut dire tranquillité, laquelle fait fi de nos mauvaises pensées et de nos
stériles bavardages, afin de nous rendre disponibles à la véritable
contemplation. Enfin, c’est aussi la capacité d’atteindre cet état de paix, qui
éloigne de nous tous les bruits nuisibles à nos âmes.
« Lorsque nous vivons au milieu des
hommes, nous ne voyons pas nos défauts…» Il nous faut donc par moments, bien
garder nos distances pour avoir accès à notre monde intérieur et pour entrer
aussi en communion avec les autres.
La merveille de l’homme ne peut se
saisir que dans le silence et le repos du cœur et non dans le brouhaha. Nous n’entrons réellement en contact avec tout notre être et de même avec celui des autres que lorsque « nous faisons en nous
hésychia.» Et ce, bien plus encore, quand il est question de notre relation
personnelle avec Dieu. C’est à cette seule condition qu’il nous sera possible
d’user avec le Seigneur du langage des Béatitudes, en dehors de toute pression,
de toute contrainte. Et lui, ainsi deviendra notre ami et notre
familier, nous confortant de la sorte dans notre intime conviction que nous
sommes vraiment ses enfants.
N’ayons donc pas peur de partir avec
fermeté à la recherche de ce lieu désert que nous désigne le carême.
Autrement dit (dans notre foyer, dans notre travail, à un
moment de détente…), prenons encore la peine de faire suffisamment halte dans
cette oasis spirituelle que nous suggèrent le jeûne et la prière pour nous
enivrer à satiété de la douce présence de Dieu.
Notre Église qualifie le Grand Carême qui
précède Pâques de « printemps de l’âme. » Puisse-t-il en être ainsi. Alors, à
l’instar de la femme de l’Apocalypse, le Seigneur se fera une joie de nous
préparer, au sortir de notre expérience quadragésimale du désert, une « place
où nous serons nourris mille deux cent soixante jours » (Ap, 12, 6). De sorte
que, pour paraphraser Évagre le Pontique, «quoique séparés de tout nous soyons unis
enfin à tout ; à la fois impassibles et d’une sensibilité souveraine ; déifiés
tout en nous estimant le rebut du monde et par-dessus tout heureux, divinement
heureux ! »
Note :Le Métropolite Stéphanos de Tallinn et de toute l'Estonie est, depuis son élection le 9 mars 1999, l'actuel primat de l'Église orthodoxe apostolique d'Estonie, placée sous la juridiction du Patriarcat de
Constantinople.
In Synaxe N° 43, 1er
trim 1998, P:24-25