Saturday, April 18, 2020

S’unir à Celui Qui est lumière.
Saint Sophrony l’Athonite.


Saint Sophrony
 l'Athonite.
Bien des fois, j'ai été désespéré par mon incapacité de demeurer constamment dans l'esprit des commandements du Christ. Durant ces heures amères, je pensais : «Le Seigneur a dit qu'Il n'était pas de ce monde (voir Jn 8, 23). Il est descendu du ciel (voir Jn 3, 13). Mais moi, justement, je suis entièrement de ce monde, de cette terre que je foule de mes pieds. Lui, "étant aux cieux", ne s'est pas séparé du Père lorsqu'Il vivait avec nous. Comment donc serait-il possible que je sois là où Il est? Il est saint, alors que moi je ne puis m'arracher du "corps" de l'Adam universel qui, dans sa chute, changea ce monde en enfer, " le plongea dans le mal " (voir 1 jn 5, 19) où, moi aussi, je gis maintenant avec lui.»
Que signifie «ne pas être de ce monde» ? Rien d'autre que «naître d'en haut». Je ne voyais pas de terme à mon malheur. Renoncer à chercher l'union avec Lui, impossible ! Me condamner à être séparé de sa Lumière, ce serait un enfer qui me remplit d'horreur. Malheur à moi qui suis né dans le péché! Qui me sauvera des ténèbres extérieures? Qui transfigurera ma nature de manière qu'elle devienne capable d'être inséparablement unie à Celui qui est Lumière et en qui il n'y a nulles ténèbres?
 J'ai été conçu dans le péché. J'ai reçu un héritage incroyablement lourd: la chute d’Adam. Une chute aggravée au cours des siècles par ses fils. Une chute à laquelle j'ajoute, moi aussi, chaque jour quelque chose. Je me lamente de me voir ainsi. Et lorsque mes lamentations m'épuisent, me conduisent au seuil de la mort et que, sans secours, je suis suspendu au-dessus d'un abîme de ténèbres, alors, d'une manière inexplicable, un léger souffle d'amour vient d'un autre monde, accompagné de la Lumière. Assurément, c'est une naissance d'en haut; pas encore totale, mais quand même une délivrance du sombre pouvoir de la mort, l'aube de l'immortalité. Certes, une longue ascèse nous attend encore afin que le don de Dieu se développe en nous. Et lorsque ce don merveilleux commence à mûrir et que, par son parfum, il pénètre les pores de notre «corps de péché» (Rm 6, 6), la crainte de la mort nous quitte, et nous nous affranchissons de «l'esclavage » (voir He 2, 15) aux formes innombrables.
Alors, dans la sainte liberté que nous avons trouvée, nous désirons le bien pour tous les hommes. L'amour du Christ nous inspire une prière de compassion pour tous les hommes; l'âme aussi bien que le corps y participent. Dans une telle prière, les afflictions endurées pour le péché du frère nous font communier à la passion rédemptrice du Seigneur : «Le Christ a souffert pour nos péchés, juste pour les injustes. [...] Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin que nous suivions ses traces» (1 P 3, 18 ; 2, 21). Etre crucifié avec Lui est un don de l'Esprit saint.
Notre Père céleste se réjouit lorsque nous nous affligeons en voyant les faux pas de nos frères. Selon l'esprit du commandement «aime ton prochain comme toi-même », nous devons avoir de la compassion les uns pour les autres; il est nécessaire que se crée une solidarité qui nous unisse tous devant la Face de Dieu, notre Créateur. Les tourments que l'âme endure en priant pour le salut des hommes, renferment une force vivifiante et une joie sainte. Le caractère non point terrestre mais déiforme de la vie chrétienne réside en ce qu'en elle s'unissent d'une manière merveilleuse l'affliction et la joie, la profondeur et la hauteur, le passé, le présent et l'avenir de l'histoire multiséculaire de la terre. De même que le soleil envoie ses rayons dans toutes les directions, remplissant tout l'espace de chaleur et de lumière, de même la lumière et la chaleur de l'amour du Christ franchissent toutes les barrières et entraînent notre esprit dans l'infini.
Quel poète trouvera les mots justes pour exprimer notre reconnaissance et notre étonnement devant la vie qui nous a été donnée?  En elle, mourir se transforme par la résurrection en vie éternelle : «Celui qui perdra sa vie à cause de moi, la trouvera» (Mt 16, 25). « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd; et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle » (Jn 12, 24- 25).
Le cheminement pour assimiler la révélation donnée d'en haut à l'humanité nous parait lent, et cela non seulement dans le combat ascétique de chacun d'entre nous, mais encore dans la vie de l'humanité dans son ensemble.) après la révélation du Sinaï -« JE SUIS CELUI QUI SUIS » -, il fallut quinze siècles pour qu'apparaisse au sein du peuple juif un petit nombre de personnes capables d'appréhender son accomplissement par le Nouveau Testament (voir Mt 5, 17-19); 2) vingt siècles ont passé depuis le moment où, dans la Lumière incréée sur le mont Thabor puis dans la descente du Saint-Esprit dans la chambre haute de Sion, la révélation parfaite de Dieu comme Sainte Trinité fut donnée au monde.
 Or, y en a-t-il beaucoup qui l'ont assimilée ? Comme il est difficile de s'approprier la vie divine! Même ceux qui aiment l'avènement du Christ - de l'Agneau de Dieu - ne peuvent contenir la plénitude de la bénédiction répandue sur eux. Ceux qui, dans un ardent élan de foi, prennent sur leurs épaules la croix et suivent le Christ (voir Mt 16, 24) souffrent durant toute leur vie. Ils sont confortés par l'espérance qu'après leur départ d'ici-bas, ils entreront dans la sphère lumineuse «où Il est» : «Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera» (Jn 12, 26). Aussi ardente soit la foi du chrétien, la tâche de «transfigurer notre corps de misère » pour qu'il devienne « conforme au corps du Seigneur» (voir Ph 3, 21), nécessite de longues années de labeur ascétique dans le jeûne et dans la prière de repentir.
Plus notre amour est total, plus nous vivons
 douloureusement tout ce qui en détruit l'harmonie.

Dans le long cheminement de cette ascèse se révèlent les dimensions, jusqu'alors méconnues, de la chute d'Adam. Cette vision n'est pas accordée à tous dans la même mesure. Il y a des cas - certes peu fréquents - où l'Esprit divin fait passer celui qui se repent par des abîmes infranchissables pour d'autres. La foi en Dieu doit être libre de toute fluctuation.
Je ne me souviens pas d'un instant où, durant les années que j'ai passées à l'Athos, le doute aurait effleuré mon intellect ou mon coeur. En revanche, il y a eu des moments où mon coeur, rendu douloureux par une longue prière, se détournait de Dieu: « Oh ! Cela est au-dessus de mes forces ! » Néanmoins, de pareils instants eurent des conséquences extrêmement positives. Avant tout et plus que tout, nous aimons le Christ. Plus notre amour est total, plus nous vivons douloureusement tout ce qui en détruit l'harmonie. Même en possédant une longue expérience et une connaissance approfondie du « mécanisme » de ce genre de tentations, ce n'est pas sans horreur que nous découvrons en nous la possibilité d'une nouvelle chute. Aussi prions-nous avec des pleurs profonds et crions-nous vers Dieu: « Guéris-moi jusqu'au bout ! » Et Il guérit. Alors, rempli de joie, notre coeur rend grâces à Dieu ; l'amour qui jusqu'alors avait semblé parfait, grandit qualitativement et se double d'une intelligence accrue de la bonté du Seigneur!.




Référence :
Voir Dieu tel Qu'Il Est. Archimandrite Sophrony. 2004.