Saturday, May 21, 2016

Un Court Compte Historique sur
la Préparation du Concile Panorthodoxe.

Les Septs Conciles.
   La préparation du Concile.
   110 ans!. C'est la longue histoire d'une gestation encore inachevée, où l'on peut distinguer trois périodes: de 1902 à 1952, de 1952 à 1990 et de 1990 à aujourd'hui.
   La préhistoire du Concile.
   Le mouvement vers un concile panorthodoxe commence au début du XXe siècle, avec des encycliques du patriarche œcuménique Joachim III, en 1902 et 1904. En 1902, s'adressant aux Églises orthodoxes locales, soucieux de leur unité, il leur propose une conférence commune pour préparer le champ à un rapprochement régulier, réciproque et amical, et pour examiner avec le commun accord des membres de toute notre Église orthodoxe les fondements, les mesures et les moyens qui seront jugés les meilleurs.
   Pour Joachim III, cet effort est inséparable de celui qu'il faut mener avec toutes les Églises chrétiennes. Unité orthodoxe et unité chrétienne ont une même visée: la communion qui doit caractériser l'Église du Christ.
   La grande catastrophe de la Première Guerre mondiale rend l'appel à l'unité plus urgent encore. En 1920, l'Encyclique synodale de l'Église de Constantinople à toutes les Églises du Christ à travers le monde le répercutera en rappelant que la koinônia, la communion, est l'objectif final de la réunion des Églises et en leur proposant de former une « Société des Églises » à l'instar de la Société des Nations qui est en train de prendre forme. L'Église orthodoxe entre dans le « mouvement œcuménique » moderne. Le choc de la Première Guerre mondiale et de la Révolution russe semble inciter les Églises orthodoxes à sortir de leur inertie.
   Le patriarche Meletios IV réunit en 1923 à Constantinople une conférence panorthodoxe qui prévoit un concile pour 1925, à l'occasion du seizième centenaire du Concile de Nicée. En l'absence des Églises russe et bulgare, un comité préliminaire à l'Athos en 1930 propose un pro-synode pour 1932. Ces efforts sont vains. En plus de l'obstruction du gouvernement turc et de l'opposition de milieux conservateurs dans l'Église grecque, la persécution coupe les liens de l'Église russe avec les autres Églises.
   Cette préhistoire conciliaire se déroule sur fond d'événements historiques majeurs qui, pendant cinquante ans, meurtrissent toutes les Églises orthodoxes historiques. Le rappeler  c'est rendre justice à l'Église:
   - la Première Guerre mondiale implique la Russie, la Roumanie, la Serbie, la Grèce, d'un côté, la Bulgarie de l'autre;
   - la Révolution de 1917 bouleverse et saigne l'Église russe;
   - la guerre gréco-turque de 1919-1922, avec ses déplacements de populations, affaiblit la présence orthodoxe en Anatolie et compromet l'existence du patriarcat de Constantinople;
   - la Géorgie, indépendante de l'Empire russe en 1918, est absorbée par l'Union soviétique en 1921;
   - la Seconde Guerre mondiale engage à nouveau des pays orthodoxes tels que la Russie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce;
   - la Roumanie, les pays balkaniques (sauf la Grèce) et baltes sont soviétisés;
   - la Grèce, sortie meurtrie de la guerre, doit supporter une longue guerre civile;
   - la « solution » momentanée de la question palestinienne et la création de l'État d'Israël en 1948 traumatisent la communauté arabe ... 
   Cela fait beaucoup. Solidaires de leurs peuples, les Églises ne sont pas au-dessus de la mêlée; elles ont les pieds dedans, en essayant de tenir la tête vers le ciel. On ne peut qu'admirer qu'elles aient encore pu faire autre chose que de survivre.
   Un nouvel élan.
   En 1952, le patriarche Athénagoras 1er de Constantinople redonne vie au processus conciliaire.
   Une fois encore, les événements historiques changent le paysage orthodoxe. À part la Grèce, les pays orthodoxes d'Europe sont tous vassaux du pouvoir soviétique. Malgré le climat de « guerre froide », les contacts se multiplient entre les Églises. Des réunions inter-orthodoxes ont lieu à Moscou en 1948 et 1958.
   Athénagoras troque la plume des encycliques pour le bâton de pèlerin: il visite les autres primats, accueille Alexis 1er de Moscou au Phanar. L'espoir d'un concile général ne paraît plus absurde. À l'initiative d'Athénagoras, trois conférences panorthodoxes se réunissent à Rhodes. En 1961. On établit une liste ambitieuse de cent thèmes. Le millénaire de l'Athos, en juin 1963, avec la rencontre autour d'Athénagoras de toutes les Églises, resserre leurs liens. À Rhodes, en 1963 et 1964, le Concile est conçu comme l'expression de l'unité du témoignage de l'orthodoxie face aux problèmes contemporains et dans ses rapports avec l'ensemble du monde chrétien.
   Cette accélération de la préparation aboutit, en 1968, à la quatrième conférence au nouveau Centre œcuménique de Chambésy. Un secrétariat de préparation est créé, de même qu'une commission inter-orthodoxe préparatoire. La conférence établit une liste plus raisonnable de thèmes. Mais une crise éclate en 1970, entre Moscou et Constantinople, lorsque le patriarcat de Moscou octroie unilatéralement l'autocéphalie à l'Église orthodoxe en Amérique (OCA).
   Ce coup de froid alerte ceux qui espèrent la tenue du Concile. Voyant le projet s'embourber, Paul Evdokimov et Olivier Clément lancent un Appel à l'Église en l'invitant à aller vers le Concile et en y engageant tout le peuple de Dieu. Ils demandent de ne pas «s'attarder aux problèmes intérieurs de l'orthodoxie pour chercher une vision globale, une parole de vie pour tous les hommes». Leur appel est répercuté par une résolution du 1er Congrès de la Fraternité orthodoxe, à Annecy, en novembre 1971, où les jeunes expriment avec force leur désir de participer à la préparation du Concile de toute l'orthodoxie appelé en particulier à résoudre le problème de la Dispersion.
   Athenagoras 1er meurt en Juillet 1972. De 1976 à 1986, trois conférences préconciliaires choisissent dix thèmes et rédigent des documents à l'intention du Concile, avec la collaboration des Églises locales. Malgré la privation de liberté, les Églises orthodoxes se parlent, des évêques russes voyagent en Occident, les contacts œcuméniques sont plutôt chaleureux.
   Le temps des tergiversations
   Il faudra pourtant attendre 2009 pour que se réunisse une quatrième conférence préconciliaire. Entre temps, en 1990, a commencé une troisième période, à la suite d'événements connus; la chute du mur de Berlin en novembre 1989, la fin des régimes communistes en Roumanie et Bulgarie, l'implosion de l'empire soviétique en décembre 1991, avec l'indépendance de l'Ukraine et de la Géorgie, la dislocation dans le sang de la Yougoslavie... L'histoire change à nouveau le paysage orthodoxe et soumet ses Églises à d'autres épreuves. En 1996, le statut de l'Église d'Estonie provoque une rupture momentanée de la communion entre Constantinople et Moscou.
   On ne peut qu'évoquer ici les effets sur les relations inter­orthodoxes de ce retour à la liberté, de cette nouvelle fierté nationale et ecclésiale, l'identité recouvrée. Les nationalismes, réprimés au temps de grands empires, retrouvent vigueur ou agressivité. Dans l'Eglise, le phylétisme - le nationalisme ecclésial - n'est pas mort. On sent passer un courant froid venu de l'est… Et dans la météorologie du Concile il y a un trou d'air de presque vingt ans.
   En 1990 et 1993, la Commission préparatoire avait pu rédiger encore un document sur la diaspora, un des sujets brûlants du Concile. Il sera accepté par la IVème Conférence préconciliaire en juin 2009, comme solution transitoire, une réponse d'économie aux problèmes canoniques de la diaspora. Par région ou par nation, on créera des assemblées épiscopales pour témoigner de l'unité orthodoxe et assumer le travail commun.
   Le 1er avril 2003, l'appel du patriarche Alexis II de Moscou à reconstituer l'unité de la présence ecclésiale russe en terre d'Occident, en visant la constitution d'une Église territoriale dans la dépendance de Moscou, provoque des tensions dans les communautés et des divisions là où un travail d'unité orthodoxe est mené depuis des dizaines d'années.
   Devant les tensions récurrentes entre Constantinople et Moscou autour de la diaspora, le Synode de l'Église de Grèce demande le 2 novembre 2006 aux patriarches Bartholomée 1er et Alexis II de « respecter les décisions panorthodoxes unanimes concernant la diaspora orthodoxe en vue de couvrir, par économie, les besoins pastoraux impérieux actuels et afin de prévenir ou empêcher des situations schismatiques échappant à tout contrôle et quoi qu'il en soit dangereuses; elle exprime également son profond souhait et sa ferme intention d'approfondir et d'accélérer le dialogue inter-orthodoxe jusqu'à la convocation, tant désirée, du saint et grand concile panorthodoxe sur l'ordre du jour duquel la question de la diaspora orthodoxe a été unanimement inscrite.»
   On arrive petit à petit au bout de l'agenda préconciliaire. Mais le dialogue patine sur des thèmes que certains diront d'organisation interne : l'autocéphalie, l'autonomie, les diptyques ... Ces sujets canoniques ne sont pas résolus par la Commission préparatoire de février 2011. (1)
   … Et à présent.
   Le Concile Panorthodoxe est décidé à avoir lieu entre 16 et 27 juin 2016 à l'Académie orthodoxe de Crète en Grèce.
   Le dernier concile œcuménique reconnu par l’ensemble des 14 Églises orthodoxes remonte en effet à… 787, avant le schisme avec Rome. Des synodes interorthodoxes se sont par la suite tenus jusqu’au XVIIe siècle, mais il a fallu attendre la conférence de Rhodes (1961) pour que l’idée d’un «saint et grand concile orthodoxe» soit relancée par le patriarche œcuménique Athénagoras, l’homme du rapprochement avec le pape Paul VI.
   L’objectif de cette assemblée : résorber les divisions accumulées entre Églises orthodoxes au cours des siècles afin d’offrir au monde un témoignage de foi commun et actualisé. Une commission interorthodoxe débute alors ses travaux et des conférences préconciliaires se succèdent sur plusieurs décennies.
   Dans quel contexte se prépare-t-il ?.
   Depuis l’ère Athénagoras, l’effondrement du bloc soviétique et la fin du conflit Est-Ouest ont profondément reconfiguré le monde orthodoxe. Avec l’indépendance retrouvée, des Églises ont pu renaître de leurs cendres, comme en Albanie. D’autres ont connu une vitalité nouvelle, sur fond de compétition croissante entre Moscou et Constantinople.
   De retour sur le devant de la scène après plus de soixante-dix ans de persécutions, l’Église orthodoxe russe (120 millions de fidèles, soit le tiers des orthodoxes dans le monde) dispute au Patriarcat œcuménique son leadership historique sur l’orthodoxie mondiale.
   Tandis que les conflits de juridiction se multiplient aux marches de l’ex-empire soviétique (Estonie, Ukraine…), la diaspora fait l’objet d’une guerre juridique sans merci entre les deux sièges patriarcaux. En France par exemple, la récente récupération par Moscou de la cathédrale de Nice, placée durant la période soviétique sous la juridiction de Constantinople, est emblématique de ce climat de tension.
   Quelles sont les questions débattues ?.
   La liste des points à discuter est longue et n’avait jamais fait l’objet d’un consensus jusqu’aux dernières discussions. Parmi les questions les plus épineuses à résoudre : la manière de proclamer l’autonomie des Églises (sur ce point, les évêques sont tombés d’accord autour d’un projet de texte lors de la dernière conférence préconciliaire achevée en octobre), le statut juridique de la diaspora, ou encore l’unification du calendrier liturgique – en particulier la date de Pâques : faut-il s’en tenir au calendrier orthodoxe ou célébrer la principale fête chrétienne en même temps que les catholiques et les protestants ?.
   Les «relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien» ont également fait l’objet d’un préaccord en octobre – le mot « œcuménisme » ayant toutefois disparu des textes depuis 1986. Quant au projet de texte sur la « mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain » (paix, justice, liberté, etc.), il ne recueille toujours pas l’assentiment des Russes et des Géorgiens en raison de sa dimension interreligieuse.
   Cadenassé depuis la conférence panorthodoxe de 1976, cet ordre du jour tient résolument à l’écart les grands défis d’aujourd’hui. « La Russie et l’Ukraine, soit les deux peuples orthodoxes les plus nombreux de la planète, sont en guerre et les hiérarques ne prévoient même pas d’en parler », déplore ainsi l’historien de l’orthodoxie Antoine Arjakovsky. (2)
   Le déficit d'information reste grand, alors qu'il faudrait provoquer dans le peuple de l'Église un grand mouvement vers le Concile, mouvement de prière et d'espérance, un enthousiasme capable de discerner les signes du temps et l'urgence pour la vie de l'Église et du monde, dégager un sensus ecclesiae commun aux évêques et aux fidèles.


Référence :
(1) Ruffieux N. (2013), Préparation et Réception du Concile, CONTACTS Revue Française de L’Orthodoxie, Juillet-Septembre 2013, Tome LXV, N. 243, pp.305-324.
   (2) Lieven Samuel (2016), 4 clés pour comprendre le grand concile panorthodoxe, www.la-croix.com, 22 Janvier 2016 : http://www.la-croix.com/Religion/Monde/Comprendre-le-grand-concile-panorthodoxe-2016-01-22-1200733208