Saturday, February 13, 2016

Brièvement, Comment acquérir les vertus
et s’abstenir des passions.

Saint Pierre Damascène (9 Février).


   Rien, dit le grand Basile, n'enténèbre la réflexion autant que la malice. Et rien n'éclaire l'intelligence autant que la lecture dans l'hèsychia. Rien ne réduit la peine de l'âme autant que la pensée de la mort. Rien ne fait secrètement avancer l'âme comme le blâme de soi-même et le rejet des volontés propres. Rien ne mène secrètement à notre perte comme la pré­somption et la suffisance. Rien n'écarte autant de Dieu et de l'instruction de l'homme que les murmures de révolte. Rien ne facilite autant le péché que la confusion et le bavardage.
   Il n'est pas de voie plus courte pour acquérir la vertu que la solitude et le recueillement. Rien ne nous porte à la reconnaissance et à l'action de grâce autant que la méditation des dons de Dieu et de nos propres maux. Rien n'accroît en nous les bienfaits comme la louange de ces dons. Rien autant que les tentations ne contribue habituellement au salut sans que nous le vou­lions. Aucune voie vers le Christ, vers l'impassibilité et la sagesse de l'Esprit, n'est plus courte que la voie royale qui en tout éloigne des excès et des manques. Aucune autre vertu ne peut comprendre la volonté divine autant que l'humilité, l'abandon de toute pensée et de toute volonté propre. Rien ne concourt davantage à toute œuvre bonne que la prière pure. Rien n'empêche d'acquérir les vertus comme la distraction et l'enflure de la réflexion, si petites soient-elles. Plus on a de pureté, plus on risque de faillir en tout ce qu'on voit. Et plus on tombe dans les fautes, plus on est dans les ténèbres, quand bien même on paraîtrait pur.
   Et encore: Plus on a de connaissance, plus on se voit ignorant. Mais plus quelqu'un ignore sa propre ignorance, et combien est partielle sa connaissance spirituelle, plus il croit connaître. Plus celui qui combat supporte de tourments, plus il vaincra l'ennemi. Plus quelqu'un s'efforce de faire un jour quelque chose de bon, plus il se sent redevable tous les jours de sa vie, dit saint Marc. C'est dire que la puissance et l'intention de l'œuvre lui appartiennent, mais que la grâce vient de Dieu. C'est quand il a reçu la grâce qu'un tel homme a pu faire œuvre bonne. De quoi aurait-il à se glorifier, sinon par présomption, en pensant qu'il a pu de lui-même faire quelque chose de bon, et en condamnant injustement ceux qui n'ont pu faire la même chose?. Car celui qui exige quelque chose de son prochain doit bien plutôt, et plus justement, l'exiger de lui-même. Et de même que les pécheurs doivent craindre parce qu'ils ont provoqué la colère de Dieu, de même ceux qui à travers leur faiblesse et leur penchant au désespoir ont été couverts par sa grâce, doivent trembler bien davantage, car ils sont profondément redevables. Si ce gouffre -l'ignorance des Écritures - est grand, dit Saint Épiphane, plus grand encore est ce mal -la transgression consciente - et plus grand est dans l'âme le bienfait qui vient de la parole ou de la prière.
   Quand un homme souffre du fait de son prochain, il prie pour lui, afin que celui qui lui fait tort ne soit pas affligé, et que sa volonté se repose alors qu'il est dans le trouble, dit Saint Dorothée, il a pitié de son âme, il porte sa charge, et il désire son salut et toute autre chose bonne à son corps et à son âme. Telle est la pure ignorance du mal, qui purifie l'âme et l'élève vers Dieu. Car les soins qu'on donne à l'homme sont meilleurs que toute œuvre et que toute vertu. Aucune vertu n'est plus grande ni plus parfaite que l'amour du prochain. Le signe de cet amour est non seulement de ne rien avoir dont un autre ait besoin, mais de souffrir pour lui la mort avec joie. Tel est le commandement du Seigneur. Et il nous faut justement le considérer comme un devoir. Car nous devons non seulement aimer le prochain jusqu'à la mort, comme le veut la nature, mais aussi aimer le sang très précieux qu'a versé pour nous le Christ, qui nous a ordonné un tel amour.
   Ne sois pas toi-même le but de ton amour, dit Saint Maxime, et tu aimeras Dieu. Ne te complais pas à toi-même, et tu aimeras les frères. Car l'amour vient de l'espérance. Et l'espérance est là: croire fermement, de toute son intelligence, que tout arrivera comme on l'espère. L'espérance naît donc elle-même de la foi certaine: on n'a aucun souci de sa propre vie ou de sa mort, mais on remet à Dieu tout souci, ainsi qu'il a été dit de celui qui veut découvrir l'impassibilité des signes, dont la foi est le fondement. Celui qui a cette foi doit toujours considérer ceci : de même que Dieu a créé toutes choses, et avec toutes choses nous a créés de rien dans son extrême bonté, de même il dirigera de toute manière l'âme et le corps comme il le sait.

Référence :
Clément O. (1995), La Philocalie : Les écrits fondamentaux des pères du Désert aux pères de l’Église (IV – XIV siècle) – Tome Second, Desclée de Brouwer, J.-C. Lattès, Paris, France.