Saint Pierre Damascène (9 Février).
Le principe de tout bien est la connaissance naturelle qui nous est donnée par Dieu lui-même, ou par les Écritures à travers un homme, ou à travers un ange; ou bien également ce qui nous est donné par le baptême divin pour la garde de l'âme de chaque fidèle, ce que nous appelons aussi la conscience, le souvenir des divins commandements du Christ. C'est par eux, s'il veut les observer, que le baptisé garde la grâce du Saint-Esprit. Après la connaissance vient en effet la libre décision de l'homme. Celle-ci est le principe du salut : l'homme abandonne ses volontés et ses pensées propres, et accomplit les pensées et les volontés de Dieu. Et s'il pouvait les accomplir, il ne se trouverait dans toute la création aucune chose, aucun geste, aucun lieu capables d'empêcher ce que Dieu a voulu qu'il soit dès le commencement: un être à son image et à sa ressemblance, et un Dieu par adoption, selon la grâce, impassible, juste, bon et sage, qu'il soit riche ou pauvre, qu'il vive dans la virginité ou le mariage, qu'il ait le pouvoir et la liberté, qu'il soit assujetti et esclave, bref en tout temps, en tout lieu, en toute chose. C'est pourquoi on trouve nombre de justes autant avant la loi et sous la loi que dans l'ordre de la grâce. Car tous ont préféré la connaissance de Dieu et sa volonté, à leurs propres pensées et leurs propres vouloirs. Réciproquement nous voyons qu'aux mêmes époques, engagés dans les mêmes gestes, beaucoup se sont perdus. Car ils préférèrent leurs propres pensées et leurs propres vouloirs à ceux de Dieu.
Telles sont les choses. Les lieux et les recherches sont pourtant différents. Et on doit pouvoir discerner, soit par l'humilité donnée de Dieu, soit en interrogeant ceux qui ont les charismes du discernement. Car sans le discernement, aucune des choses qui nous arrivent n'est bonne, même si dans notre ignorance nous croyons qu'elle l'est. Mais quand on a appris du discernement ce que l'on veut faire de sa propre puissance, la chose commence à plaire à Dieu.
Cependant, nous l'avons dit, on doit renoncer en tout à ses propres volontés, afin d'atteindre le but divin, là où Dieu veut qu'on aille quand on cherche. Sinon, on ne peut être sauvé en rien. Car depuis la transgression d'Adam, nous tous, les passionnés, sommes élevés dans l 'habitude des passions, nous ne voulons pas le bien avec joie, nous ne recherchons pas la connaissance de Dieu, et nous ne faisons pas cela par amour, comme les impassibles. Mais nous aimons plutôt les passions et la malice, nous ne voulons pas fondamentalement le bien, sinon par nécessité, par crainte des châtiments. Seuls le veulent ceux qui, avec une foi sûre et une bonne disposition, reçoivent la parole. Quant à nous autres, ce n'est pas ainsi que nous voulons. Mais sans considérer les afflictions de la vie et les châtiments à venir, nous sommes asservis de toute notre âme aux passions. Certains ne sentent même pas leur amertume. Ils recherchent par nécessité, et malgré eux, les peines des vertus. Et, dans notre ignorance, nous désirons ce qui est digne d'aversion. Car de même que les malades se servent des ablations et des cautérisations pour recouvrer la santé qu'ils avaient perdue, de même nous nous servons des tentations, des peines du repentir, de la crainte de la mort et des châtiments pour rétablir l'ancienne santé de notre âme et rejeter la maladie que notre folie avait provoquée. Et davantage encore; plus le médecin de nos âmes nous donne de peines, que nous les voulions ou non, plus nous devons lui rendre grâce pour son amour de l'homme, et les recevoir avec joie. C'est en effet pour notre bien qu'Il a multiplié les choses douloureuses qu'il nous faut porter volontairement par le repentir, ou malgré nous dans les tentations et les tourments, afin que ceux qui d'eux-mêmes veulent vivre dans l'affliction soient délivrés de la maladie et des châtiments futurs et peut-être même des châtiments présents, et que ceux qui sont dans l'ignorance puissent être guéris par la grâce du médecin, serait-ce à travers les tourments et la multiplicité des tentations. Mais ceux qui aiment la maladie et demeurent en elle, attirent justement sur eux-mêmes les châtiments éternels. Ils ressemblent aux démons et recevront avec eux ce qui leur est dû, les châtiments éternels qui leur sont préparés, dans la mesure où, avec eux, ils ont voulu ignorer le Bienfaiteur.
Car tous nous n'accueillons pas les bienfaits de la même manière. Si nous recevons le feu du Seigneur - sa parole -, les uns par le travail, deviennent dans leur cœur tendres comme la cire, mais les autres, par l'inertie, nous nous durcissons plutôt comme l'argile, et nous faisons de nous des pierres. De même, si nous ne la recevons pas, la parole ne force aucun d'entre nous. Mais elle est comme le soleil qui envoie ses rayons et éclaire le monde entier. Celui qui veut le voir est vu de lui. Mais celui qui ne veut pas le voir n'est pas contraint. Nul n'est privé de la lumière sinon par lui-même, s'il ne veut pas l'avoir. Car Dieu a fait le soleil et l'œil. Et l'homme a le pouvoir de contempler.
Il en va de même ici. Dieu envoie sur tous, comme des rayons, la lumière des connaissances. Et après la connaissance, il a donné l'œil de la foi. Celui qui choisit de recevoir par la foi la connaissance certaine, en garde la mémoire par les œuvres. Et Dieu lui donne toujours davantage de bonne volonté, de connaissance et de force. De la connaissance naturelle, en celui qui la choisit, naît en effet la bonne volonté. De la bonne volonté vient la force d'agir. Par l'action se garde la mémoire. Et la mémoire engendre toujours davantage d'action, d'où une plus grande connaissance. De cette sagesse de l'intelligence, comme on l'appelle, naissent la tempérance dans les passions et la patience dans les malheurs, d'où viennent la consécration à Dieu et l'expérience des dons divins et de nos propres fautes, d'où la gratitude, d'où la crainte de Dieu, qui porte à l'observance des commandements, je veux dire au deuil, à la douceur, à l'humilité, d'où naît le discernement, duquel vient la clairvoyance, qui nous fait prévoir nos fautes futures et nous retranche d'elles avant le temps grâce à l'expérience et à la mémoire que la pureté de l'intelligence nous donne des choses du passé et des choses présentes qui surviennent par surprise. D'où l'espérance, d'où l'impassibilité et l'amour parfait.
Dès lors un tel homme ne veut absolument rien que la volonté de Dieu. Cette vie passagère, il l'abandonne avec joie pour l'amour de Dieu et du prochain. Car il reçoit la sagesse et l'adoption. Et le Saint-Esprit demeure en lui. Il est crucifié, enseveli, ressuscité, élevé avec le Christ qu'il imite en son intelligence, à même la vie qu'il mène dans le monde. En un mot la grâce fait de lui un Dieu par adoption. Il reçoit les arrhes de la béatitude de l'au-delà, comme dit Grégoire le Théologien.
Référence :
Clément O. (1995), La Philocalie : Les écrits fondamentaux des pères du Désert aux pères de l’Église (IV – XIV siècle) – Tome Second, Desclée de Brouwer, J.-C. Lattès, Paris, France.