Saturday, December 11, 2021

le Christ est l’issue à TOUTE situation.!!.
Saint Sophrony l’Athonite.

       

Saint Sophrony l'Athonite.
       La joie et l'inquiétude vont de pair en ce monde. Voici déjà 35 ans que j'ai commencé mon service spirituel. Depuis lors, toute ma vie a basculé. Au début de mon éloignement du monde je me suis occupé presque exclusivement de moi-même. Il me semble que c'est parfaitement juste et naturel. C'est pareil quand on sert dans le monde: il faut étudier soi-même avant d'enseigner. Mais, comme vous le savez, mon service est de nature particulière: il exige que mon cœur se transporte à l'intérieur du pénitent ; et peut -être aussi, à l'inverse, que j'accueille le pénitent dans mon cœur. Il me faut vivre toutes sortes de drames, de maladies, de doutes, de souffrances; les joies sont rares. Je constate qu'au début j'étais plus capable de m'ouvrir rapidement aux autres. Maintenant, ce n'est plus la même chose : dans ma vieillesse, je sens fréquemment un certain épuisement de la force «émotionnelle» de mon cœur. L'accroissement de l'expérience spirituelle ne compense que partiellement cette perte. Ce mouvement d'amour, chaque être humain le perçoit comme un flux de forces vivifiantes; j'ai maintes fois remarqué qu'une compassion sincère à l'égard de quelqu'un qui souffre, qui est au bord du désespoir complet, s'avère à elle seule une force salvatrice. La lourde chape de désespérance disparaît pour un certain temps, l'âme revit et redevient capable de lutter.

Ma vie en Europe s'organise de façon inattendue et dépasse tous mes projets. Où que j'aille, des gens se réunissent autour de moi. Je suis arrivé avec un petit nombre de moines dans un trou perdu de campagne ; nous nous sommes installés, ignorés de tous, dans une maison abandonnée depuis longtemps. Au bout de trois ans les gens nous ont découverts et leur flot ne s'arrête plus. Ils viennent de tous les pays d'Europe, surtout, bien sûr, des plus proches; mais il y en a aussi beaucoup qui viennent de loin. Et voilà, je suis au bout de mes forces. Surtout parce que dans la plupart des cas je dois faire face à des problèmes pratiques insolubles. Les gens sont devenus si compliqués, psychologiquement parlant, que chacun est comme un nœud de contradictions inextricables. L'atmosphère spirituelle s'est appauvrie dans le monde entier et les gens n'ont pas où s'adresser pour demander de l'aide. La multiplication des relations sociales conduit étrangement à la raréfaction des contacts humains. La vie se dépersonnalise. Et dans l'Église, la relation avec le confesseur, si féconde auparavant, s'est appauvrie à mesure que les masses se détournent de l'Église. Perdre la foi en la Résurrection, c'est se condamner soi-même à mort. C'est pour cela que les gens ont l'impression que venir au monde est une absurdité. Indépendamment de tout ordre social, par la nature même de l'homme déchu, le tragique de la condition humaine ne peut être écarté.

Même l'amour entre les gens n'a qu'un temps et n'est pas toujours harmonieux. Une longue entente est rare. Et de nos jours, alors que la vie sociale distille un ennui mortel, alors que les époux peuvent ne pas dépendre matériellement l'un de l'autre, les mariages se défont trop souvent et trop vite. Ce sont les enfants qui en souffrent le plus. Ceci n'est que la partie la plus infime de ce que j'ai l'occasion de rencontrer. Les gens ignorent tellement comment se comporter, comment vivre, que la plupart d'entre eux sont dans un état de désespoir muet. Vous savez qu'il existe une issue à TOUTE situation: c'est le Christ"; mais la volonté des gens est paralysée par les passions terrestres, et cette issue universelle et salutaire (qui cependant est indissociablement liée à la lutte contre soi-­même, c'est-à-dire contre ses passions) est refusée dans la majorité des cas. « Venant d'au-delà des passions terrestres / Cette parole est sans écho» (comme dit Baratynski sur la mort de Pouchkine ).

À côté de tout ce qui arrive dans la vie privée, le monde connaît depuis le début du xx- siècle une période de guerres incessantes, grandes et petites. Partout, lès lendemains sont incertains. On sait que le grand froid tue toute vie aussi sûrement que le feu. Et les guerres ont pris ce double caractère : pour faire la guerre, on combat avec le feu quand c'est possible; quand c'est un peu plus grave, on se sert du froid. Mais c'est la même haine, démultipliée, qui a refroidi l'amour. Mon destin, c'est de prier pour la paix, pour la paix du monde entier. Je sais que la force de la prière peut arrêter les impudents, quoique pas jusqu'au bout. Mais si la prière de l'amour cesse, alors nulle culture, nulle science ne peuvent empêcher l'explosion.

Il ne convient pas à un chrétien de tomber dans le pessimisme. Mais cela veut dire que l'optimisme aussi devient déplacé. Le combat de l'esprit avec la mort continue. C'est notre lot dans la vie. Vous savez par expérience que la création du moindre foyer de vie demande beaucoup d'exploits spirituels et de persévérance. Et si nous ne désespérons pas, la victoire est à nous. Vous avez cette arme, « l'arme invincible de la paix ». Que Dieu vous accorde la force spirituelle pour accomplir dignement cet exploit qui est un privilège si rare à l'heure actuelle. Dans tous les cas: petits et grands, familiaux ou à l'échelle mondiale. Il ne nous est pas toujours possible de voir les résultats escomptés dans les limites de la Terre, mais il y aura des résultats, c'est sûr, dans le développement cosmique de l'existence du monde créé. C'est de là que nous tirons notre énergie intarissable pour la prière : la prière de l'esprit, si le corps s'affaiblit.

Mon conseil fraternel : ne désespérez pas, même dans les situations désespérées. La douleur de l'âme est inévitable, mais c'est de cette douleur que naît la force de la prière. Les soupirs venus des profondeurs atteindront les hauteurs de l'éternité. La Résurrection est un fait de l'existence. La chose la plus précieuse au monde, c'est la personnalité humaine. Si un atome d'hydrogène vit éternellement, comment la personne - ce miracle, cette splendeur - pourrait-elle mourir? La vie est puissante en bas de l'échelle de la création - elle l'est encore plus en haut.

 

 

 

Référence:

Lettres à des amis proches. Archimandrite Sophrony. Cerf(2013).