Saturday, September 24, 2016

Saint Silouane : Sa vie en bref.

(1866-1938)
   
   Les archives du monastère russe de Saint-Pantéleimon à l'Athos conservent une simple notice sur la vie du starets Silouane, l'une des grandes figures de sainteté contemporaine: "père Silouane, moine du grand habit. Nom civil : Symeon Ivanovitch Antonov, paysan de la province de Tambov, district de Lébédinsk, village de Chovsk. Né en 1866. Arrivé au mont Athos en 1892. A reçu le petit habit en 1896, le grand habit en 1911. A accompli les obédiences suivantes : au Moulin à Kalamaréia [domaine du monastère situé hors du Mont Athos], au Vieux Rossikon, à l'Économat. Décédé le 24 septembre 1938."
   Des soixante-douze ans de la vie de ce moine, rien n'a paru, aux yeux de ses contemporains, digne d'être signalé. Pas d'exploits ascétiques visibles, pas de miracles extraordinaires. Rien d'autre qu'une existence obéissante et silencieuse, entre les murs de ce monastère russe qui est presque une ville où vivent trois mille personnes, dont deux mille moines. Un flot incessant d'ouvriers et de pèlerins arrivent par bateaux entiers de Russie, depuis le port d'Odessa.
   "Symeon" vint au monde dans un petit village où son père était un marchand presque illettré, mais profondément croyant. Cette famille nombreuse pratiquait l'hospitalité, et reçut un jour à sa table un marchand de livres qui sema le doute sur l'existence de Dieu dans l'esprit du jeune "Symeon". Il n'avait que quatre ans, mais il décida: "Quand je serai grand j'irai chercher Dieu par toute la terre."
   À dix-neuf ans, le garçon était un solide gaillard qui travaillait en compagnie de son frère comme charpentier dans la propriété du prince "Troubetzkoy". Entendant l'une des cuisinières de l'équipe d'ouvriers raconter son pèlerinage sur la tombe d'un célèbre ascète, le reclus "Jean Sézénosky", son cœur s'enflamma d'amour pour Dieu. Dans sa jeune simplicité, il comprit une vérité profonde: "Si cet homme est saint, cela veut dire que Dieu est parmi nous et que je n'ai pas besoin de parcourir la terre entière pour le trouver", pensa-t-il.
   Très vite, il aspira à la vie monastique et souhaita entrer au monastère des "Grottes à Kiev". Mais son père lui demandait d'accomplir avant tout ses obligations militaires. Dans les mois qui précédèrent son départ pour le service, le zèle spirituel de "Symeon" se dissipa. Il retrouvait ses amis au cabaret où il était capable de boire trois litres de vodka sans être ivre. C'était un bon camarade qui aimait chanter, s'amuser, danser. Sa force était impressionnante, son appétit ne l'était pas moins. Un jour de Pâques, alors que toute la famille avait copieusement déjeuné et que ses frères étaient partis rendre quelques visites, sa mère lui proposa une omelette de cinquante œufs qu'il dévora.
   Il menait la vie de tous les jeunes hommes de son village: il séduisit une jeune fille et manqua de tuer l'un de ses rivaux au cours d'une rixe. Quelques jours plus tard, alors qu'il se reposait dans un demi-sommeil, il eut la sensation qu'un serpent entrait dans sa bouche. Il se réveilla avec un sursaut de dégoût et entendit une voix d'une grande douceur lui dire: "De même que ce serpent te répugne, de-même je n'aime pas ta manière de vivre." Il eut alors la conviction que la Mère de Dieu elle-­même venait de le visiter et de le retirer de la boue dans laquelle il était en train de s'enfoncer.
   Tout le temps de son service dans l'armée fut occupé par son désir de partir pour le "Mont Athos" et, dès 1892, ses obligations militaires terminées, il s'embarqua pour la Sainte Montagne et se présenta au monastère russe de "Saint-Pantéleimon". Il allait d'abord, comme tout postulant, passer quelques jours de retraite pour préparer sa confession générale. Le père lui dit alors: "Tu as confessé tes péchés devant Dieu, sache qu'ils te sont tous pardonnés ... Maintenant commence une vie nouvelle... Va en paix et réjouis-toi de ce que le Seigneur t'a amené dans ce havre de salut."

En 1933, au vieux Russikon.

   La certitude d'être à tout jamais absous inclinait trop vite le jeune novice à s'abandonner à la joie de cette nouvelle vie et à relâcher dans une certaine mesure la tension intérieure qui l'animait jusqu'alors. La sanction spirituelle ne se fit pas attendre, et "Silouane" plongea dans les tentations charnelles. Il fut fortement enclin à retourner dans le monde et à se marier. Vint alors le temps de la lutte et des prières qui le mirent à l'abri de ce que les pères spirituels appelaient les "pensées", les attaques de l'imagination. Il était au monastère depuis trois semaines seulement quand, alors qu'il se recueillait devant l'icône de la Mère de Dieu, il sentit la prière pénétrer son cœur, telle une flèche de feu. Jour et nuit, elle se répandait en lui sans qu'il ait à faire le moindre effort.
   Mais cette grâce amena aussi avec elle un surcroît de tentations et de luttes intérieures. Des visions trompeuses s'imposèrent à lui: tantôt il se sentait transporté jusqu'au ciel, tantôt il était convaincu de sa damnation éternelle. Les mois passèrent ainsi, jusqu'à ce qu'il touche le fond du désespoir. L'ascèse redoutable qu'il pratiquait ne l'empêchait nullement d'accomplir sa tâche de responsable du moulin du monastère. "Saint-Pantéleimon" était devenu presque aussi vaste qu'une ville, et les milliers de moines et de pèlerins qui s'y pressaient demandaient un énorme travail d'intendance. Chaque jour, celui qui n'était encore que le frère "Symeon" transportait une quantité de sacs de farine.
   Son âme était toujours accablée de tourments, jusqu'à ce moment béni où, durant la célébration des vêpres dans la chapelle Saint-Élie qui se trouvait à côté du moulin, le Christ lui apparut vivant. Tout son être fut rempli d'une grâce brûlante comme du feu. Il disait par la suite que c'était dans le Saint-Esprit, qu'il avait connu sans aucun doute, que le Christ lui-même lui apparaissait et lui faisait connaître sa grâce dans sa perfection.
Fresque du Monastère Saint Silouane en France.
   Lorsque la vision le quitta, son âme demeura si assoiffée de la présence de Dieu que le reste de ses jours se passèrent à implorer cet amour sans fin.
   Il occupa ensuite la tâche d'économe du monastère et plus de deux cents ouvriers se trouvaient sous sa direction. Son ascèse ne se relâcha pas, et son incessante prière s'élevait pour le monde entier. Quinze ans durant, il continua de lutter contre les tentations et les attaques démoniaques. Épuisé, "Silouane" suppliait le Christ de soulager ses souffrances. Le Christ 'lui dit: "Les âmes orgueilleuses souffrent toujours des démons."
   - Quelles doivent être mes pensées, Seigneur, pour que mon âme trouve l'humilité?.
   - Tiens ton âme en enfer et ne désespère pas!, lui répondit le Seigneur. Par cette parole, Dieu lui révélait que tout effort ascétique doit tendre vers l'humilité du Christ, qui mène vers la paix et la prière pure.
   Par le don de l'humilité divine, le Christ remplit le cœur de "Silouane" d'un amour ineffable pour tous les hommes: les vivants comme les morts. Le starets enseignait que l'amour ultime est celui des ennemis. Il n'y avait rien de facilement sentimental dans cet amour. Il disait à ce propos: "Prier pour les hommes, c'est verser son sang."
   Ignoré du monde, Silouane vécut toute sa vie dans l'effacement, le martyre de la prière pour le monde. Il s'endormit paisiblement le 24 septembre 1938. Il lègue à l'Église un message d'amour et d'humilité; ses écrits qui encouragent et soutiennent l'âme des chrétiens de toutes confessions ont été transmis par son disciple, le père Sophrony.

Référence:
Da Costa F. (2005), Florilège du Mont Athos, Presses de La Renaissance, Paris, France.