Saturday, January 18, 2020

“Conduis- moi sur la voie de l’Éternité”.(Ps: 139: 24)
Viorel Stefaneanu.


“Le temps est le mode d’existence de ce qui change. Dans chaque changement, il y a un élément de souffrance et même de mort. Nous qui appartenons en même temps- ou plutôt en parallèle- à deux mondes, celui d’en haut et celui d’en bas, nous sommes d’une certaine manière divisés tout au long de notre existence terrestre. Nous aspirons à la vie éternelle, ayant devant nous le modèle de l’existence divine, immuable dans sa perfection, et en même temps nous nous abîmons dans le souci des choses terrestres, n’ayant pas la force de dédaigner les exigences de cette vie. “J’attends le résurrection des morts”. Elle seule, le vie éternelle que nous attendons, est la véritable vie”.
 Saint Sophrony l’Athonite

 
"Moi, J'ai vaincu le monde" (Jean 16,33)

La chute d'Adam, qui a perdu l'éternité de Dieu, est une chute dans le temps, le mode d'existence du monde périssable, où tout passe, tout est soumis au changement, à la dégradation, à la mort. Le temps est le contraire de l'éternité et de la Création car il détruit tout ce qui est, a été et sera. Chaque minute qui passe nous enlève une parcelle de vie, chaque minute qui arrive contient une graine de mort. En tant qu'instrument de destruction et de mort, le temps est le moyen d'action de l'ennemi de Dieu, par lequel il a pris possession de l'humanité déchue. L’homme profane, qui a coupé le lien avec Dieu, “appartient au temps, et à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi”(A.Camus- “Le mythe de Sisyphe”).
L'horreur de l'homme devant le temps provient du fait que les choses qui passent nous rappellent la présence de la mort dans notre existence et dans notre propre chair:
« La mort n'est pas un instant, elle coexiste et accompagne l'homme tout au long du chemin de sa vie. Elle est présente en toutes choses comme leur limite évidente. Le temps et l'espace, les instants qui s'évanouissent et les distances qui séparent sont autant de ruptures, de morts partielles. Tout adieu, oubli, changement, le fait que rien ne peut jamais se reproduire exactement, traduisent le souffle de la mort au cœur même de la vie et nous basculent dans le tourment. Tout départ d'un être aimé, la fin de toute passion, les traces du temps sur un visage, le dernier regard sur une cité ou un paysage qu'on ne verra plus jamais, ou simplement une fleur fanée, suscitent une profonde mélancolie, une expérience immédiate de la mort anticipée» (Paul Evdokimov - « Les âges de la vie spirituelle» ).
La simple succession dans le temps des événements historiques ou personnels n’a par elle-même aucun sens, aucune signification, aucune finalité, de même que la rotation des aiguilles sur le cadre d’une montre . C’est l’esprit de l’homme qui donne un sens à chaque minute, chaque heure, chaque journée de sa vie, mais cette signification personnelle et subjective, est insuffisante pour donner un sens à l'ensemble de son existence temporelle, qui le conduit invariablement à ce non-sens final, irréductible et définitif, qu'est la mort.

Le temps qui extermine sans raison et sans aucune exception tous les êtres vivants, est né au même moment que la mort, et les deux constituent une unité indissociable.
La religion est le seul moyen de combattre et de vaincre le temps terrestre et de rétablir la situation initiale de l'homme: un être éternel à l'image de son Père céleste. Lorsque le Christ affirme : «moi, j'ai vaincu le monde (Jean 16,33), c'est une manière de dire: « moi, j'ai vaincu le temps ». Pour les chrétiens, tous les moments de la vie terrestre, sont - ou devraient être - sanctifiés par l'esprit du Christ, qui donne un sens immortel à chaque instant de notre vie et à l'ensemble de notre existence mortelle. C'est par le Christ que l'homme rétablit le lien entre le temps de ce monde et l'éternité de Dieu. C'est pourquoi nous devons porter un double regard sur les choses de ce monde, qui  sont toutes mortelles mais qui, si l'on sait les considérer dans une perspective spirituelle, sont susceptibles de nous révéler la présence de Dieu et de l'éternité dans notre vie de tous les jours : « Toutes les choses que vous avez sous les yeux, il faut les réinterpréter sous un angle spirituel, et cette réinterprétation, il faut l'incruster si fort dans votre esprit, que lorsque vous regardez cette chose, votre œil la voie dans son aspect sensible, tandis que votre esprit contemple une vérité spirituelle. ( ... ) Lorsque vous procéderez ainsi, toute chose sera pour vous comme un livre saint, ou comme un chapitre de ce livre. Toute chose vous conduira à la pensée de Dieu, ainsi que toute occupation» (Saint Théophane le Reclus - «Lettres de direction spirituelle» ).
“Conduis- moi sur la voie
 de l’Éternité”.(Ps: 139: 24)
Le chrétien doit considérer la vie terrestre comme une théophanie, une présence spirituelle de Dieu dans toutes les choses matérielles et toutes les créatures vivantes.
C'est la dimension spirituelle des choses et des êtres qui est la réalité - une réalité éternelle, qui ne change pas avec le temps - tandis que leur apparence matérielle, soumise à l'usure du temps et à la destruction finale, est aussi illusoire que la succession des images sur un écran de cinéma: à la fin du film, l'écran reste parfaitement blanc, comme si rien ne s'était passé.          
La réalité du film ne se trouve pas sur l'écran mais dans l'esprit des spectateurs.
Prendre le film de notre existence terrestre pour la réalité, c'est là l'erreur tragique de l'homme sans Dieu, car tout ce qui passe  n'est pas réel, comme nous le fait comprendre une parole de la sagesse orientale:     
« Ce qui n'existait pas hier, et n'existera plus demain, n'existe pas aujourd'hui non plus». En effet, l'existence dans le temps n'est que néant si elle s'est détachée de Dieu et de l'ordre divin qui gouverne la Création.
C'est pourquoi «l'homme des civilisations traditionnelles n'accordait pas à l'événement historique de valeur en soi, il ne le regardait pas, en d'autres termes, comme une catégorie spécifique de son propre mode d'existence », mais se défendait contre « la terreur de l'histoire» - car le temps de ce monde est porteur de destruction et de mort - « en accordant au temps historique une signification métahistorique ( ... ), susceptible de s'intégrer dans un système bien articulé où le Cosmos et l'existence de l'homme avaient chacun sa raison d'être» (M. Eliade- “Le mythe de l'éternel retour”). Ce que le croyant attend de Dieu, ce n'est pas un meilleur salaire, une belle voiture, une brillante carrière ou une vie confortable et prospère, mais une chose impossible à obtenir par des moyens humains et que seul Dieu peut nous donner la vie éternelle: «La seule vraie issue est précisément là où il n'y a pas d'issue au jugement humain. Sinon, qu'aurions-nous besoin de Dieu? On ne se tourne vers Dieu que pour obtenir l'impossible. Quant au possible, les hommes suffisent» (Léon Chestov, cité par A. Camus op. cit.).
Tous les hommes ont soif de la vie éternelle, qu'ils en soient conscients ou non, qu'ils soient croyants ou non, et s'ils se sont détournés de Dieu, ils essaient d'assouvir cette soif d'éternité par les objets périssables de ce monde: « La passion est un désir illimité que nous mettons dans une chose très limitée. ( ... ) Et la souffrance est le déchirement que l'on éprouve en essayant en vain de combler un désir spirituel infini par une chose terrestre finie» (Hiéromoine Rafail Noïca - «La culture de l'Esprit»).
Demandons l'aide et la protection de Dieu en toute circonstance, confions-Lui tous nos soucis et nos peines terrestres et  rendons-Lui grâce pour tous les biens de ce monde qu'il nous accorde, mais n'oublions  pas que, en tant que disciples du Christ, e notre royaume n'est pas de ce monde (Cf. Jean 18, 36) : « Dans le monde, tu dois vivre avec le corps, mais ton esprit doit se diriger vers les choses éternelles». Car «tout ce qui passe est mensonger: seulement ce qui est éternel est vrai» (Saint Tikhon de Zadonsk - « Lettres de sa cellule» ).




Référence :
Apostolia. N*13. Juin 2019.