Chronique du temps des persécutions Soviétiques.
L'époque était troublée. C'était l'année 1936, où l'on avait arrêté quantité de membres de notre communauté. Les autres se sentaient espionnés; distribuer du courrier n'était donc pas sans risques.
Natacha me raconta que, lors de son séjour chez le père Arsène, sa maison était clairement surveillée. La propriétaire ainsi que plusieurs voisins avaient été convoqués à la section du district et interrogés sur le père: qui accueillait-il, de qui recevait-il des lettres, célébrait-il à son domicile?. Puis elle ajouta: "Dans le train qui me ramenait à Moscou, j'avais constamment la sensation d'être surveillée.
J'étais dans un wagon sans compartiment. Plusieurs personnes étaient montées avec moi, mais mon attention a été immédiatement attirée par une femme qui ne cessait de passer et repasser dans la partie du wagon où j'étais. Pendant tout le trajet, je me suis demandée ce que j'allais faire des lettres en cas d'arrestation. Mais je n'ai rien trouvé d'autre que de m'en remettre aux paroles du père Arsène qui, en me bénissant pour la route, m'avait rut: "Le Seigneur est miséricordieux, Il vous protégera, Il sera à vos côtés, ne craignez rien!. Tout se passera bien!". Arrivée à Moscou, je sentis aussitôt que personne ne me suivait. Rassurée, je suis parvenue sans encombre à la maison. Ma nervosité était tombée et je me suis rut que mes appréhensions étaient vaines."
J'étais dans un wagon sans compartiment. Plusieurs personnes étaient montées avec moi, mais mon attention a été immédiatement attirée par une femme qui ne cessait de passer et repasser dans la partie du wagon où j'étais. Pendant tout le trajet, je me suis demandée ce que j'allais faire des lettres en cas d'arrestation. Mais je n'ai rien trouvé d'autre que de m'en remettre aux paroles du père Arsène qui, en me bénissant pour la route, m'avait rut: "Le Seigneur est miséricordieux, Il vous protégera, Il sera à vos côtés, ne craignez rien!. Tout se passera bien!". Arrivée à Moscou, je sentis aussitôt que personne ne me suivait. Rassurée, je suis parvenue sans encombre à la maison. Ma nervosité était tombée et je me suis rut que mes appréhensions étaient vaines."
Natacha me dit tout cela en me transmettant le paquet. Nous avons étalé les lettres sur la table et les avons réparties entre nous, suivant les personnes que nous connaissions. Je suis restée chez Natacha et nous avons discuté une bonne moitié de la nuit sur le père Arsène, sa vie et ses instructions.
Le lendemain, je sortis de chez elle vers 7 heures. C'était dimanche; il n'y avait pratiquement personne dans les rues. Je marchais tout heureuse et pleine d'entrain. La lettre que j'avais personnellement reçue du père Arsène m'avait réconfortée, rassurée; j'avais oublié mes petits problèmes.
Mais je n'ai pas fait cinquante mètres que je sens qu'on m'a emboîté le pas. Je me retourne: une femme. Je pense: "Elle me suit". Pour vérifier cette intuition, je presse le pas, tourne dans une ruelle, plonge dans une autre petite rue, mais la femme me suit toujours. Je commence à paniquer, mon cœur se serre, mes jambes flageolent, je ne sais plus quoi faire. J'ai ces lettres sur moi. Si on les trouve, je vais compromettre beaucoup de gens. Je vais jusqu'au bout du pâté de maisons, je tourne à nouveau et je traverse la rue. La femme est toujours là, cinquante à soixante-dix mètres derrière moi. Pas de doute: elle me suit. Je pense un moment me débarrasser des lettres et m'enfuir, mais je me dis qu'on va les retrouver. Et, moi, elle m'a vue sortir de chez Natacha.
Je reprends mes esprits, essaie de me contrôler et je commence à prier. De façon incohérente d'abord, puis d'une manière de plus en plus concentrée. Je m'efforce de marcher doucement. Peut-être est-ce présomptueux, mais je dis à la Mère de Dieu: "Très Sainte Mère!... Je t'implore et je compte seulement sur ton aide. Prends-moi sous ta protection, je me confie à Toi! Aide-moi!".
Je marche et je répète cette prière, me reposant sur la Mère de Dieu. Mon angoisse s'apaise, mon appréhension se dissipe; j'ai la certitude de n'être plus seule. La Mère de Dieu est en train de me garder; s'il arrive quelque chose, ce sera la volonté de Dieu. "Quoi qu'il arrive, tout dépend désormais de Toi, Mère de Dieu. Il en sera comme tu auras décidé".
Je marche avec détermination. Je ne crains plus rien, même si les talons de la femme claquent toujours derrière moi. Je ralentis et, comprenant l'impasse de ma situation, je me fie entièrement à La Mère de Dieu. Mon assurance et mon calme reviennent entièrement. Je vais ainsi priant, sans même savoir où je vais. Ma seule pensée, mon seul appel est vers la Mère de Dieu.
À ce moment-là, je sens qu'on me rattrape. J'atteins un carrefour, je prends une rue à droite, je fais un signe de croix et je vois soudain qu'une femme de mon âge marche à mes côtés. Elle est vêtue exactement comme moi: un petit foulard sur la tête, un manteau, un sac à main. Elle marche à mes côtés et se tourne vers moi. Son visage m'est étrangement familier, mais il rayonne d'une Lumière inhabituelle.
Je suis incapable de la regarder davantage, tant son visage est lumineux et beau. Nous marchons côte à côte, elle et moi. Je prie, je suis heureuse d'être avec cette merveilleuse Compagne, bien que j'ignore qui elle peut être et que les talons claquent toujours derrière nous. Au carrefour suivant, ma Compagne se tourne vers moi et me dit avec autorité: "Arrêtez-vous et ne bougez plus. Je vais marcher devant". Elle l'a dit sévèrement, mais son visage est plein de bonté et de lumière. Je m'arrête, tandis que ma Compagne va de l'avant. Par ses vêtements, sa taille, sa silhouette, elle est ma copie conforme. Je suis sidérée, mais je reste immobile. La femme qui me suit arrive à ma hauteur, me dévisage de la tête aux pieds, reste un moment à piétiner sur place, d'un air stupéfait, me contourne et se met à courir en direction de ma Compagne qui marche vivement devant. Elle m'a regardée d'un air furibond; son visage sombre exprimait la haine et donnait l'impression qu'elle en voulait au monde entier.
Je suis clouée sur place, incapable d'avancer. Je regarde cette Compagne - qui me ressemble tant - avancer, l'espionne à ses trousses. Au carrefour suivant, elles tournent toutes deux dans une rue et disparaissent. C'est alors que je reprends mes esprits et, toujours priant, je rebrousse chemin. Vers 14 heures, j'ai terminé la distribution du courrier.
Je n'arrête pas de me demander qui la Mère de Dieu m'a envoyé en aide. Qui cela pouvait-il bien être?. À l'évidence, ce fut une grâce, une aide immense.
Un an plus tard, je suis arrêtée et interrogée à plusieurs reprises. Le juge d'instruction veut savoir à tout prix qui était cette femme qui marchait à mes côtés et où nous avions disparu. On fait même comparaître l'espionne qui dit: "Camarade lieutenant, je l'avais prise en filature, mais elle faisait mille détours et se cachait après les coins de rue. Soudain, au coin de la rue Kazakov, j'ai vu quelqu'un s'arrêter. Je me suis approchée et voilà que j'ai vu double: deux personnes identiques, habillées pareil, avec le même foulard, les mêmes bottines, le même manteau, la même allure, la même façon de pencher la tête. Je n'arrivais plus à savoir laquelle j'avais pris en filature depuis la maison et laquelle était apparue au coin de la rue. L'une s'était arrêtée, l'autre s'en était allée. J'ai pris la décision de suivre celle qui était partie. Je l'ai suivie une dizaine de minutes et, en pleine rue, elle s'est volatilisée. Vous pouvez me croire, camarade lieutenant. Je vous l'ai dit hier, je le redis aujourd'hui, je suis formelle: elle a tout bonnement disparu. Interrogez-la pour qu'elle avoue comment elle s'y est prise. C'était comme un numéro de cirque".
Que pouvais-je bien répondre?. Le juge d'instruction hurlait. Il m'a même frappée. Je ne disais rien, je répondais: "Je ne sais rien", et je priais la Mère de Dieu sans m'arrêter. Puis j'en ai eu assez et j'ai répondu: "Je ne me suis pas cachée et je n'ai pas disparu, c'est la Mère de Dieu qui m'a sauvée, car je l'ai priée tout en marchant". L'officier éclata de rire, mais il cessa de me battre.
Les verdicts à l'époque étaient sévères. Mais, là aussi, la Mère de Dieu m'a aidée. Je m'en suis tirée avec un exil de trois ans à cent kilomètres de Moscou, ce qui était le châtiment minimal.
Qui la Mère de Dieu m'avait-elle envoyée en réponse à mon appel?. Était-elle venue en personne, menant ma suiveuse, ou avait-elle envoyé l'un de ses saints, voire mon ange gardien?. J'avais réellement vu cette merveilleuse Compagne, entendu sa voix; un rapport d'interrogatoire a même fixé tout ce que j'avais raconté.
Je n'ai revu le père Arsène qu'en 1958. Je lui ai tout raconté, en lui demandant de m'expliquer. Il m'a dit: "La Très Sainte Mère de Dieu que vous avez priée vous a octroyé une grande grâce, elle qui est notre protectrice et notre gardienne contre tous les périls et dangers. C'est un grand miracle qui vous a été accordé, mais aussi à moi, car en préservant les lettres, elle a évité à de nombreuses personnes d'être inquiétées, arrêtées, exilées ou internées.
"Gloire à Toi, Seigneur, gloire à Toi!. Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous!. Ne vous séparez jamais de l'icône de la Vierge de Kazan et priez le plus souvent possible devant elle".
Souvenirs de A. V. R.
Noté par O ... r.
Référence
Lhoest F., Arjakovsky-Klépinine H. et Lopoukhine M. & M., Père Arsène : Présence de Dieu au cœur de la souffrance, Les éditions du Cerf (Paris, France) & Sel de la Terre (Pully, Suisse).