Saturday, March 26, 2016

Père Augustin Le Russe et la lumière incréée.

   Vers la fin de sa vie, au milieu des années 1960, le père Augustin demeurait en solitaire dans une dépendance du monastère de "Philothéou". Il observait quotidiennement un jeûne très sévère, que lui avait inspiré sa grande simplicité. Les jours de fête, quand l'Église permet la consommation d'huile, il prenait une plume, la trempait légèrement dans l'huile et marquait d'un signe de croix les deux galettes qu'il avait préparées avec de l'eau et de la farine. Puis il les passait au gril en disant: « Aujourd'hui, on peut prendre de l'huile!».
   Certains vagabonds laïcs, connaissant sa simplicité, entraient librement dans sa cellule, même en sa présence, et lui prenaient tout ce que le monastère lui avait donné en cadeau. Le bienheureux les laissait faire en souriant, sans une parole de protestation. Il avait un grand amour pour tous les hommes et chaque fois qu'il en rencontrait un, moine ou laïc, il faisait devant lui une profonde métanie. «Il porte la grâce du saint Baptême», disait-il quand on lui en demandait la raison.
   Il débordait de charité même pour les animaux. Petit à petit, il transforma l'enclos de son ermitage en hospice pour animaux vieux et invalides: ânes, mulets aveugles, boiteux, moribonds, malades et inutiles. Des ouvriers ouvraient sa barrière et les faisaient entrer dans son enclos, sans lui demander son avis. Le bon vieillard en prenait alors soin avec amour. Il allait couper de l'herbe fraîche et la mettait en réserve en prévision de l'hiver, pour ses «disciples», comme il les appelait. Quand les pères du monastère virent son état d'épuisement, ils lui proposèrent de le prendre à l'infirmerie. Le père Augustin répondit : «Je ne peux pas laisser mes mulets. »
   Finalement, son état de santé déclinant de jour en jour, il accepta de rejoindre la communauté. La nuit, il n'avait nul besoin de lampe à pétrole. «Dieu me donne une autre lumière, disait-il, et j'y vois plus clair que le jour.» Dans sa simplicité, il croyait que tout le monde pouvait voir, comme lui, la Lumière incréée. Un jour, la veille de l'Annonciation, fête patronale du monastère, moines et laïcs étaient occupés à astiquer les bronzes de l'église. Soudain apparut le père Augustin, radieux et tout transformé sous l'effet d'une divine présence.
   - Bénissez, pères saints! dit-il en faisant sa métanie habituelle.
   - Tiens! Comment vas-tu, père Augustin ?.
   - Je veux vous confier une pensée. Vous me direz si je suis dans l'illusion. Cette nuit, toute la nuit, il y avait beaucoup de lumière. On voyait clair comme le jour de "Karacalou" à "Stavronikita". Je pouvais distinguer le moindre détail. C'est peut-être de l'illusion.
   Un ouvrier reprit en se moquant:
   - Mais non, père, c'était un spoutnik. Il est tombé du ciel dans ta cellule et il a tout éclairé.
   Rassuré, le père Augustin le remercia et prit congé, dans la grande simplicité de son cœur pur, véritablement illuminé par la lumière divine.
   Les derniers jours de sa vie, quand il était alité à l'infirmerie, il s'écriait souvent: «De saints anges arrivent! Là! Là! Vous ne voyez pas?». Et il réveillait les vieux moines qui dormaient à ses côtés en les secouant. Puis, un peu plus tard, il criait encore: «Les saints sont présents!. La Toute Sainte Mère de Dieu!». Et il réveillait de nouveau les autres malades. L'infirmier le réprimandait sévèrement en disant: «Vas-tu cesser, égaré?. Laisse donc ces pauvres vieux se reposer. C'est quelqu'un comme toi que viendraient visiter les saints?». Et il en était ainsi chaque jour. Lorsque le père Augustin trépassa, son visage lança trois éclairs aveuglants. L'infirmier comprit alors son erreur et s'exclama: « Maintenant, je suis sûr que c'était un saint!».

Référence :
   Da Costa F. (2005), Florilège du Mont Athos, Presses de la Renaissance, Paris, France.