La deuxième des grandes fêtes d'été est la Transfiguration de  Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous célébrons le 6 août. 
   Aux matines, nous entendons le récit de la Transfiguration dans l'évangile  selon Saint Luc (9 :28-36). A la liturgie, nous entendons ce même récit dans  l'évangile selon Saint Matthieu (17:1-9). L'épître lue à la  liturgie est la deuxième écrite par Pierre (1:10-19) : celui-ci était, avec  Jacques et Jean, un des trois témoins oculaires de la Transfiguration. Aussi  trouverons-nous particulièrement émouvant le rappel qu'il fait de ce mystère :  «… nous fûmes témoins oculaires de sa majesté... Lorsque la gloire pleine de  majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien-aimé… Cette  voix, nous, nous l'avons entendue; elle venait du ciel, nous étions avec lui  sur la montagne sainte ... ». La parole prophétique, semblable à la lumière de  la Transfiguration, «brille dans un lieu obscur», dit Pierre, «jusqu'à ce que  le jour commence à poindre et que l'astre du matin se lève dans vos cœurs».
   Essayons maintenant de considérer quelques  aspects du récit évangélique de la Transfiguration. Jésus prend avec lui ses  trois plus intimes disciples. Dieu se manifeste parfois aux pécheurs d'une  manière extraordinaire. Mais, en général, le privilège de contempler Dieu et  d'entrer dans la joie de la Transfiguration est réservé à ceux qui ont suivi  longtemps et fidèlement le Maître.  
   Jésus conduit ses disciples sur une haute montagne.  Avant d'atteindre à la lumière de la Transfiguration, les ascensions pénibles  de l'ascèse sont nécessaires. L'aspect habituel de Jésus est changé. Sa face resplendit  «comme le soleil». Son vêtement devient «d'une blancheur fulgurante». C'est en  ceci que consiste la Transfiguration. Ce Jésus que les disciples connaissaient  bien et dont l'aspect, dans la vie quotidienne, ne différait pas de celui des  autres leur apparaît soudain sous une forme nouvelle et glorieuse. Une  expérience semblable peut se produire, dans notre vie intérieure, de trois  manières. Parfois notre image intérieure de Jésus devient (aux yeux de notre  âme) si lumineuse, si resplendissante, qu'il nous semble vraiment voir la  gloire de Dieu sur sa face : la beauté divine du Christ devient en quelque  sorte pour nous un objet d'expérience. Parfois aussi nous éprouvons d'une façon  intense que la lumière intérieure, cette lumière donnée à tout homme venant en  ce monde pour guider sa pensée et son action, s'identifie à la personne de Jésus-Christ: la puissance de la loi morale se fond avec  la personne du Fils, l'attrait du sacrifice nous fait entrevoir le Sauveur  sacrifié et entendre son appel. Parfois enfin nous devenons conscients de la  présence de Jésus dans tel homme ou dans telle femme que Dieu a mis sur notre route,  surtout quand il nous est donné de nous pencher avec compassion sur leurs  souffrances : cet homme ou cette femme se transfigure en Jésus-Christ, sous les  yeux de la foi. On pourrait, de ce dernier fait, dégager une méthode précise de  spiritualité, une méthode de transfiguration applicable à tous, partout et  toujours. 
   Auprès de Jésus apparaissent Moïse et Elie.  Moïse représente la loi. Elie représente les prophètes. Jésus est  l'accomplissement de toute loi et de toute prophétie. Il est le terme final de  toute l'Ancienne Alliance. Il est la plénitude de toute la révélation divine. 
   Moïse et Elie s'entretiennent avec Jésus de sa  Passion prochaine. Cet aspect de la Transfiguration n'est, en général, pas assez  remarqué. On ne peut pas, dans la vie de Jésus, séparer les mystères glorieux  des mystères douloureux. C'est au moment où Jésus se prépare à sa Passion qu'il  est transfiguré. Nous n'entrerons dans la joie de la Transfiguration que si,  dans notre propre vie, nous acceptons la croix. 
   Pierre voudrait se fixer dans la béatitude de  la Transfiguration. Il suggère à Jésus la construction de trois tentes. Ainsi  un fidèle, au début de sa vie spirituelle, désire prolonger les «consolations»,  les moments de douceur intime. Jésus laisse sans réponse la suggestion de  Pierre. Ni aux premiers disciples ni à nous-mêmes il n'est permis de se  soustraire aux durs travaux de la plaine et de 's'établir dès maintenant dans  une paix qui n'appartient qu'à la vie future. 
   La nuée lumineuse de la Présence divine couvre  le sommet de la montagne. Du milieu de la nuée, une voix se fait entendre :  «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, mon Elu, écoutez-le». Les mêmes paroles, ou  presque, avaient déjà été prononcées par la même voix, lors du baptême de  Jésus. Elles donnent à la scène de la Transfiguration tout son sens. Pourquoi  Jésus change-t-il d'aspect?. Pourquoi s'enveloppe-t-il de lumière?. Ce n'est  pas pour offrir aux apôtres un spectacle Impressionnant et réconfortant. C'est  pour traduire à l'extérieur le témoignage solennel que le Père rend à son Fils.  Et le Père lui-même donne une conclusion pratique à la vision : «Ecoutez-le».  Une grâce extraordinaire ne produit son effet que si elle nous rend plus  attentifs et plus obéissants à la Parole divine. 
   Les disciples sont terrassés d'effroi. Jésus  les touche et les rassure. «Et, eux, levant les yeux, ne virent plus personne  que lui, Jésus, seul». Nous pouvons trouver à cette phrase des sens divers,  également vrais. D'une part, la condition normale du disciple de Jésus, en ce monde,  est de s'attacher à la personne de Jésus sans que celle-ci revête les  attributs extérieurs de la gloire divine; le disciple doit voir «Jésus, seul»,  Jésus dans son humilité; si, à de rares moments, son image nous semble  enveloppée de lumière, et si nous croyons entendre la voix du Père désignant le  Fils à notre affection, ces éclairs ne durent pas; et nous devons aussitôt  retrouver Jésus là où il se trouve habituellement, au milieu de nos humbles et  parfois difficiles devoirs quotidiens. Voir «Jésus, seul», cela signifie encore:  concentrer sur Jésus seul notre attention et notre regard, ne point nous  laisser distraire par les choses du monde ni par les hommes et les femmes que  nous rencontrons, bref, rendre Jésus suprême et unique dans notre vie. Est-ce à  dire qu'il faille fermer les yeux au monde qui nous entoure et qui souvent a  besoin de nous?. Quelques-uns sont appelés à rester absolument seuls avec le  Maître: qu'ils soient fidèles à cette vocation. Mais la plupart des disciples  de Jésus, vivant au milieu du monde, peuvent donner aux mots «Jésus, seul»  encore une autre interprétation sans renoncer à un contact reconnaissant avec  les choses créées, à un contact aimant et dévoué avec les hommes, ils peuvent  atteindre un degré de foi et de charité où Jésus deviendra transparent à  travers les hommes et les choses; toute beauté naturelle, toute beauté humaine  deviendront la frange de la beauté même du Christ; nous verrons son reflet dans  tout ce qui, en d'autres, attire et mérite notre sympathie; bref, nous aurons «transfiguré»  le monde, et, dans tous ceux sur lesquels nous ouvrirons les yeux, nous  trouverons «Jésus seul». 
   Le mystère de la Transfiguration a encore un  autre aspect que les textes scripturaires de la fête n'indiquent pas  clairement, mais que les chants liturgiques soulignent. «Pour montrer la  transformation de la nature humaine lors de ton Second et redoutable  Avènement... Sauveur tu t'es transfiguré ... Ô toi qui as sanctifié tout  l'univers par ta lumière… ». Ces paroles, que nous chantons à matines, font  allusion au caractère cosmique et eschatologique de la Transfiguration. La  nature entière - qui maintenant subit les conséquences du péché, cause du mal physique  - sera affranchie, renouvelée, lorsque le Christ reviendra glorieusement, à la  fin des temps. Cette transformation du monde est proposée à notre croyance, à  notre espoir, à notre attente. Il faut se garder toutefois d'exagérer cet  aspect de la Transfiguration au détriment des autres. Les évangiles nous  montrent que le sens premier, fondamental, de la Transfiguration concerne la personne  même de Notre-Seigneur, que son Père glorifie avant de le laisser aller à la  Passion. Les effusions envers le mystère de la transfiguration de la «terre» ne  doivent pas voiler cette vérité : à savoir que la Transfiguration est d'abord,  avant tout, la Transfiguration du Fils bien-aimé. 
   Enfin la Transfiguration est aussi une  révélation du Père et de l'Esprit. Elle soulève le voile qui recouvre pour  nous, en cette vie terrestre, la vie intime des trois personnes divines. Disons  avec toute l'Eglise, dans la neuvième ode des matines : «Tenons-nous  spirituellement dans la cité du Dieu vivant et considérons avec admiration la divinité  immatérielle du Père et de l'Esprit resplendissant dans le Fils unique». 
Référence:
Un Moine de L’Eglise d’Orient (1972), L’An de Grâce du Seigneur, Edition  An-Nour, Beyrouth, Liban. 
 
