Saturday, January 21, 2023

La Paternité Céleste.
Saint Sophrony l'Athonite.

         

Saint Sophrony avec son fils spirituel
Père Seraphin.

     La soif de Dieu, la Lumière qui procède de Lui, sa force agissant en nous, comment les représenter? Je reconnais mon incapacité d'écrire. En fait, je n'évite pas de répéter sans cesse, pour ainsi dire, la même chose. Soit je tombe dans des détails superflus et lassants, soit je suis trop sommaire.

        Plus d'une fois, ma prière - si je puis nommer ainsi ce qui m'arrivait - devint téméraire au-delà de tout ce qui est admissible. Continuant de voir régner dans le monde entier le cauchemar des violences infligées à «leurs frères» par les maîtres et les princes de la terre (voir Mt 23, 8), je disais dans l'amertume de mon cœur: «Puisque tu as créé tout ce qui existe, et que sans toi rien n'est venu à l'être (voir Jn 1, 3), ce ne sont pas tous ces infâmes criminels - capables de verser le sang de millions d'hommes sur toute la terre afin de pouvoir jouir pendant quelques jours du plaisir pervers de régner sur de pauvres souffre-douleur - qui méritent d'être jugés responsables... C'est toi seul, le Créateur de tout, qui es coupable de l'immense détresse de la terre...» Cette tentation était écrasante. Je me trouvais à la frontière du désespoir et, pour ainsi dire, de la folie. Du mauvais désespoir: aucune issue n'était en vue. Et, de nouveau, le Seigneur me visita. Sa paix toucha mon cœur et ma pensée suivit un autre cours: «Le Père a envoyé son Fils pour sauver le monde et ils L'ont tué. Mais Il est ressuscité en triomphant de la mort et désormais, en tant que Roi éternel, "Il jugera les peuples avec droiture"» (Ps 9, 9 - voir He 10, 31).

        Que conclure ? Ce n'est pas dans les limites de la terre que l'on peut résoudre le problème du bien et du mal. Ceux qui sont allés à l'abattoir comme des agneaux, «sans résister au mal» (voir Mt 5, 39 ; Is 5 3, 7), seront semblables au Fils du Père et ressusciteront avec Lui dans une gloire impérissable (voir Col 3, 164).

Malheur à moi, j'avais une deuxième fois lutté avec Dieu dans la même perspective! Il m'a fallu le reste de ma vie pour trouver une réponse catégorique à la question qui, par la suite, devait devenir cruciale pour tout le christianisme: comment réagir aux persécutions exercées par le Prince (les grands) de ce monde ? Le Seigneur nous a donné la grâce de saisir sa manière de penser: au jardin de Gethsémani, l'apôtre Pierre se conduisit «d'une manière tout humaine» (voir Mt 16, 22-23), mais le Christ lui dit: «Rentre le glaive dans le fourreau. La coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jn 18, 10-11).

        Telle fut pour moi la voie par laquelle je recevais, directement, une «information » d'en haut pour la prière. C'est ainsi que se révéla à moi le sens de l'épître aux Ephésiens (voir chapitre 3) sur la profondeur, la largeur et la hauteur du dessein de Dieu à notre égard. Notre vie terrestre n'est en réalité guère plus qu'un bref instant donné par notre Père de bonté pour que nous pénétrions dans l'amour kénotique du Christ, amour qui dépasse toute intelligence. Hors de cette voie, personne ne pourra «être rempli de toute la plénitude de Dieu» (voir Ep 3, 19). Ici-bas, nous sommes suspendus à des croix, fussent-elles encore invisibles ; mais ce n'est que de cette manière que nous pouvons appréhender la grandeur de l'homme et l'insondable abîme de l'Être divin. Le langage humain est incapable d'exprimer la richesse que le Père nous envoie par la voie de la croix.

        Dieu est indivisible. Lorsqu'Il vient, Il vient tout entier, tel qu'Il est dans son Être éternel. Nous ne Le contenons pas. Il s'ouvre à nous à l'«endroit» où nous frappons: «Frappez et l'on vous ouvrira» (Lc 11, 9). Il dit une brève phrase, mais la vie entière ne suffit pas pour en épuiser le contenu. Nous sentons avec piété sa paternité. Nous voyons qu'Il a soif de nous communiquer sa vie éternelle, de nous rendre semblables à son Fils «sceau de la fidèle empreinte du Père» -jusqu'à la perfection. Son dessein sur nous est inconcevable: du «néant», Il crée des dieux qui sont ses égaux. Tout notre être se prosterne devant Lui dans un sentiment d'humble attendrissement du cœur, non avec crainte comme devant un maître impitoyable, mais avec l'humble amour pour un Père.

 

 

 

 

         Référence :

        La prière expérience de l’éternité. Archimandrite Sophrony(Sacharov). Cerf, collection Le sel de la terre. Spiritualité , (novembre 1998).