Saint Sophrony
l'Athonite.
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Que signifie
«ne pas être de ce monde» ? Rien d'autre que «naître d'en haut». Je ne voyais
pas de terme à mon malheur. Renoncer à chercher l'union avec Lui, impossible ! Me
condamner à être séparé de sa Lumière, ce serait un enfer qui me remplit
d'horreur. Malheur à moi qui suis né dans le péché! Qui me sauvera des ténèbres
extérieures? Qui transfigurera ma nature de manière qu'elle devienne capable
d'être inséparablement unie à Celui qui est Lumière et en qui il n'y a nulles
ténèbres?
J'ai été conçu dans le péché. J'ai reçu un
héritage incroyablement lourd: la chute d’Adam. Une chute aggravée au cours des
siècles par ses fils. Une chute à laquelle j'ajoute, moi aussi, chaque jour
quelque chose. Je me lamente de me voir ainsi. Et lorsque mes lamentations
m'épuisent, me conduisent au seuil de la mort et que, sans secours, je suis
suspendu au-dessus d'un abîme de ténèbres, alors, d'une manière inexplicable,
un léger souffle d'amour vient d'un autre monde, accompagné de la Lumière.
Assurément, c'est une naissance d'en haut; pas encore totale, mais quand même une
délivrance du sombre pouvoir de la mort, l'aube de l'immortalité. Certes, une
longue ascèse nous attend encore afin que le don de Dieu se développe en nous. Et
lorsque ce don merveilleux commence à mûrir et que, par son parfum, il pénètre
les pores de notre «corps de péché» (Rm 6, 6), la crainte de la mort nous
quitte, et nous nous affranchissons de «l'esclavage » (voir He 2, 15) aux
formes innombrables.
Alors, dans
la sainte liberté que nous avons trouvée, nous désirons le bien pour tous les
hommes. L'amour du Christ nous inspire une prière de compassion pour tous les
hommes; l'âme aussi bien que le corps y participent. Dans une telle prière, les
afflictions endurées pour le péché du frère nous font communier à la passion
rédemptrice du Seigneur : «Le Christ a souffert pour nos péchés, juste pour les
injustes. [...] Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple, afin
que nous suivions ses traces» (1 P 3, 18 ; 2, 21). Etre crucifié avec Lui est
un don de l'Esprit saint.
Notre Père
céleste se réjouit lorsque nous nous affligeons en voyant les faux pas de nos
frères. Selon l'esprit du commandement «aime ton prochain comme toi-même »,
nous devons avoir de la compassion les uns pour les autres; il est nécessaire
que se crée une solidarité qui nous unisse tous devant la Face de Dieu, notre
Créateur. Les tourments que l'âme endure en priant pour le salut des hommes,
renferment une force vivifiante et une joie sainte. Le caractère non point
terrestre mais déiforme de la vie chrétienne réside en ce qu'en elle s'unissent
d'une manière merveilleuse l'affliction et la joie, la profondeur et la
hauteur, le passé, le présent et l'avenir de l'histoire multiséculaire de la
terre. De même que le soleil envoie ses rayons dans toutes les directions,
remplissant tout l'espace de chaleur et de lumière, de même la lumière et la
chaleur de l'amour du Christ franchissent toutes les barrières et entraînent
notre esprit dans l'infini.
Quel poète
trouvera les mots justes pour exprimer notre reconnaissance et notre étonnement
devant la vie qui nous a été donnée? En
elle, mourir se transforme par la résurrection en vie éternelle : «Celui qui
perdra sa vie à cause de moi, la trouvera» (Mt 16, 25). « En vérité, en vérité,
je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure
seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd; et
qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle » (Jn 12, 24- 25).
Le
cheminement pour assimiler la révélation donnée d'en haut à l'humanité nous
parait lent, et cela non seulement dans le combat ascétique de chacun d'entre
nous, mais encore dans la vie de l'humanité dans son ensemble.) après la
révélation du Sinaï -« JE SUIS CELUI QUI SUIS » -, il fallut quinze siècles pour
qu'apparaisse au sein du peuple juif un petit nombre de personnes capables
d'appréhender son accomplissement par le Nouveau Testament (voir Mt 5, 17-19);
2) vingt siècles ont passé depuis le moment où, dans la Lumière incréée sur le
mont Thabor puis dans la descente du Saint-Esprit dans la chambre haute de
Sion, la révélation parfaite de Dieu comme Sainte Trinité fut donnée au monde.
Or, y en a-t-il beaucoup qui l'ont assimilée ?
Comme il est difficile de s'approprier la vie divine! Même ceux qui aiment l'avènement
du Christ - de l'Agneau de Dieu - ne peuvent contenir la plénitude de la
bénédiction répandue sur eux. Ceux qui, dans un ardent élan de foi, prennent
sur leurs épaules la croix et suivent le Christ (voir Mt 16, 24) souffrent
durant toute leur vie. Ils sont confortés par l'espérance qu'après leur départ
d'ici-bas, ils entreront dans la sphère lumineuse «où Il est» : «Si quelqu'un
me sert, qu'il me suive, et où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si
quelqu'un me sert, mon Père l'honorera» (Jn 12, 26). Aussi ardente soit la foi
du chrétien, la tâche de «transfigurer notre corps de misère » pour qu'il
devienne « conforme au corps du Seigneur» (voir Ph 3, 21), nécessite de longues
années de labeur ascétique dans le jeûne et dans la prière de repentir.
Plus notre amour est total, plus nous vivons
douloureusement tout ce qui en détruit l'harmonie. |
Dans le long
cheminement de cette ascèse se révèlent les dimensions, jusqu'alors méconnues,
de la chute d'Adam. Cette vision n'est pas accordée à tous dans la même mesure.
Il y a des cas - certes peu fréquents - où l'Esprit divin fait passer celui qui
se repent par des abîmes infranchissables pour d'autres. La foi en Dieu doit
être libre de toute fluctuation.
Je ne me
souviens pas d'un instant où, durant les années que j'ai passées à l'Athos, le
doute aurait effleuré mon intellect ou mon coeur. En revanche, il y a eu des
moments où mon coeur, rendu douloureux par une longue prière, se détournait de
Dieu: « Oh ! Cela est au-dessus de mes forces ! » Néanmoins, de pareils instants
eurent des conséquences extrêmement positives. Avant tout et plus que tout, nous aimons le Christ. Plus
notre amour est total, plus nous vivons douloureusement tout ce qui en détruit
l'harmonie. Même en possédant une longue expérience et une connaissance
approfondie du « mécanisme » de ce genre de tentations, ce n'est pas sans horreur
que nous découvrons en nous la possibilité d'une nouvelle chute. Aussi
prions-nous avec des pleurs profonds et crions-nous vers Dieu: « Guéris-moi
jusqu'au bout ! » Et Il guérit. Alors, rempli de joie, notre coeur rend grâces
à Dieu ; l'amour qui jusqu'alors avait semblé parfait, grandit qualitativement
et se double d'une intelligence accrue de la bonté du Seigneur!.
Référence :
Voir Dieu
tel Qu'Il Est. Archimandrite Sophrony. 2004.