Saturday, June 20, 2015

La théologie des offices liturgiques
en l'honneur du Précurseur



Mural dans l'église de
Saint Jean le Baptiste - Douma - Liban
   En nous penchant de près sur les textes liturgiques composés pour ces solennités en l'honneur de saint Jean le Baptiste nous pourrons juger de la place de la figure du Précurseur dans la théologie orthodoxe. Nous nous proposons d'analyser quelques expressions relevées de manière non exhaustive dans l'hymnographie byzantine de ces fêtes.
   L'Ange du Christ
   L'hymnographie byzantine parle du Précurseur comme de "l'Ange du Christ" ou de "l'Ange de Dieu". Ces deux expressions synonymes, jouant sur le terme grec "άγγελος" signifiant à la fois ange et messager, font écho à la prophétie de Malachie, reprise dans l'Évangile de Matthieu, où le Seigneur affirme:
   J'enverrai mon messager (mon ange) devant ta face, qui préparera ta voie devant toi (Mal 3,1; Mt 11,10).
   Selon les paroles du Christ lui-même (Mt 11,10), c'est de Jean le Baptiste qu'il s'agissait dans ce passage.
   Cette prophétie interprétée par le Christ a non seulement inspiré les hymnographes pour les offices liturgiques en l'honneur du Précurseur, mais aussi les iconographes byzantins qui ont souvent représenté, a partir du XIIème siècle, Jean le Baptiste avec des ailes. Comme le soulignent L. Ouspensky et V. Lossky, cette représentation correspond non seulement à la fonction de messager qu'avait le Précurseur pour préparer la voie du Seigneur, mais aussi à son modèle de vie ascétique. Saint Germain de Constantinople s'interroge en effet dans une hymne qui lui est attribuée, chantée à l'office du 29 août :
   "Comment t'appellerons-nous, Ô prophète ? Ange, apôtre ou martyr? Ange, car tu as mené une vie incorporelle. Apôtre, car tu as enseigné aux nations. Martyr, car ta tête fut retranchée pour le Christ."
   Vivant dans le désert et se nourrissant de miel sauvage et de sauterelle (Mt 3,1.4), Jean le Baptiste vécut comme "un ange terrestre et un homme céleste" et fit de lui un prototype de la vie monastique. En effet, comme le dit saint Sophrone de Jérusalem dans un éloge du Précurseur, Jean le Baptiste inaugurait pour les hommes la possibilité de vivre comme des anges dans la chair, par la virginité, l'ascèse et la contemplation!. Ce n'est donc pas surprenant que l'hymnographie byzantine loue Antoine le Grand, le "père des moines", pour avoir imité le genre de vie d'Élie et suivi les pas du Précurseur".
   L'hymnographie nous dit encore qu'il est "l'ange annonçant la venue de l'Ange du Grand Conseil". L'Ange du Grand Conseil est le nom messianique donne par Isaïe à l'Emmanuel, au Dieu qui est avec nous, c'est-à-dire au Christ (Is 9,6 dans la Septante). Il s'agit ici d'un jeu de mots entre deux anges, le premier n'étant que le messager du second. On retrouve donc le même sens que dans l'expression : "l'ange du Christ".
   Le Nouvel Élie
   Les textes liturgiques nous présentent le Précurseur comme le "Nouvel Élie". En effet, le peuple hébreu attendait le retour d'Élie avant la venue du Messie, selon la prophétie de Malachie :
   Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable (Mal 3,23).
   Cela explique que certains, au dire des apôtres, avaient cru le reconnaitre dans la personne du Christ (Mt 16,14 ; Mc 6,15 ; 8,28 ; Lc 9,8-19). En ce sens il est significatif qu'Élie fût aux côtés du Christ lors de la Transfiguration (Mt 17,3). Par ailleurs, les Pères de l'Église ont souvent identifié les deux témoins de l'Apocalypse qui doivent revenir sur terre pour annoncer la seconde venue du Christ comme étant Élie et Énoch (Ap 11,3-10).
   Dès lors, nous comprenons que l'ange ayant annoncé la conception du Précurseur ait justement précisé que ce dernier devançait le Messie "dans l'esprit et la puissance d'Élie" (Lc 1,17). Dans l'Évangile de Matthieu, le Christ nous dit lui-même que Jean le Baptiste "est Elie qui doit revenir " (Mt 11,14) et par ailleurs, qu'Élie est déjà revenu (Mt 17,10- 12). Ainsi donc, les hymnographes suivent ici l'interprétation donnée par le Christ dans l'Évangile de Matthieu.
   L'image d'Élie, tout comme celle de l'ange, a contribué à faire du Précurseur un prototype de la vie monastique qui est avant tout une vie de repentir.
   Le Prédicateur du repentir
   Les hymnographes désignent encore le Précurseur comme étant le prédicateur du repentir. Ils suivent ici de nouveau l'Évangile selon Matthieu, où il est dit que le Précurseur, prêchant dans le désert de Juda, clamait : "Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche" (Mt 3,2). C'est ainsi que Jean le Baptiste se révèle véritablement comme le précurseur du Sauveur qui commencera sa prédication par ces mêmes mots (Mt 4,17).
   Plus loin, dans le même passage, l'évangéliste Matthieu relate cette prédication sur le repentir de Jean le Baptiste:
   La hache est déjà prête à couper les arbres à la racine: tout arbre qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu (Mt 3,10).
   Par ces mots apocalyptiques, le Précurseur annonce l'approche du jugement (Jn 12,31). Ce sont d'ailleurs ces paroles du Précurseur qui ont amené les iconographes byzantins à représenter sur les icônes de Jean le Baptiste une hache posée sur un arbre.
   Ces mêmes paroles seront elles aussi reprises ensuite par le Christ (Mt 7,19). Ce fait témoigne une fois de plus du lien intime qui unit le ministère du Précurseur à l'économie divine. Comme l'a souligné le père Serge Boulgakov, un grand théologien russe du XXème siècle, dans l'un des seuls livres qu'un orthodoxe ait consacré a la figure du Précurseur :
   La vie et la prédication, l'œuvre du Précurseur, entrent dans le ministère de notre Seigneur Jésus-Christ en tant que son prologue, en tant que partie intégrante et inséparable, tout comme y entre, bien que dans un sens tout particulier, la vie et l'accomplissement de la Mère de Dieu.
   Le luminaire de la lumière
   L'hymnographie byzantine parle du Précurseur comme du "luminaire du Soleil", du "luminaire de la Lumière", du "luminaire du Christ", du "luminaire du Seigneur" ou encore comme de "l'annonciateur de la lumière". Toutes ces expressions sont synonymes dans la mesure où le Christ, le Seigneur, est identifié au Soleil et à la Lumière. L'identification du Christ au "Soleil de justice", comme le chante L’hymnographie byzantine de la Nativité du Christ, provient de la prophétie messianique de Michée 3,20 qui annonce que "le Soleil de Justice brillera avec le salut dans ses rayons", Dans l'Évangile johannique, le Christ se présente lui-même comme étant la "lumière du monde" (Jn 8,12). II est la "lumière véritable" (Jn 1,9).
   Jean l'évangéliste précise qu'en tant que Précurseur Jean le Baptiste est venu "pour témoigner de la lumière" (Jn 1,7). "Celui-ci n'était pas la lumière", précise-t-il dans son prologue, "mais témoignait de la lumière" (Jn 1,8). Ainsi inspiré par la théologie johannique, les hymnographes byzantins identifient donc le Précurseur au luminaire de la Lumière, mais là encore, ils demeurent fidèles à la théologie johannique. En effet, le Christ lui-même parle de Jean le Baptiste dans Jn 5,35 comme "d'un luminaire qui brillait et qui éclairait".
   Ce thème du luminaire et du soleil est ancien, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, il avait d'abord conduit l'Église de Rome à fixer, dès le IVème siècle, la fête de la Nativité du Christ au 25 décembre pour remplacer la fête que le culte solaire avait placé au solstice d'hiver. Dès lors, la nativité de Jean le Baptiste fut fixée au 24 juin, non seulement parce qu'il était de six mois son aîné, mais parce qu'il s'agissait du solstice d'été, à partir duquel la longueur du jour commence à diminuer. L'Église suivait une fois de plus le témoignage du Baptiste, relaté par l’évangéliste Jean:
   II faut que lui grandisse, et que moi, je dois décroisse (Jn 3,30).
   La Voix du Verbe
   Les hymnographes parlent du Précurseur comme de la Voix ou du Héraut du Verbe. II joue ici sur le champ sémantique de la parole pour mettre de nouveau en relation le Précurseur avec le Christ, désigné dans le prologue du quatrième Évangile comme le Verbe de Dieu (Jn 1,1). Dans ce même Évangile, le Précurseur se présente comme étant "la voix criant dans le désert: préparez la voie du Seigneur", reprenant ici la prophétie d'Isaïe (Is 40,3 ; Jn 1,23).
   Cette appellation d'origine johannique montre bien qu'étant appelé par Dieu à devenir la Voix du Verbe, le Précurseur délia ainsi la langue de son père qui avait été liée par son manque de foi (Lc 1,64) et mit fin aux figures et aux ombres de l'Ancienne Alliance en préparant l'avènement de la Nouvelle Alliance.
   L'ami de l'Epoux
   Les hymnographes byzantins présentent aussi le Précurseur comme "L’ami de l'Epoux". Cette expression, qui a inspiré le titre du livre que le Père Serge Boulgakov a consacré au Précurseur, provient de l'Évangile de Jean où Jean le Baptiste dit :
   Vous-mêmes portez témoignage que j'ai dit : "Je ne suis pas le Christ", mais que j'ai été envoyé devant lui. Celui à qui appartient L’épouse est l'époux ; mais l’ami de l'époux qui se tient près de lui et l’écoute se réjouit grandement d'entendre la voix de l’époux (Jn 3, 28-29).
   Ce passage évoque les noces du Christ-Époux et de l’Église Épouse, préfigurées dans le Cantique des Cantiques, qui sont chantées dans le psaume 44, auxquelles fait allusion l'apôtre Paul (Ep 5,32) et dont parle le 19ème chapitre de l'Apocalypse (Ap 19, 7.9). Le thème des noces n'est pas fortuit dans le quatrième Évangile, puisque c'est aux noces de Cana que fut révélé le premier signe de Jésus dans lequel fut manifestée sa gloire et par lequel ses disciples crurent en lui (Jn 2,11).
   Le père Serge Boulgakov a vu dans ce passage, qu'il désigne comme "l’hymne du Précurseur", le troisième et dernier témoignage de Jean le Baptiste.
   II ne s'agit pas d'un cantique des cantiques sur l’amour de l'épouse envers son époux, mais de l’hymne de son ami. II ne s'agit pas d'une humilité s'amoindrissant, mais d'une humilité triomphant d'une joie victorieuse, il s'agit du triomphe du Précurseur.
   Comme l’explique le père Serge Boulgakov, l’ami de l'époux était la personne la plus proche de l'époux, en qui ce dernier avait placé toute sa confiance. C'est l’ami de l'époux qui cherche et trouve l'épouse et qui l’amène et la présente à l'époux. Ainsi donc, le Précurseur est présenté dans le quatrième Évangile comme l’ami le plus intime du Sauveur, comme celui qui prépare l'humanité au salut et la présente au Sauveur". C'est donc par la mission du Précurseur qu'est présentée l'Église en tant qu'Épouse au Christ-Époux (2 Co 11,2).
   Conclusion
   Ce rapide survol de L’hymnographie byzantine des fêtes du Précurseur nous a permis de constater la place importante qu'occupe "le plus grand de ceux nés d'une femme" dans la tradition liturgique de l’Église orthodoxe. II nous a fait apprécier la proximité qu'a L’hymnographie avec les textes bibliques, dont se sont abondamment nourris les Pères-hymnographes et toute la tradition hymnographique. II n'est donc pas surprenant que le Précurseur et ses reliques furent L’objet d'une vénération fervente à Byzance comme dans tous les pays chrétiens de tradition byzantine.

Référence :
   Getcha, J. (2007) La figure du Précurseur dans la tradition liturgique orthodoxe. Contacts, Tome LIX, Nº 218, p 164-171.